Les sanctions contre la Syrie auraient pu rester en vigueur pendant encore un an, voire davantage, en raison de plusieurs facteurs: l’incertitude persistante autour de l’avenir politique du pays, les réticences face à ses nouveaux dirigeants ou encore les préoccupations de puissances régionales telles qu’Israël. Aux États-Unis, la levée des sanctions est un processus long et complexe. Washington, par exemple, a signé un accord avec les talibans, mais l’Afghanistan reste néanmoins sous sanctions économiques. De plus, l’administration américaine est elle-même divisée sur la question de leur levée.
C’est dans ce contexte qu’un appel direct a été adressé au président Donald Trump, via un intermédiaire stratégique: l’Arabie saoudite. Cette approche a été perçue comme la voie la plus rapide. Toutefois, elle implique des efforts supplémentaires de la part du gouvernement d’Ahmad el-Chareh. Ce dernier doit notamment fournir des garanties renforcées concernant la maîtrise des milices locales, la protection des minorités et la lutte contre les idéologies extrémistes susceptibles d’éroder l’autorité du président.
Les opposants à la levée des sanctions soulignent que plusieurs membres du nouveau gouvernement syrien ont, par le passé, été associés à une organisation terroriste désignée. Ils estiment que ces liens doivent être clairement rompus avant toute évolution.
Cinq conditions ont été posées par le président Trump à l’issue de sa rencontre avec Ahmad el-Chareh: le retrait de tous les combattants étrangers, une coopération active dans la lutte contre les groupes terroristes présents en Syrie, l’expulsion des factions palestiniennes, la gestion rigoureuse des centres de détention accueillant des membres de Daech et, enfin, l’établissement d’une relation constructive avec Israël.
Mais avant d’évaluer la faisabilité de ces exigences pour le gouvernement Al-Chareh, il convient de s’interroger sur les raisons pour lesquelles ce nouveau pouvoir mérite, selon les mots mêmes de M. Trump, qu’on lui accorde une véritable «chance».
Un affaiblissement du nouveau gouvernement risquerait de favoriser un retour de l’Iran, soit en provoquant un chaos, soit en affaiblissant l’autorité de Damas.
Abdulrahman Al-Rashed
Tout d'abord, Al-Chareh et son gouvernement sont désormais une réalité avec laquelle tout le monde doit composer, comme c'est le cas pour les autres gouvernements de la région qui incluent ou coopèrent avec les milices. La réalité est que le changement de gouvernement n'est pas envisageable, que la guerre est rejetée et que le peuple syrien mérite de sortir de ce sombre tunnel.
Deuxièmement, le retrait de l'influence iranienne de la Syrie est un résultat extrêmement important qui a changé le cours de l'histoire et de l'avenir de la région – non seulement pour la Syrie, mais aussi pour le Liban et la Palestine. Sans l'ingérence de l'Iran à Damas et ses conséquences dévastatrices, le statu quo antérieur n'aurait peut-être jamais changé. Un affaiblissement du nouveau gouvernement risquerait de favoriser un retour de l’Iran, soit en provoquant un chaos, soit en affaiblissant l’autorité de Damas.
Troisièmement, il est plus facile de réimposer des sanctions que de les lever, s'il s'avère que Damas ne respecte pas ses engagements. Inversement, ne pas les lever maintenant pourrait alimenter la rébellion et le chaos ou pousser Damas vers d'autres alliances qui augmenteraient les tensions régionales.
Quatrièmement, Israël est désormais la force dominante qui donne le ton dans la région. On ne peut comparer Damas à Kaboul ou le gouvernement Al-Chareh aux Talibans, qui n'ont pas de puissances voisines pour les contrôler. Damas est à la portée des forces israéliennes, qui jouissent désormais d'une grande influence et ont fixé des lignes rouges à leurs voisins en ce qui concerne les types d'armes, les distances et les positions. Israël est en effet devenu le garant de ses propres intérêts stratégiques. Le Liban est aujourd'hui un exemple de l'ingénierie sécuritaire israélienne.
Entre l'acceptation de la réalité du terrain, la crainte du chaos et le retour potentiel de l'Iran, l'option la plus sûre pour la communauté internationale et régionale est de donner à Damas ce dont il a besoin pour faire revivre ce pays dévasté. Chacun a le droit de poser des conditions qui assurent à la fois la stabilité de la Syrie et la sécurité de la région. La Syrie se trouve au cœur de la zone de crise et, si elle est laissée à elle-même, elle sombrera dans le chaos avec de graves conséquences. L'option la moins risquée reste de lui donner une chance, même si cela comporte des risques, car ils peuvent être gérés dans le pire des cas.
Les exigences américaines peuvent paraître maladroites en public, mais elles jouent en fin de compte en faveur de Damas.
Abdulrahman Al-Rashed
La coopération arabe avec Damas aujourd'hui, de près, vaut mieux que d'essayer de régler la situation plus tard. Si nous revenons dans un an ou deux pour essayer de réparer les dégâts, la relation sera probablement plus difficile à réparer. On peut dire qu'entre le 8 décembre (date de la chute du régime Assad) et aujourd'hui – entre craintes et espoirs – le gouvernement Al-Chareh a fait preuve d'ouverture et de volonté de coopération. Il est certain que l'on attend davantage de lui.
Les exigences américaines peuvent sembler gênantes en public, mais elles jouent en fin de compte en faveur de Damas. L'interdiction des combattants étrangers est une exigence pour tous les gouvernements et la lutte contre le terrorisme est une obligation internationale. Quant aux factions palestiniennes en Syrie, il s'agit en réalité de milices affiliées à l'ancien régime d'Assad, qui les a utilisées au Liban contre les États arabes. L'exception est le Hamas, qui n'était pas syrien.
On s'attend à ce qu'Al-Sharaa expulse tous ces groupes de son plein gré, comme l'a fait la Jordanie auparavant et comme le Liban tente actuellement de le faire avec les restes.
Qu'en est-il de la condition d'un accord avec Israël ? Il convient de rappeler qu'Al-Sharaa et ses ministres ont déjà parlé – avant même Trump – de leur volonté de le faire dans le cadre d'une initiative de paix arabe. Indépendamment des inquiétudes qui subsistent et sur lesquelles je ne m'étendrai pas ici, la région est capable de s'adapter et de changer et cela reste mieux que de laisser le pays sombrer dans le chaos, ce qui serait plus dangereux pour tout le monde.
Nous attendons du gouvernement de Damas qu’il en prenne pleinement conscience et qu’il s’abstienne de s’impliquer dans les conflits et jeux d’influence régionaux ou internationaux. Pour être juste, le président Al-Chareh a, à plusieurs reprises, exprimé dans ses déclarations son ouverture au dialogue avec tous les acteurs et sa volonté de se concentrer sur le développement et le progrès.
Abdulrahman Al-Rashed est un journaliste et un intellectuel saoudien. Il est l'ancien directeur général de la chaîne d'information Al-Arabiya et l'ancien rédacteur en chef d'Asharq Al-Awsat, où cet article a été initialement publié.
X: @aalrashed
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com