Tensions croissantes aux confins du monde

Le président russe Vladimir Poutine assiste au lancement d’un nouveau sous-marin nucléaire (Photo d’archives/AFP)
Le président russe Vladimir Poutine assiste au lancement d’un nouveau sous-marin nucléaire (Photo d’archives/AFP)
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Publié le Samedi 26 juillet 2025

Tensions croissantes aux confins du monde

Tensions croissantes aux confins du monde
  • Les puissances extérieures observent la région avec un intérêt croissant — au premier rang desquelles : la Chine
  • La communauté internationale doit agir dès maintenant pour préserver l’Arctique comme une zone de paix et de stabilité

Alors que le monde est confronté à de multiples foyers de tensions géopolitiques — des conséquences des frappes en Iran et de l’impasse des négociations entre l’Ukraine et la Russie, jusqu’à une flambée de violences inattendue entre la Thaïlande et le Cambodge — il est facile d’oublier une autre région où les tensions montent discrètement : l’Arctique.

Cette semaine, trois événements soulignent l’importance stratégique croissante de cette zone, ainsi que son potentiel à devenir un futur point chaud de l’instabilité mondiale.

Premièrement, des interférences dans les signaux GPS utilisés par les avions civils et commerciaux — y compris les hélicoptères de recherche et de sauvetage — ont été signalées près de l’archipel norvégien du Svalbard. Bien que le Svalbard ait été attribué à la Norvège par un traité des années 1920 après la Première Guerre mondiale, il reste un point de friction géopolitique entre la Norvège et la Russie. Les incidents d’interférence électronique dans cette région ont fortement augmenté depuis l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie en 2022 et la dégradation des relations entre Moscou et l’Occident qui a suivi.

Deuxièmement, la marine russe mène un vaste exercice maritime dans l’océan Arctique. Les autorités ont désigné une immense zone — équivalente à peu près à la taille des Émirats arabes unis — comme dangereuse pour les activités civiles. Cette zone d’exercice se situe dans une région maritime autrefois disputée avec la Norvège, rendant la localisation et le timing de ces manœuvres particulièrement provocateurs.

Troisièmement, le président russe Vladimir Poutine a personnellement assisté au lancement d’un nouveau sous-marin à propulsion et à armement nucléaires. Ces dernières années, ce type de sous-marins était généralement affecté à la flotte du Pacifique. Le choix de l’envoyer cette fois dans la flotte du Nord témoigne de l’importance stratégique que Moscou continue d’accorder à la région arctique.

Une région peu peuplée mais riche en ressources. 

                                        Luke Coffey

L’intérêt persistant pour l’Arctique n’a rien d’étonnant. Malgré une population clairsemée, la région regorge de ressources. On estime qu’elle abrite d’immenses réserves encore inexploitées de pétrole, de gaz et de minéraux rares. Elle contient également d’importants stocks halieutiques, essentiels à la sécurité alimentaire mondiale. À mesure que la région se réchauffe — fondant un peu plus chaque été — de nouvelles routes maritimes deviennent praticables. Ces voies émergentes pourraient bouleverser le commerce mondial en raccourcissant les trajets entre l’Europe et l’Asie, tout en contournant des points de passage stratégiques comme le canal de Suez ou le cap de Bonne-Espérance.

Mais cette nouvelle accessibilité accroît aussi les risques de concurrence et de conflit. Aujourd’hui, les huit États arctiques sont profondément divisés selon les lignes de fracture Est-Ouest traditionnelles. Sept d’entre eux — le Canada, le Danemark (via le Groenland), la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Suède et les États-Unis — sont membres de l’OTAN. La Russie, qui détient la plus grande part de territoire arctique, se retrouve isolée par ses propres actions. Son invasion de l’Ukraine a mis fin à la coopération au sein de forums multilatéraux tels que le Conseil de l’Arctique, qui permettait autrefois une collaboration sur des enjeux communs comme la protection de l’environnement, la réponse aux marées noires ou les opérations de sauvetage.

Depuis son retour à la Maison Blanche, le président Donald Trump a remis la question de la sécurité arctique sur la scène internationale — parfois de manière spectaculaire, comme avec sa proposition controversée d’acheter le Groenland, territoire danois situé stratégiquement au large de l’Amérique du Nord. Sa pression sur les alliés européens pour qu’ils investissent davantage dans leur propre défense a aussi eu des répercussions arctiques. Le Canada, la Norvège et le Danemark ont tous promis d’augmenter leurs capacités militaires dans la région. Même des membres non arctiques de l’OTAN, comme le Royaume-Uni, ont adopté des stratégies spécifiques pour l’Arctique et participent régulièrement à des exercices militaires dans la zone.

Pour la Russie, l’Arctique est plus qu’une stratégie : c’est une question d’existence.

                                                       Luke Coffey

Pour Moscou, l’Arctique n’est pas seulement une priorité stratégique, c’est un enjeu existentiel. La région a une résonance géographique, historique et culturelle profonde pour les Russes. Malgré les difficultés économiques, la Russie continue d’élargir sa présence dans l’Arctique, en rouvrant d’anciennes bases militaires de l’ère soviétique et en en construisant de nouvelles. Elle investit également dans des brise-glaces nucléaires, des systèmes de défense côtière et des unités militaires adaptées aux conditions extrêmes de l’Arctique.

Parallèlement, les puissances extérieures observent la région avec un intérêt croissant — au premier rang desquelles : la Chine. Bien qu’éloignée de plus de 1 200 km du cercle polaire, Pékin se désigne comme un « État proche de l’Arctique ». Ces dernières années, elle a tenté de renforcer son implication via le Conseil de l’Arctique, où elle détient un statut d’observateur. Mais, face à la paralysie de ce conseil causée par les agissements russes, la Chine s’est tournée vers d’autres leviers : elle s’associe désormais à Moscou pour investir dans l’énergie et les infrastructures maritimes de la région, notamment le long de la Route maritime du Nord. Cette présence croissante n’a pas échappé à Washington et a sans doute contribué à raviver l’intérêt des États-Unis pour le Groenland et, plus largement, pour l’Arctique.

L’avenir de l’Arctique aura des répercussions mondiales. Si d’autres routes maritimes, comme celles de la mer Rouge, restent instables, l’Arctique pourrait devenir une alternative cruciale. Mais plus la région devient accessible, plus elle risque d’être militarisée et disputée. Pour l’instant, l’Arctique demeure une zone de tension relativement faible. Mais cet équilibre est fragile.

Il serait erroné de croire que l’Arctique est déconnecté des grandes dynamiques géopolitiques mondiales. Qu’il s’agisse des tensions entre l’OTAN et la Russie, des ambitions globales de la Chine ou de la compétition pour les ressources stratégiques, tous les chemins mènent de plus en plus vers le nord. Et parce que tant d’acteurs sont impliqués — souvent rivaux — la région ne peut rester à l’écart des tendances mondiales plus larges.

La communauté internationale doit agir dès maintenant pour préserver l’Arctique comme une zone de paix et de stabilité. Cela implique de réaffirmer le principe selon lequel les décisions concernant cette région doivent être prises par les États arctiques eux-mêmes.

Dans l’Arctique, la souveraineté est synonyme de stabilité. Respecter la souveraineté de chacun, tout en étant prêt à défendre la sienne, est une manière efficace de garantir une paix durable.

L’Arctique ne fait peut-être pas la une de l’actualité, mais il façonne de plus en plus les calculs stratégiques des décideurs du monde entier. Il est temps que le monde prête une attention plus soutenue à ce qui se passe aux confins de la planète — avant que l’Arctique ne devienne le prochain théâtre majeur des rivalités entre grandes puissances.

Luke Coffey est chercheur principal à l'Institut Hudson. X : @LukeDCoffey

NDLR : les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News. 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com