Lorsque le ministre saoudien de l’Investissement, Khalid Al-Falih, a conduit une délégation de plus de 130 hommes d’affaires et investisseurs à Damas le 23 juillet, le moment ne pouvait être plus délicat. La visite, autorisée par le prince héritier Mohammed ben Salmane, a eu lieu alors que des violences confessionnelles secouaient la province de Sweida, faisant des victimes civiles, et que des frappes israéliennes visaient le ministère syrien de la Défense et les forces de sécurité stationnées à Sweida. Pourtant, cette initiative d’investissement de 6 milliards de dollars représente bien plus qu’un geste diplomatique ou économique passager. Elle incarne la doctrine politique durable du Royaume, fondée sur la compréhension et la coopération, plutôt que sur la confrontation et l’isolement.
Malgré les obstacles sécuritaires et économiques, l’engagement politique constant de l’Arabie saoudite pourrait marquer un tournant pour la stabilité et la reconstruction de la Syrie. Le Royaume voit en Damas non pas une opportunité distante d’investissement, mais un rempart essentiel contre le chaos régional.
Le Royaume considère Damas non comme une opportunité d’investissement lointaine, mais comme un tampon essentiel face au chaos régional.
Hassan Al-Mustafa
Grâce à une diplomatie active, l’Arabie saoudite a convaincu l’administration américaine de lever certaines sanctions économiques contre la Syrie et a plaidé pour l’intégration de Damas dans son orbite arabe. Cela place Riyad en position de force pour diriger une transformation graduelle en Syrie — non seulement pour son bien, mais aussi pour redéfinir l’ordre régional sur des bases solides : sécurité, développement, souveraineté.
La politique étrangère saoudienne vise à empêcher que la Syrie ne devienne un terrain de guerre pour les rivalités régionales, tout en œuvrant à un retour à la stabilité. Cette approche s’inscrit dans la vision plus large du Royaume en faveur de la sécurité et du développement dans la région.
Une priorité : améliorer les conditions de vie des citoyens syriens. Cela passe par la création d’infrastructures de base (santé, éducation, transport, télécommunications…) et par un gouvernement capable de contenir l’inflation, d’assurer le versement des salaires publics et de faire baisser le chômage.
Le plan d’investissement comprend 47 accords et protocoles d’entente, pour une valeur comprise entre 6 et 6,4 milliards de dollars — plus du double des 2,8 milliards investis en Syrie avant 2011. Les projets d’infrastructure et immobiliers représentent 2,93 milliards, tandis que les télécommunications et la technologie totalisent environ 1,07 milliard.
Les accords signés couvrent les secteurs du logement, du tourisme, de la santé, des loisirs et des infrastructures de base, avec notamment la construction de trois nouvelles cimenteries, ainsi que la première usine de ciment blanc du pays (environ 20 millions de dollars). Un projet immobilier majeur à Damas, la tour Al-Jawhara, est évalué à 100 millions de dollars.
Ces projets devraient suivre un calendrier précis et générer 50 000 emplois directs et 150 000 indirects. Ils devraient également stimuler l’intérêt d’autres investisseurs, l’Arabie saoudite jouant ici un rôle catalyseur.
Cette stratégie incarne ce que les analystes appellent le « confinement positif » : éviter que la Syrie ne sombre dans l’instabilité sécuritaire ou politique, tout en empêchant des puissances régionales de s’y engouffrer de manière destructrice — à l’image de l’intervention militaire israélienne actuelle.
Un tel équilibre impose de coopérer avec les nouvelles autorités syriennes sans froisser ni l’Iran ni la Russie, anciens soutiens d’Assad, tout en évitant la confrontation avec la Turquie et Israël, tous deux très impliqués sur le terrain. Cette ligne suit la nouvelle doctrine diplomatique saoudienne : stabilité, partenariat et désescalade.
La reconstruction de la Syrie est désormais l’objectif central. Pour attirer des investisseurs, le pays devra offrir un climat sécurisé, une gouvernance équitable, l’exclusivité du port d’armes à l’État, et un fonctionnement politique débarrassé des systèmes de quotas communautaires ou ethniques.
Le gouvernement syrien doit désormais démanteler les milices armées, résoudre les tensions confessionnelles et identitaires, créer des institutions modernes et engager un dialogue transparent qui promeuve une identité nationale inclusive.
Malgré l’optimisme de façade, les obstacles sont nombreux. La sécurité reste fragile dans le sud et dans les zones peuplées de Druzes, Kurdes et Alaouites. Le paysage politique est lui aussi instable : les dirigeants actuels sont souvent perçus comme au service d’intérêts transitoires, avec des politiques communautaires ou religieuses qui alimentent la méfiance.
La faiblesse institutionnelle représente un autre frein : des années de guerre ont détruit le cadre juridique syrien. Pour rassurer les investisseurs, il faudra reconstruire un système judiciaire fort.
L’Arabie saoudite joue, et continuera de jouer, un rôle constructif pour la stabilité de la Syrie. Mais le succès de cette démarche dépendra aussi de la capacité du régime syrien à créer un environnement fiable, à inclure la société civile dans le processus et à permettre aux citoyens syriens de participer à cette transition vers un État de droit.
Hassan Al-Mustafa est un écrivain et chercheur saoudien qui s'intéresse aux mouvements islamiques, à l'évolution du discours religieux et aux relations entre les États du Conseil de coopération du Golfe et l'Iran.
X : @Halmustafa
NDLR: les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com