L’Iran doit saisir le moment pour adopter une véritable diplomatie

Cette photo prise le 13 février 2019 montre le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Zarif lors d'une conférence de presse à Téhéran. (AFP)
Cette photo prise le 13 février 2019 montre le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Zarif lors d'une conférence de presse à Téhéran. (AFP)
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Publié le Samedi 23 août 2025

L’Iran doit saisir le moment pour adopter une véritable diplomatie

L’Iran doit saisir le moment pour adopter une véritable diplomatie
  • Zarif calls for a strategic shift in Iran’s foreign policy, urging a move from revolutionary, threat-based rhetoric to opportunity-driven regional diplomacy and partnerships
  • True regional integration requires Iran to address trust issues, including ending support for proxy militias and redefining the IRGC's role, to prove its commitment to stability and a genuine diplomatic future

Dans son dernier article publié dans le magazine Foreign Policy le 15 août, l’ancien ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif appelle à ce qu’il qualifie de « virage de paradigme ». Il estime que « le moment est venu d’une transition décisive, d’une approche centrée sur la confrontation des menaces vers une autre focalisée sur l’exploitation des opportunités ».

Cette phrase clé résume ce que Zarif souhaite proposer : s’éloigner de la rhétorique de la « menace perpétuelle » qui a marqué le discours iranien post-révolutionnaire, et s’ouvrir à de nouveaux partenariats, notamment avec les voisins du pays. Il insiste sur « l’élargissement des liens avec les voisins et les pays du Sud global, et un nouveau partenariat régional au sein de l’Asie occidentale musulmane ».

Zarif propose un déplacement conceptuel, d’un « paradigme de la menace profondément ancré » vers un « paradigme des possibilités habilitantes ». Une telle étape exige de modifier les piliers fondamentaux de la doctrine politique de l’Iran, notamment ceux relatifs à « l’exportation de la révolution » et « au soutien aux vulnérables », énoncés dans la constitution iranienne. L’Iran est ainsi intervenu dans les affaires internes de nombreux États du Golfe, ainsi qu’en Irak, au Yémen et au Liban, au nom de « la défense des opprimés » ou « la résistance ». Ces ingérences ont profondément tendu les relations avec ses voisins, qui ont toujours rejeté ces politiques. Le changement de « paradigme » nécessitera donc que l’Iran adopte une nouvelle posture, s’éloigne du discours révolutionnaire et embrasse une diplomatie conforme à la charte de l’ONU et au droit international.

Lorsque l’on lit l’article de Zarif sous un angle stratégique et dans le contexte de l’expérience politique de l’Iran et de la région, plusieurs questions clés surgissent : comment l'Iran peut-il rompre avec un discours imposé depuis 1979, fondé sur des bases idéologiques et révolutionnaires, et emprunter la voie d’une véritable diplomatie ? Qu’est-ce qui rend cette transition possible ou impossible ?

L’ancien ministre des Affaires étrangères met clairement en avant l’importance de s’ouvrir aux pays voisins en parlant d’un « nouveau partenariat en Asie occidentale ». Concrètement, cela pourrait prendre la forme d’un dialogue renforcé avec les États arabes du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite. Mais le problème fondamental demeure : l’absence de confiance mutuelle.

La proposition de Javad Zarif constitue un appel à repenser la trajectoire régionale.

                                            Hassan Al‑Mustafa

Les capitales du Golfe ont vécu directement les effets d’une influence iranienne négative ces dernières décennies. Le Koweït, Riyad et Manama ont aussi souffert d’activités menées par des cellules liées au Corps des Gardiens de la Révolution islamique : opérations de recrutement, entraînements aux armes, attentats contre des infrastructures vitales. Toute véritable « paradigme des opportunités » doit donc commencer par des mesures sincères de confiance. En priorité : mettre fin au soutien aux milices, maîtriser des comportements médiatiques incendiaires, et instaurer un mécanisme sécuritaire transparent de communication directe. D’autant que les États arabes du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, ont clairement et publiquement condamné l’attaque d’Israël contre l’Iran. Cette position repose sur la conviction du Royaume que le Moyen-Orient a besoin de paix, non de nouvelles guerres et violences.

Les décideurs du Golfe savent que l’avenir de la sécurité régionale dépend de trois questions directement influencées par l’Iran : le Yémen, l’Irak et le Liban. Ces trois pays reflètent la capacité de l’Iran à contrôler des acteurs locaux via des alliés qui lui sont étroitement liés. Au Yémen, aucun tournant stratégique n’est envisageable sans que Téhéran pousse les Houthis à conclure un accord global avec le gouvernement, incluant une trêve et la mise en œuvre d’une solution politique équilibrée.

En Irak, il est vital de redéfinir le rôle des Forces de mobilisation populaire et de restreindre le monopole des armes à l’État, pour empêcher qu’elles ne deviennent des outils d’influence transfrontalière. Ce sont des conditions nécessaires à toute ouverture économique régionale vers l’Irak et à l’afflux d’investissements susceptibles de développer le pays et de lui permettre de se relever des années de chaos, corruption et terrorisme.

Au Liban, le Hezbollah doit être réintégré dans un cadre national libanais global, la détention d’armes restreinte à l’armée libanaise, et l’usage du groupe militant comme relais contre Israël doit cesser. Ce sont des étapes cruciales qui montreraient la volonté de l’Iran de passer d’une logique de « confrontation permanente » à un « partenariat stable ».

Dans ce contexte, un des sujets les plus sensibles et problématiques peut être soulevé. Dans son article, Zarif adopte un langage diplomatique flexible. Cependant, il n’aborde pas une question fondamentale : comment peut-on instaurer un « partenariat régional » alors que le CGRI poursuit une stratégie expansionniste basée sur une doctrine révolutionnaire et des interventions par procuration ?

En effet, le CGRI est l’acteur-clé des questions liées aux missiles balistiques, aux drones et à la présence régionale. À moins que son rôle ne soit redéfini dans une nouvelle équation fixant une limite claire à son influence, personne ne croira que l’appel de Zarif constitue un véritable tournant stratégique, et l’article restera perçu comme un point de vue élitiste ou inefficace.

Pourtant, une réelle opportunité se présente. La réconciliation de 2023, parrainée à Pékin entre Riyad et Téhéran, a démontré que des canaux pouvaient être créés. Elle a aussi montré que les intérêts énergétiques et économiques des deux pays, de même que les liens religieux entre les peuples saoudien et iranien, pouvaient constituer une base solide pour tout accord. Ce serait d’autant plus vrai si les Iraniens abordent ces questions avec honnêteté et sérieux, sans duplicité dans la prise de décision ni retard dans l’exécution des engagements nécessaires.

Zarif considère qu’« il existe maintenant une fenêtre d’opportunité cruciale », soulignant que « l’Iran, avec Bahreïn, l’Égypte, l’Irak, la Jordanie, le Koweït, Oman, le Qatar, l’Arabie saoudite, la Syrie, la Turquie et les Émirats… doit saisir ce moment ». Il a raison, mais les observateurs de la politique iranienne estiment que le facteur décisif sera avant tout le comportement de l’Iran, sans négliger cependant les facteurs externes tels que le rôle perturbateur d’Israël.

La proposition de Zarif n’est pas dénuée de mérite. C’est plutôt un appel à repenser la trajectoire régionale, à la lumière du vaste mouvement réformiste en Iran et de la large portion de la population qui le soutient, désireuse d’améliorer la situation économique, de se libérer du fardeau des sanctions internationales, de l’isolement et de l’inquiétude constante.

Cependant, la valeur de cette idée se mesurera à la disposition des dirigeants iraniens à la transformer en une feuille de route exécutable s’ils veulent être une force de stabilité plutôt qu’une source de menace. Alors, la rhétorique employée par Zarif trouvera un écho auprès des élites des pays arabes voisins, et son article diplomatique se transformera en une vision stratégique porteuse de développement, coopération, stabilité et concurrence légitime, loin de la violence et du chaos.

Hassan Al-Mustafa est un écrivain et chercheur saoudien qui s'intéresse aux mouvements islamiques, à l'évolution du discours religieux et aux relations entre les États du Conseil de coopération du Golfe et l'Iran.

X : @Halmustafa

NDLR: les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com