L’Arabie saoudite adresse un message fort au Liban

Des soldats de l'armée libanaise portent le cercueil de Mohammad Shuqair lors de ses funérailles à Beyrouth, au Liban. (AP)
Des soldats de l'armée libanaise portent le cercueil de Mohammad Shuqair lors de ses funérailles à Beyrouth, au Liban. (AP)
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Publié le Mercredi 13 août 2025

L’Arabie saoudite adresse un message fort au Liban

L’Arabie saoudite adresse un message fort au Liban
  • L’Arabie saoudite a exprimé son soutien à l’armée libanaise, réaffirmant la nécessité de la souveraineté de l’État libanais sur l’ensemble de son territoire
  • Ce message s’inscrit dans une stratégie plus large de Riyad fondée sur la primauté de l’État sur les milices, visant à préserver la stabilité du Liban et à empêcher une nouvelle dérive confessionnelle

Le ministère saoudien des Affaires étrangères a présenté samedi ses « sincères condoléances à la République libanaise » après la mort et les blessures de plusieurs soldats de l’armée libanaise dans le sud du pays, alors qu’ils accomplissaient leur devoir. Dans son communiqué, le ministère a salué « les efforts de l’armée libanaise pour affirmer la souveraineté du gouvernement sur l’ensemble du territoire national, de manière à garantir sa sécurité, sa stabilité et à contribuer à la prospérité du Liban et de son peuple ».

Ce message dépasse le cadre d’un simple geste humanitaire ou d’une formule de condoléance formelle ; il reflète une position politique affirmée.

En substance, il réaffirme le rôle vital de l’armée libanaise comme pilier fondamental de l’État pour restaurer l’autorité, exercer un contrôle sur l’ensemble du territoire, protéger les frontières et l’espace aérien face à l’agression israélienne persistante, et maintenir la stabilité intérieure. Ce rôle sera d’autant plus crucial dans la phase à venir de « confiscation des armes » — sans doute la plus délicate — qui nécessitera la coopération de toutes les forces politiques afin d’éviter une escalade pouvant mener à un conflit confessionnel destructeur.

Depuis le déclenchement de la guerre civile en 1975 jusqu’à l’Accord de Taëf en 1989 — parrainé par l’Arabie saoudite — Riyad s’est positionnée comme un médiateur central entre les factions libanaises, œuvrant à mettre fin au conflit et à jeter les bases d’une stabilité politique durable. Par la suite, le Royaume a contribué activement à la reconstruction du centre-ville de Beyrouth, devenu symbole de la renaissance libanaise, en apportant un soutien financier et politique sans sectarisme.

Le Royaume n’a jamais établi ses relations avec le Liban sur des bases confessionnelles ou partisanes.

Ainsi, le roi Faisal entretenait des relations fondées sur le respect mutuel avec le président Sulaiman Frangié. Le 28 septembre 1971, le journal saoudien Al-Jazirah rapportait que Frangié avait organisé un dîner officiel à Baabda en l’honneur du roi Faisal. Une source libanaise soulignait alors que « les discussions officielles visaient à renforcer les liens de coopération et de fraternité, élargir les échanges commerciaux et encourager le tourisme. La situation arabe plus large figurait aussi à l’ordre du jour ».

Ce message dépasse le cadre d’un simple geste humanitaire ou d’une formule de condoléance formelle ; il reflète une position politique affirmée.

                                                       Hassan Al-Mustafa

Le roi Fahd, pour sa part, fut un soutien fidèle du Premier ministre Rafic Hariri — non pas par préférence confessionnelle, mais parce qu’il incarnait des valeurs telles que l’éducation, les bourses d’études et la reconstruction de l’État au service de tous les Libanais.

Quant au roi Abdallah, alors prince, il était proche de l’imam Moussa Al-Sadr. Des sources proches rappellent qu’il l’avait mis en garde contre un voyage en Libye, affirmant que « Kadhafi n’était pas digne de confiance ». Après la disparition de l’imam, il aurait mobilisé tous ses moyens pour aider sa famille à faire la lumière sur son sort.

Aujourd’hui, le roi Salmane maintient des liens anciens avec le Liban, notamment à travers les médias et les échanges culturels. Reconnu pour son érudition et sa passion des publications et bibliothèques, il a noué des relations durables avec de nombreux intellectuels, journalistes et écrivains libanais.

Ces liens durables et multiformes révèlent une stratégie politique cohérente : privilégier le dialogue avec les institutions nationales plutôt qu’avec des groupes confessionnels, dans le but de préserver l’unité libanaise et d’empêcher le pays de devenir un terrain de conflits internes.

En mars, le président Joseph Aoun a effectué sa première visite officielle en Arabie saoudite, où il a rencontré le prince héritier Mohammed ben Salmane. Les discussions ont porté sur des priorités stratégiques : le monopole des armes par l’État, le renforcement de l’armée, et le retrait des forces israéliennes du sud. Il a également été question de lever l’embargo saoudien sur les importations libanaises et de rouvrir les portes du Royaume aux touristes libanais.

Le Premier ministre Nawaf Salam s’est lui aussi rendu en Arabie saoudite et a participé à la prière de l’Aïd aux côtés du prince héritier — un geste symbolique fort exprimant une volonté commune de raviver les relations bilatérales sur la base de la confiance et de l’intégration.

L’engagement du Royaume au Liban ne vise pas des gains immédiats, mais la stabilité durable.

                                                           Hassan Al-Mustafa

Quel est le sens de cet engagement graduel de Riyad au Liban ?

La vision saoudienne repose sur le principe de « l’État avant la secte » et de « l’État avant les milices ». Elle se manifeste par un soutien clair à l’armée libanaise et une position ferme en faveur du monopole de la force légitime par l’État. Cette stratégie vise à stabiliser le Liban, le prémunir contre les conflits internes et construire un État souverain, capable de mettre fin à l’occupation israélienne, de permettre le retour des déplacés, et de relancer la reconstruction nationale.

La sécurité et la stabilité sont des conditions essentielles pour relancer le commerce, l’investissement et le tourisme, briser le cycle d’effondrement économique, et améliorer les conditions de vie des Libanais. Peu importe leur avis sur la provenance des fonds, ces derniers apporteraient espoir et dignité à un peuple épuisé.

Cette approche découle d’une vision à long terme. L’Arabie saoudite ne cherche pas des bénéfices de court terme, mais une stabilité durable en Méditerranée orientale et un rempart contre la propagation des conflits dans le monde arabe. Elle ouvre également la voie à de nouveaux accords régionaux ou cessez-le-feu susceptibles d’éviter les guerres futures.

Mais que peut faire le Liban à ce stade critique de son histoire ?

Si les élites politiques, culturelles et religieuses du Liban veulent réellement transformer cet intérêt saoudien — et plus largement arabe — en avancées concrètes, elles doivent s’engager dans des réformes profondes et crédibles. Celles-ci incluent : la souveraineté totale de l’État sur ses frontières et son armement, le renforcement de l’armée, l’abolition du système confessionnel, et un modèle de gouvernance débarrassé de la corruption et du clientélisme.

Il faut que chaque citoyen libanais se sente protégé par un État juste, réformé, et libéré de l’emprise des milices, du confessionnalisme et de l’économie de rente.

Hassan Al-Mustafa est un écrivain et chercheur saoudien qui s'intéresse aux mouvements islamiques, à l'évolution du discours religieux et aux relations entre les États du Conseil de coopération du Golfe et l'Iran.

X : @Halmustafa

NDLR: les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com