Désarmer le Hezbollah : la seule voie possible pour le Liban

Cela pourrait provoquer des fractures dans la société si la communauté chiite du Liban se sentait aliénée à la suite du désarmement du Hezbollah. (Reuters)
Cela pourrait provoquer des fractures dans la société si la communauté chiite du Liban se sentait aliénée à la suite du désarmement du Hezbollah. (Reuters)
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Publié le Vendredi 15 août 2025

Désarmer le Hezbollah : la seule voie possible pour le Liban

Désarmer le Hezbollah : la seule voie possible pour le Liban
  • La décision du gouvernement libanais de désarmer le Hezbollah marque un tournant historique vers la souveraineté nationale et la stabilité
  • Malgré une résistance attendue, notamment de la communauté chiite, le désarmement est jugé essentiel pour restaurer l’autorité de l’État libanais et mettre fin à des décennies d’influence extérieure et de divisions internes

Beaucoup ont longtemps soutenu que désarmer la milice libanaise du Hezbollah pourrait se retourner contre un pays aussi fragile. Mais l’histoire courte et tourmentée du Liban montre que même les acteurs qui ont influencé le pays et imposé leur domination idéologique et militaire sur l’État ont fini par devenir eux-mêmes une page tournée. Les efforts actuels du gouvernement libanais pour désarmer le Hezbollah doivent être soutenus par tous les Libanais, car seul l’État central peut garantir la sécurité, l’équité et la stabilité pour tous.

La semaine dernière, lors de deux réunions cruciales, le gouvernement libanais a fait un pas vers la commande de plans militaires à l’armée pour désarmer le Hezbollah ainsi que toute autre faction armée dans le pays. Personne ne se fait d’illusions : cette étape aurait été impensable avant 2025. Mais certains bouleversements majeurs au Moyen-Orient ont changé la donne pour le Liban.

L’un de ces changements a été la chute du régime Assad en Syrie, tombé en décembre dernier.

Le second a été la conséquence de la guerre menée — et perdue — par le Hezbollah contre Israël en soutien à Gaza. Cette défaite a décapité la direction de la milice et provoqué la mort de nombreux commandants de haut et moyen rang ainsi que de simples combattants. Elle a conduit la milice à conclure un cessez-le-feu avec Israël, sans passer par le gouvernement intérimaire de l’époque. L’accord comprenait le retrait des positions que la milice occupait au sud du fleuve Litani et la facilitation de la mise en œuvre de toutes les résolutions de l’ONU relatives au maintien de la paix dans les zones frontalières avec Israël.

L’initiative de désarmement de Beyrouth est naturelle pour un nouveau gouvernement qui veut reconstruire le Liban et mettre fin à la souffrance.

                                                 Mohamed Chebaro

Un autre facteur déterminant a été l’élection d’un nouveau président et d’un gouvernement libérés de toute influence étrangère. Le Liban a longtemps été victime d’interférences externes, directes ou indirectes, dans ses affaires internes comme internationales.

L’initiative de désarmement de Beyrouth est naturelle pour un nouveau gouvernement qui veut reconstruire le Liban et mettre fin à la souffrance provoquée par des politiques conçues pour affaiblir l’État et maintenir le pays dans une position de vassalité au service de ce qu’on appelait l’axe de la résistance.

La résistance de la communauté chiite libanaise, et de ses ministres au sein du gouvernement, est elle aussi naturelle. Hezbollah et Amal — les deux partis chiites dominants jusqu’en janvier dernier — sont sur le point de perdre l’influence qu’ils ont accumulée pendant plus de trois décennies. Lorsqu’ils étaient les seuls à pouvoir porter et stocker des armes au nom de la résistance à Israël, cela leur apportait des bénéfices importants pour leurs électeurs, dans tout le pays. Retirer ces armes signifierait aussi la perte des privilèges sociaux, économiques et politiques associés.

La réaction suscitée par une déclaration publiée sur X par Ali Akbar Velayati, conseiller aux affaires internationales du Guide suprême iranien, indique que l’influence de Téhéran sur le Liban est peut-être enfin en train de s’estomper. Il était autrefois impensable qu’un responsable libanais puisse parler d’« ingérence flagrante et inacceptable » de la part de l’Iran, suivie d’un conseil à ce dernier de se concentrer sur les besoins de son propre peuple.

La majorité des Libanais aspirent à ce que l’État garantisse sa souveraineté et le monopole de la force.

                                                         Mohamed Chebaro

La position plus indépendante du Liban est sans doute le fruit de la transformation qui bouleverse le Moyen-Orient depuis l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023 — une attaque dont les répercussions continuent de se faire sentir dans toute la région. Pour le Liban, cela a entraîné une guerre qui a affaibli le Hezbollah après deux mois d’attaques israéliennes, au terme desquels Israël a établi plusieurs postes d’observation à l’intérieur du territoire libanais, fin 2024.

La majorité des Libanais semblent vouloir que l’État assure pleinement sa souveraineté et le monopole de la force armée. Mais cette voie ne sera pas sans embûches ni dangers. Elle pourrait créer des divisions dans la société si la communauté chiite se sent marginalisée par le désarmement du Hezbollah. Il faudra rassurer cette communauté, mais uniquement dans le cadre du principe selon lequel le désarmement de toutes les factions armées est la seule voie permettant de restaurer l’État, la société et le système politique libanais.

À ceux qui s’opposent au désarmement du Hezbollah, il faut rappeler que des Libanais de nombreuses confessions ont, à différentes époques, tenté en vain de faire passer des intérêts idéologiques ou étrangers avant ceux de leur propre pays. Certains l’ont fait dans les années 1950 sous l’influence du nassérisme, manquant de peu de déclencher une guerre civile. D’autres ont accepté de sacrifier la souveraineté nationale pour permettre aux Palestiniens de libérer leur terre, en leur autorisant le port d’armes. D’autres encore ont accueilli à bras ouverts la tutelle du régime syrien après la guerre civile de 1975 à 1990, pour soi-disant prévenir les conflits communautaires. Et enfin, certains comme le Hezbollah ont embrassé une idéologie religieuse et adopté la résistance contre Israël, telle que promue par l’Iran, au détriment de la stabilité du pays.

Dans un contexte géostratégique complexe, avec un Israël renforcé, le désarmement du Hezbollah — même s’il découle d’un plan conçu par les États-Unis — doit être salué par tous les Libanais. Il représente une opportunité de sortir le Liban des aventures idéologiques de ses différentes communautés. L’appel du nouveau président et du nouveau Premier ministre doit être entendu. Peut-être alors que cette petite nation pourra enfin bénéficier d’une stabilité intérieure, capable de la protéger des épreuves extérieures et d’apporter à ses populations épuisées un peu de répit et de certitude après des décennies de discorde et de chaos.

Mohamed Chebaro est un journaliste libano-britannique qui a plus de 25 ans d'expérience dans les domaines de la guerre, du terrorisme, de la défense, des affaires courantes et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com