Le gouvernement israélien a perdu toute trace d’humanité

Les patients se reposent sur de minces matelas et des lits improvisés, entassés dans un service de fortune à l'hôpital Shifa de Gaza. (AP)
Les patients se reposent sur de minces matelas et des lits improvisés, entassés dans un service de fortune à l'hôpital Shifa de Gaza. (AP)
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Publié le Mercredi 20 août 2025

Le gouvernement israélien a perdu toute trace d’humanité

Le gouvernement israélien a perdu toute trace d’humanité
  • Le gouvernement israélien, en restreignant sévèrement l'entrée de nourriture et en ciblant les agences humanitaires, a provoqué une crise de malnutrition aiguë, entraînant des centaines de morts, dont de nombreux enfants
  • Malgré les traumatismes historiques du peuple israélien face à la faim, son gouvernement actuel nie la réalité sur le terrain et perpétue une politique inhumaine, suscitant une condamnation internationale croissante

J’ai grandi avec les histoires de la faim à la maison. Mes deux parents ont survécu, de justesse, à ce horrible destin pendant la Seconde Guerre mondiale. Ma mère était à Stalingrad et mon père dans un camp de concentration en Pologne, souffrant de ce processus lent et agonisant de dépérissement. Leurs récits, et ceux d’autres qui n’ont pas survécu, m’ont exposé dès mon plus jeune âge à ce type de cruauté, dont un groupe humain est capable envers un autre en temps de guerre et de conflit. Tragiquement pour l’humanité, nous avons totalement échoué à l’éradiquer.

La famine, si elle ne vous tue pas, induira des vulnérabilités graves à long terme sur le plan psychologique, psychique et sanitaire, et affectera négativement l’espérance de vie. Ayant passé mes années formatrices parmi ceux qui avaient souffert de la faim extrême et de ses conséquences, je me sens écœuré et bouleversé par les images de personnes affamées à Gaza. Cela me touche personnellement. Certains pourraient affirmer que cela évoque un traumatisme secondaire, et l’incapacité à accepter qu’aucune empathie ni compassion ne soient manifestées par le gouvernement israélien actuel, ni envers les très jeunes, ni les personnes âgées, ni quiconque là-bas.

Je peux déjà entendre le chœur des critiques qui compareront ce qui se déroule à Gaza à l’Holocauste. Je ne ferai pas cela, car ce n’est pas ce qui importe actuellement et ce n’est pas mon intention. Un être affamé, surtout lorsque son état est provoqué par l’homme et évitable, est la victime d’une brutalité qui n’a pas sa place dans une société civilisée.

Et ceux qui sont en mesure de l’empêcher mais ne le font pas doivent être tenus responsables. Pour une nation qui compte parmi ses citoyens tant de personnes ayant souffert de la faim — péries en conséquence ou ayant survécu — il y a une obligation et une attente de faire preuve d’une sensibilité particulière à son histoire récente et de refuser d’être, d’une quelconque manière, complice dans la famine d’autres personnes.

Hélas, ce n’est pas le cas. L’Organisation mondiale de la santé rapporte que la malnutrition à Gaza suit une trajectoire dangereuse, marquée par une hausse des décès en juillet :
“Parmi les 74 décès liés à la malnutrition en 2025, 63 ont eu lieu en juillet — y compris 24 enfants de moins de cinq ans, un enfant de plus de cinq ans, et 38 adultes … (et) leurs corps présentaient des signes clairs de dépérissement sévère.”
Au cours des deux premières semaines du mois dernier, plus de 5 000 enfants de moins de cinq ans ont été admis pour traitement externe de malnutrition, près d’un cinquième d’entre eux souffrant d’une malnutrition aiguë sévère.

Selon la plateforme Integrated Food Security Phase Classification, deux des trois seuils de famine ont été atteints à Gaza : effondrement de la consommation alimentaire et malnutrition aiguë. Les preuves s’accumulent que la « faim généralisée, la malnutrition et les maladies » entraînent une augmentation des décès liés à la faim — le troisième indicateur de famine — sans toutefois atteindre encore le niveau d’une famine officiellement déclarée.

Un être affamé, surtout lorsque son état est évitable, est la victime d’une brutalité qui n’a pas sa place dans une société civilisée.

                                                        Yossi Mekelberg

Le gouvernement israélien, et en premier lieu le Premier ministre Benjamin Netanyahu, nient l’existence de la faim ou de la famine à Gaza, ce qui a même irrité le principal soutien international du Premier ministre, le président américain Donald Trump. Netanyahu ne paraît guère crédible lorsqu’il affirme d’abord qu’il n’existe aucune grave pénurie alimentaire — malgré les preuves croissantes du contraire — puis qu’il accuse le Hamas d’être la cause de ces pénuries qu’il prétend pourtant nier.

En réalité, Israël aurait pu prévenir cette pénurie alimentaire aiguë en inondant, pour ainsi dire, Gaza de nourriture afin de contourner ceux qui chercheraient à contrôler le marché alimentaire, que ce soit par racket ou pour un gain politique, et ainsi les priver de tout levier sur la population gazouie. Pour satisfaire les besoins essentiels des 2,1 millions de personnes vivant à Gaza, il faudrait 62 000 tonnes de denrées alimentaires chaque mois. Dans une décision à la fois d’une cruauté extrême et d’un manque total de jugement, Israël n’a permis l’entrée d’aucune nourriture en mars et avril. Puis, sous la pression internationale, un filet d’aliments a été autorisé — mais à peine un quart des besoins requis. Cela a ralenti la plongée de Gaza dans la famine, mais ne l’a pas arrêtée. 

De plus, la décision israélienne de déclarer la guerre à l’UNRWA et à d’autres agences de l’ONU, les mieux placées pour fournir une aide humanitaire aux Palestiniens à Gaza — grâce à leur expérience et à la confiance dont elles bénéficient auprès de la population locale — s’est retournée contre elle. La tentative ratée de les remplacer par le Fonds humanitaire pour Gaza, soutenu par les États-Unis, s’est traduite par une quantité insuffisante de nourriture entrant à Gaza. Et, pour empirer les choses, selon l’ONU, au moins 1 373 Palestiniens ont été tués en cherchant de la nourriture — 859 près des sites de cette organisation et 514 le long des routes de distribution. La fourniture d’aide humanitaire par largages a été surtout un exercice de relations publiques, n’apportant qu’une fraction des quantités nécessaires, et ayant parfois entraîné la mort de ceux qui désespéraient d’obtenir de la nourriture. 

Voici les faits : sans une augmentation urgente, immédiate et substantielle de l’approvisionnement en nourriture et en médicaments, on risque de voir une montée exponentielle des décès dus à la faim — tandis que se déroule un marchandage politique sans cœur sur qui faut-il incriminer. Alors que les preuves de nombreux crimes de guerre à Gaza s’accumulent, c’est la famine de masse qui a finalement poussé la communauté internationale à faire part de ses graves inquiétudes et à exercer une certaine pression sur Israël — malgré des résultats limités — pour qu’il mette fin à cette politique inhumaine et commence à laisser entrer la nourriture. 

Il est simplement incompréhensible que ce gouvernement israélien ait pu perdre toute trace d’humanité et de moralité, sans parler du bon sens, et sombrer tellement bas qu’il prive des personnes — déjà frappées par des pertes et des souffrances incommensurables — de leurs moyens de subsistance les plus essentiels. Rien n’a autant uni le monde dans sa critique d’Israël, avant la guerre comme pendant celle-ci, que l’infliction de tels degrés de faim et de détresse à Gaza. 

Si les historiens du futur devaient retenir un seul aspect du conflit israélo-palestinien ayant poussé des pays occidentaux majeurs comme le Royaume-Uni, la France, le Canada — et même l’Allemagne, parmi d’autres — à reconnaître l’État palestinien ou à imposer un embargo militaire partiel, ce serait probablement la décision de ce gouvernement israélien actuel de considérer que laisser mourir de faim le peuple de Gaza est acceptable et pourrait servir les intérêts d’Israël. Personne d’autre ne partage ce point de vue. 

Alexander Soljenitsyne, l’auteur et dissident soviétique et russe incarcéré dans le système de goulag de Staline, a écrit sur cette expérience dans son livre Une journée d’Ivan Denissovitch : “Ce bol de soupe — il valait plus que la liberté, plus que la vie elle-même, passée, présente et future.” Ceux qui privent délibérément les gens de nourriture le font parce qu’ils veulent leur soumission totale — et c’est l’intention d’Israël à Gaza.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme Mena à Chatham House. X: @YMekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com