Le projet E1 d’Israël : une menace majeure pour la paix

Le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, et une femme tiennent une carte montrant le plan de colonisation E1 (File/Reuters).
Le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, et une femme tiennent une carte montrant le plan de colonisation E1 (File/Reuters).
Short Url
Publié le Mardi 26 août 2025

Le projet E1 d’Israël : une menace majeure pour la paix

Le projet E1 d’Israël : une menace majeure pour la paix
  • Le plan de colonisation E1 représente une menace existentielle pour la solution à deux États
  • L’inaction de la communauté internationale face au génocide à Gaza et à l’expansion coloniale israélienne, encourage le gouvernement israélien à poursuivre une politique d’apartheid et de déplacement forcé des Palestiniens, en toute impunité

La guerre menée par Israël contre les Palestiniens, concentrée depuis près de deux ans sur le génocide à Gaza, s’intensifie inévitablement aussi en Cisjordanie. Ne vous y trompez pas : pour les fanatiques de la « Grande Israël », y compris Jérusalem, c’est le cœur radioactif du conflit. Gaza est vouée à la destruction et ne possède aucune résonance biblique.

C’est pourquoi la volonté du Premier ministre Benjamin Netanyahu et du ministre des Finances Bezalel Smotrich de faire avancer le plan de colonisation E1 est une douce musique aux oreilles de leur électorat. Depuis environ trente ans, depuis l’époque d’Yitzhak Rabin, ce plan est leur rêve ardent, surpassé peut-être seulement, pour certains, par des visions de remplacement de la mosquée Al-Aqsa par un temple juif reconstruit.

Le projet E1 a toujours rencontré une opposition internationale déterminée, y compris de la part des États-Unis. Le président George W. Bush avait contraint Ariel Sharon à l’abandonner, et Barack Obama a fait de même avec Netanyahu en 2012. Le projet a été reporté mais, fait crucial, jamais annulé.

Pourquoi maintenant ? Surtout parce que les grandes puissances internationales ont fait preuve d’une lâcheté absolue en échouant à empêcher le génocide à Gaza, ce qui fait que les ministres israéliens ne voient plus aucun frein à leur avancée. Que feront les Européens ? L’administration Trump est favorable aux colons et ne formule aucune objection. Pire encore, un porte-parole du Département d’État américain a affirmé que E1 aiderait à stabiliser la situation, déclarant : « Une Cisjordanie stable assure la sécurité d’Israël et correspond à l’objectif de cette administration d’instaurer la paix dans la région. »

Il s’agit d’une apocalypse pour ceux qui aspirent à une solution à deux États incluant un État palestinien viable. 

                                                            Chris Doyle

Certains pensent qu’il s’agit simplement d’une réponse à l’annonce de la France, du Royaume-Uni et du Canada de leur intention de reconnaître l’État de Palestine. Mais c’est avant tout l’opportunité qui a été saisie. La faiblesse européenne est devenue le tournant décisif. Que le plan E1, selon les mots de Smotrich, « enterre l’idée d’un État palestinien » est un énorme avantage.

La preuve se trouve dans les réactions : les colons se moqueront du chœur des protestations et des communiqués sévèrement rédigés. Vingt-et-un ministres des Affaires étrangères ont signé une déclaration condamnant l’initiative. Le Royaume-Uni a convoqué l’ambassadeur israélien. Tout cela pourrait aussi bien être une invitation gravée à poursuivre sans retenue. Les communiqués ne suffisent pas.

Pendant des années, de nombreux États — en particulier européens — ont averti qu’il y aurait de graves conséquences si Israël allait de l’avant avec E1. Seules des sanctions peuvent changer la donne. Sinon, le mépris envers l’Europe va s’aggraver — et pas seulement en Israël. Netanyahu verra dans les lignes rouges européennes une fiction totale, et dans le droit international une blague. Et il n’aurait pas tort.

Des cyniques pourraient demander pourquoi un seul projet de colonie ferait une telle différence. Après tout, il existe déjà plus de 250 colonies, dont plusieurs sont devenues de véritables villes. Avec plus de 750 000 unités déjà construites, pourquoi quelques milliers de plus compteraient-elles ?

Il s'agit d'une apocalypse pour ceux qui aspirent à une solution à deux États incluant un État palestinien viable. Ce n'est pas le seul, mais c'est sans doute le plus destructeur. Il divisera la Cisjordanie en deux, nord et sud, tout en déconnectant Jérusalem-Est de l'arrière-pays palestinien en Cisjordanie, garantissant ainsi qu'il n'y aura pas de capitale palestinienne à Jérusalem.

N’oubliez pas que cette fragmentation ne concerne que les Palestiniens. Les Israéliens — y compris les colons — bénéficieront d’une continuité encore renforcée dans l’infrastructure des colonies illégales. Le régime d’apartheid — discrimination systématique contre les Palestiniens — ne fera que s’intensifier.

Les signes montrent que le processus d’approbation éclair sera suivi par des appels d’offres et des constructions tout aussi rapides. 

                                                        Chris Doyle

Un autre aspect de cette horreur sera le déplacement forcé accru des Palestiniens. Depuis des décennies, je visite les communautés de bergers vivant dans l’ombre d’E1. Des dignitaires internationaux sont venus, ont prononcé des promesses solennelles sur la protection de leur avenir. L’ONU estime qu’environ 18 communautés sont directement menacées par E1, alors que les colons intensifient la violence pour faciliter leur dépossession.

Il s’agit également d’une violation flagrante du droit international, notamment de la résolution 2334 du Conseil de sécurité de l’ONU. Les commanditaires et les responsables de ce projet seront-ils sanctionnés ? Des mandats d’arrêt seront-ils émis par la Cour pénale internationale ? Le bilan historique ne laisse guère d’espoir.

Cela va-t-il se concrétiser ? Difficile d’imaginer ce qui pourrait stopper cette machine coloniale. Les États européens craignent encore de contrarier Donald Trump. Si Netanyahu faisait marche arrière maintenant, il perdrait à coup sûr le soutien d’Itamar Ben-Gvir et de Smotrich, mettant en péril sa coalition.

Mais tous les signes montrent que le processus d’approbation éclair sera suivi par des appels d’offres et des travaux de construction rapides. Le chantier pourrait commencer dans quelques mois. Des figures comme Smotrich feront tout pour que cela avance.

Qu’en est-il alors du processus politique ? Revenir sur E1 ne serait pas impossible, mais hautement improbable. Cela laisserait une réalité d’un État unique encore plus évidente, avec Israël supervisant son régime d’apartheid. Une société palestinienne autrefois rurale et agricole serait concentrée dans des bidonvilles urbains de plus en plus densément peuplés, leurs terres confisquées par les colons.

Les Palestiniens n’auront pas le droit de vote, ni de droits reconnus. Ceux autorisés à rester le feront comme des étrangers résidents, soumis au bon vouloir des autorités israéliennes. Ils n’auront probablement même pas de passeport, encore moins la citoyenneté. Et comme à Gaza, Israël fera pression pour que beaucoup quittent définitivement le territoire.

Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique à Londres.

X : @Doylech

NDLR:  Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com