Le Liban pourrait être la clé d'un redressement mutuellement bénéfique de la Syrie

Le coût de la reconstruction en Syrie est estimé entre 250 et 400 milliards de dollars. (AFP)
Le coût de la reconstruction en Syrie est estimé entre 250 et 400 milliards de dollars. (AFP)
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Publié le Lundi 29 septembre 2025

Le Liban pourrait être la clé d'un redressement mutuellement bénéfique de la Syrie

Le Liban pourrait être la clé d'un redressement mutuellement bénéfique de la Syrie
  • Le Liban pourrait être la clé d'une reprise syrienne mutuellement bénéfique
  • Pendant ce temps, le Liban voisin est confronté à sa propre crise profonde ; il a besoin de 11 milliards de dollars pour se redresser après un conflit récent et un effondrement financier de longue durée

L'ampleur de la dévastation en Syrie après plus d'une décennie de guerre civile est presque incompréhensible. Le coût de la reconstruction est estimé entre 250 et 400 milliards de dollars.

Pendant ce temps, le Liban voisin est confronté à sa propre crise profonde ; il a besoin de 11 milliards de dollars pour se redresser après un conflit récent et un effondrement financier de longue durée qui a plongé plus de 80 % de sa population dans la pauvreté.

À première vue, l'association d'un État fracturé avec un autre peut sembler contre-intuitive. Pourtant, un examen plus approfondi révèle que leurs destins sont inextricablement liés. La communauté internationale est donc confrontée à un choix crucial : poursuivre une stratégie coordonnée qui reconnaît ce lien, ou risquer une approche cloisonnée qui pourrait perpétuer l'instabilité régionale.

Le rôle potentiel du Liban dans la reconstruction de la Syrie est ancré dans une symbiose économique profondément ancrée, bien que souvent difficile, qui perdure depuis des décennies. Le Liban a servi d'intermédiaire financier et commercial indispensable à la Syrie pendant les périodes où cette dernière était confrontée à l'isolement international, en particulier sous le régime Assad.

Jusqu'à son propre effondrement en 2019, le secteur bancaire de Beyrouth a facilité les transactions en devises et les envois de fonds des élites syriennes, en contournant un système financier sanctionné. Les ports maritimes et les aéroports libanais sont devenus des artères vitales pour le commerce syrien, avec plus de 250 camions entrant en Syrie chaque jour avant la guerre civile, transportant des marchandises finalement destinées à d'autres marchés régionaux via des itinéraires tels que le poste-frontière de Nassib en Jordanie.

Cette interdépendance commerciale a prospéré même pendant les 29 années de présence militaire de la Syrie au Liban, les entrepreneurs, ingénieurs et prestataires de services libanais ayant pris pied à Damas, Alep et Homs.

Ces relations historiques ont forgé une structure économique complémentaire. La main-d'œuvre migrante syrienne est devenue l'épine dorsale de secteurs entiers au Liban, dominant l'agriculture dans les régions de la Bekaa et du Akkar, et constituant une grande partie de la main-d'œuvre dans le secteur de la construction.

En retour, les services financiers et professionnels libanais ont permis aux entreprises syriennes d'accéder aux devises fortes, aux importations internationales et aux envois de fonds de la diaspora, fonctions que l'économie contrôlée par l'État n'était pas en mesure de remplir de manière fiable.

Le coût de la rupture de cette connectivité fonctionnelle est quantifiable et serait sévère. La paralysie économique actuelle au Liban crée des retombées déstabilisantes qui compromettent la reprise régionale. Ignorer cette histoire intégrée risque de fermer une voie viable pour la reconstruction de la Syrie, un pays qui a accumulé des milliards de dollars de pertes infrastructurelles et économiques, selon les estimations du Programme des Nations unies pour le développement, tout en mettant en péril un moteur potentiel pour la propre renaissance du Liban.

Les critiques diront le contraire, mais les mécanismes d'une récupération commune sont tangibles. La proximité géographique offre un avantage logistique tangible ; le port de Tripoli n'est qu'à 30 kilomètres de la frontière syrienne, offrant une voie d'approvisionnement directe vers les régions du nord, y compris Alep et Homs, où l'ampleur de la dévastation nécessite un montant estimé entre 35 et 40 milliards de dollars pour la seule reconstruction des habitations.

Bien que la Syrie s'efforce de développer ses propres infrastructures portuaires, avec notamment un terminal exploité par DP World à Tartus et un investissement de 260 millions de dollars de la société française CMA CGM dans l'expansion des installations à Lattaquié, il existe des obstacles systémiques : des échecs de gouvernance, des réseaux de corruption bien établis et l'appréhension des investisseurs en raison de l'influence militaire étrangère permanente.

Tripoli, en revanche, représente un point d'entrée plus viable, d'autant plus que les faiblesses institutionnelles en Syrie augmentent les risques de détournement de fonds et d'inefficacité. Les donateurs internationaux, qui ont déjà promis des milliards pour le redressement de la Syrie, y compris un engagement de 6,3 milliards de dollars de l'UE, pourraient à juste titre hésiter à acheminer les fonds directement par le biais des institutions du pays. Cependant, le Liban, malgré ses propres problèmes de gouvernance, peut offrir une plateforme intermédiaire plus transparente avec des cadres financiers et logistiques établis, bien qu'endommagés.

En outre, la vaste diaspora libanaise, qui a historiquement canalisé les envois de fonds, les investissements et l'expertise professionnelle dans le pays, représente un réseau prêt à être mobilisé pour compléter l'aide internationale à la reconstruction, offrant une couche de capital de confiance et de compétences dont les institutions fragiles de la Syrie sont actuellement dépourvues.

Toutefois, ce potentiel dépend entièrement de la capacité des autorités libanaises à mettre en œuvre des réformes intérieures radicales. L'effondrement du système financier du pays en 2019 a rendu la monnaie sans valeur et a piégé les économies des déposants, créant ainsi un obstacle fondamental.

Si les récentes mesures législatives, notamment un amendement aux lois sur le secret bancaire en avril de cette année et une législation sur la restructuration du secteur bancaire en juillet, représentent des progrès techniques sur ce front, elles n'ont pas encore abouti à la restauration des fonctionnalités de base ; les déposants restent bloqués hors de leurs comptes et la corruption systémique perdure.

Une Syrie stable a besoin d'un Liban qui fonctionne, et un Liban qui se rétablit a besoin d'une Syrie qui se reconstruit.

Hafed Al-Ghwell


En outre, l'incapacité de l'État à affirmer sa souveraineté par le biais du désarmement du Hezbollah continue d'éroder la confiance internationale, jetant le doute sur la capacité du Liban à servir d'intermédiaire fiable pour les centaines de milliards de dollars nécessaires au redressement de la Syrie.

En l'absence d'une gouvernance crédible et transparente, les besoins de reconstruction du Liban, qui s'élèvent à 11 milliards de dollars, détourneront encore davantage l'attention, garantissant ainsi que les deux nations resteront piégées dans un cycle d'instabilité.

L'incapacité à mettre en place une surveillance réglementaire indépendante et à garantir le respect des normes de lutte contre le blanchiment d'argent aura pour conséquence de contourner le Liban et de lui faire manquer cette formidable occasion de devenir un pilier essentiel du redressement de la Syrie.

Par conséquent, la reconstruction du port de Beyrouth, détruit par une explosion massive en 2020, n'est plus seulement un projet d'infrastructure, c'est l'épreuve décisive qui déterminera si le Liban peut ou non se gérer de manière responsable. La reconstruction efficace et transparente du port marquerait une rupture avec le passé, tout en rétablissant non seulement un point de transit essentiel pour les marchandises destinées à Damas et au centre de la Syrie, mais aussi la confiance dans les institutions libanaises, qui en a bien besoin.

Si elle est bien calibrée et exécutée, elle contribuera également à atténuer les difficultés qui justifient l'urgence d'une approche commune de la reconstruction. Le taux de pauvreté en Syrie s'élève à 90 % et 16,7 millions de personnes ont besoin d'une aide humanitaire. Dans le même temps, le produit intérieur brut du Liban s'est contracté de 40 % depuis 2019.

Si la reconstruction en Syrie finit par être dominée uniquement par des puissances extérieures, telles que la Turquie, ou par les mêmes réseaux économiques qui ont profité de l'ancien régime, elle reproduira les inégalités sociales et les maux qui ont déclenché le soulèvement initial en 2011.

De même, si le Liban poursuit son redressement de manière isolée, il ne parviendra pas à s'attaquer à la dynamique économique transfrontalière essentielle à sa renaissance.

En fin de compte, la question n'est pas de savoir si le Liban est actuellement la clé du redressement, mais s'il peut le devenir grâce à une pression internationale concertée et à une transformation interne. La communauté internationale doit reconnaître que l'investissement dans le redressement du Liban est également un investissement direct dans la stabilisation de la Syrie.

L'acheminement du financement de la reconstruction et de l'assistance technique par le biais d'un cadre libanais réformé accélérerait la reconstruction de la Syrie, tout en fournissant au Liban la bouée de sauvetage économique dont il a désespérément besoin.

Plus important encore, une approche conjointe crée également des incitations mutuelles à la bonne gouvernance dans les deux pays.

Traiter leur redressement comme des entreprises distinctes revient à ignorer la leçon fondamentale de la dernière décennie : l'instabilité ne connaît pas de frontières. Une Syrie stable a besoin d'un Liban qui fonctionne, et un Liban qui se rétablit a besoin d'une Syrie qui se reconstruit.

L'alternative est un cycle continu d'effondrement qui ne profite qu'aux agents du chaos.

Hafed Al-Ghwell est senior fellow et directeur de programme au Stimson Center à Washington et senior fellow au Center for Conflict and Humanitarian Studies.

X : @HafedAlGhwell

NDLR:  Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.