La relance verte doit être réfléchie plutôt que musclée

Un voyageur à l'aéroport de Francfort, en Allemagne, le 2 avril 2020. L'un des aspects positifs de la pandémie a été la forte baisse des émissions de CO2. (Reuters)
Un voyageur à l'aéroport de Francfort, en Allemagne, le 2 avril 2020. L'un des aspects positifs de la pandémie a été la forte baisse des émissions de CO2. (Reuters)
Short Url
Publié le Jeudi 18 mars 2021

La relance verte doit être réfléchie plutôt que musclée

 La relance verte doit être réfléchie plutôt que musclée
  • David Cameron a recommandé à Boris Johnson d'adopter une approche verte proactive et interventionniste de la relance économique post-coronavirus
  • Le changement d’administration à Washington et le retour immédiat des États-Unis à l’accord de Paris sur le climat laissent espérer que le président Joe Biden a l’intention de mener la bataille contre le changement climatique

David Cameron, l'ancien Premier ministre britannique, a presque disparu de la conscience publique depuis son départ ignominieux de la politique après le référendum sur le Brexit. Comme d’autres anciens dirigeants mondiaux, il a trouvé du réconfort en écrivant des mémoires, en rejoignant le circuit des conférenciers très bien rémunéré et en concentrant son activité politique à l’étranger.

Au cours de ses presque cinq années d'absence de la politique britannique, il a généralement évité de donner des conseils à ses successeurs, surtout en public. Mais il a récemment fait un bref retour dans la mêlée en recommandant à son ancien ami et désormais ennemi, l’actuel Premier ministre, Boris Johnson, d'adopter une approche verte proactive et interventionniste de la relance économique post-coronavirus (Covid-19). Ce type de recommandation n’est habituellement guère associée aux politiciens conservateurs, mais elle devrait guider les dirigeants bien au-delà des côtes britanniques.

La pandémie de coronavirus a déclenché des émeutes dans nos économies et nos sociétés, avec des conséquences dévastatrices: elle a nui aux moyens de subsistance de millions et de millions de personnes, a interrompu l’éducation de la prochaine génération et a affecté notre santé mentale individuelle et collective. Cependant, maintenant que les vaccins sont déployés à un rythme croissant et qu'un chemin vers la normalité semble s'ouvrir, il est également temps de se tourner vers la relance post-pandémique et de nous demander quelles caractéristiques de notre vie pré-pandémique méritent d'être conservées et quelles sont celles qu’il vaudrait mieux mettre de côté, y compris – et avec une certaine urgence – dans notre relation avec la planète Terre.

La forte baisse des émissions de dioxyde de carbone est l'un des aspects positifs de la pandémie de Covid-19. À un moment donné, l'année dernière, nos émissions mondiales quotidiennes de dioxyde de carbone ont chuté de 17% et, dans certains pays comme le Royaume-Uni et les États-Unis, de 32%. Les scientifiques s'attendent à voir une baisse de 5,4% des émissions d'une année sur l'autre en 2020, soit la plus importante réduction annuelle depuis la Seconde Guerre mondiale. Aucun accord climatique n'oserait fixer de tels objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. À la lumière des dommages causés par la Covid-19 à l'économie, il sera nécessaire, dans l'ère post-pandémique, de trouver un équilibre beaucoup plus délicat entre la facilitation d'une croissance rapide et la création d'emplois, sans perdre de vue certains impératifs environnementaux.

Des habitudes polluantes

Au cours de l'année dernière, en tant que société mondiale, nous avons changé certaines de nos habitudes polluantes. Nous avons constaté une réduction des voyages aériens et une utilisation moindre des transports en général, mais aussi une diminution considérable de la production industrielle. Le défi, et avec lui l'opportunité, à mesure que l'activité économique reprend progressivement, est de mettre l'accent sur une croissance économique sobre en carbone, et de donner la priorité aux énergies renouvelables, aux transports plus verts et à la réparation des dommages que nous avons déjà infligés à la nature. Il serait naïf d’espérer que la relance de l’activité économique ne verra pas également le retour de certaines de ses conséquences moins respectueuses de l’environnement. Cependant, au cours de l'année dernière, nous avons pris conscience du fait que, par exemple, tous nos vols à l'étranger ou les voyages intérieurs que nous effectuons dans nos voitures ne sont pas réellement nécessaires. Et tout aussi inutiles sont les montagnes de déchets que nous continuons à créer par pure indulgence. Par conséquent, une combinaison de coopération internationale et de législation sera nécessaire.

Mais, et cela s’avère tout aussi important, il doit y avoir un changement dans notre sensibilité individuelle et collective à nos priorités environnementales.

L'utilisation du mot «musclé» par Cameron lorsqu’il s’est adressé à Johnson le mois dernier était certes malheureuse; mais, s'il voulait dire qu’un effort déterminé et décisif devait être entrepris pour passer à des sources d'énergie renouvelables et respectueuses de l'environnement, son intervention ne devrait pas être négligée. En outre, il est vrai que les principaux pays industriels, qui sont responsables de la plupart des émissions de gaz à effet de serre, doivent faire preuve de leadership et affronter ceux dont les modes de vie, et parfois les moyens de subsistance, dépendent des combustibles fossiles bon marché. Le Royaume-Uni, en tant qu'hôte de la 26e conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP26) au mois de novembre, devrait être à l'avant-garde de ces efforts au lieu d'autoriser la construction d'une nouvelle mine de charbon dans le nord de l'Angleterre (bien qu'une enquête publique ait maintenant été ordonnée). Le charbon a été succinctement désigné la semaine dernière par l'envoyé américain pour le climat, John Kerry, comme «le carburant le plus sale du monde».

Bataille contre le changement climatique

Le changement d’administration à Washington et le retour immédiat des États-Unis à l’accord de Paris sur le climat laissent espérer que le président Joe Biden a l’intention de mener la bataille contre le changement climatique et de marquer une rupture significative avec l’approche de son prédécesseur. Il ne s’agit pas de rejeter les préoccupations qui concernent le coût du passage aux énergies renouvelables, ou seulement les inconvénients intermédiaires que la transition pourrait causer, mais plutôt de faire en sorte que le message – le fait que le changement climatique et ses conséquences environnementales soient les menaces les plus graves contre notre existence même, plus graves que la Covid-19 ne pourrait jamais l'être – se répande.

Cette dernière est la menace la plus immédiate qui pèse sur l'humanité, mais toutes les preuves scientifiques vont dans le même sens: à long terme, c'est le changement climatique d'origine humaine qui est le risque sanitaire mondial numéro un pour nous tous et pour la durabilité de notre planète.

Avant l'éclosion de la pandémie de coronavirus, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) avertissait que le changement climatique avait des effets graves et multiples sur la santé publique en raison de la qualité de l'air et de l'impact sur l'accès à l'eau potable et l'approvisionnement en nourriture suffisante et sûre. Selon l'OMS, entre 2030 et 2050, le changement climatique devrait causer environ 250 000 décès supplémentaires par an dus à la malnutrition, au paludisme, à la diarrhée et au stress thermique, avec un coût estimé à 4 milliards de dollars (soit 3,36 milliards d’euros) par an au cours de la prochaine décennie.

Il doit y avoir un changement dans notre sensibilité individuelle et collective à nos priorités environnementales.

Yossi Mekelberg

Il est ironique qu'il ait fallu une pandémie de cette ampleur pour créer cette opportunité rare de sortir de la débâcle avec une perspective écologique à long terme. Nous ne devons pas laisser passer cette chance, car elle pourrait représenter l’une de nos dernières occasions de nous éloigner de l’abîme environnemental. Au lieu de perdre du temps avec les négationnistes du changement climatique, il est grand temps de souligner les avantages économiques que constitue le fait d’investir dans les technologies renouvelables et de créer des emplois hautement qualifiés capables d'améliorer la condition humaine. C'est un changement dans un sens positif qui devrait également être réparti de manière plus égale dans le monde.

Dans un futur proche, nous continuerons à utiliser des voitures, avec ou sans chauffeur, mais une transition vers les véhicules électriques est inévitable, tout comme la reconnaissance du fait que l'aviation doit devenir plus écologique; que les villes devraient devenir vraiment conviviales pour les cyclistes, et moins polluantes; que nos bâtiments doivent être mieux isolés; et que l’empreinte carbone de notre alimentation doit être réduite. C'est là que réside un avenir durable, et l'avenir doit commencer maintenant.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à la Regent’s University de Londres, où il dirige le programme des relations internationales et des sciences sociales. Il est également membre associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux écrits et électroniques.

Twitter: @YMekelberg

NDLR: les opinions exprimées par les rédacteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com