Le régime iranien, pire ennemi de l'Iran

Des diplomates de l'Union européenne, de la Chine, de la Russie et de l'Iran lors du lancement des pourparlers au Grand Hôtel de Vienne. (AFP)
Des diplomates de l'Union européenne, de la Chine, de la Russie et de l'Iran lors du lancement des pourparlers au Grand Hôtel de Vienne. (AFP)
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Publié le Mardi 20 avril 2021

Le régime iranien, pire ennemi de l'Iran

Le régime iranien, pire ennemi de l'Iran
  • Dans le sillage des pressions exercées sur le régime iranien par l'ancienne administration Trump lorsque ce dernier s'est retiré du PAGC en 2018, les mollahs ont été confrontés à deux soulèvements majeurs dans le pays
  • C’est une première: Khamenei lui-même a reconnu mercredi que Téhéran avait besoin de conclure un accord

Cela fait bien longtemps que le régime iranien semble désespérément souhaiter, et de manière flagrante, relancer l'accord sur le nucléaire connu sous le nom de «Plan d'action global conjoint» (PAGC). Cette volonté découle des contraintes financières qui pèsent sur le régime, mais aussi de la lourde pression qu'il subit dans son pays.

Dans le sillage des pressions exercées sur le régime iranien par l'ancienne administration Trump lorsque ce dernier s'est retiré du PAGC en 2018, les mollahs ont été confrontés à deux soulèvements majeurs dans le pays. Désormais ruiné sur le plan politique et économique, le régime iranien prévoit d'organiser le 18 juin une élection présidentielle factice, avec des candidats soigneusement sélectionnés et approuvés par le Conseil des gardiens du Guide suprême, Ali Khamenei.

De surcroît, le régime iranien éprouve d'énormes difficultés pour continuer à financer ses milices et ses forces, tant à l'intérieur du pays qu'au-dehors. Ainsi Hassan Nasrallah, le dirigeant du Hezbollah – un mandataire de l'Iran désigné comme organisation terroriste par les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Ligue arabe, Israël ainsi que par d'autres pays – a-t-il appelé la population à faire des dons à son groupe. C’est en 2019 que Nasrallah a lancé cet appel, pour la première fois en plus de trois décennies.

Par ailleurs, le rial iranien a chuté à plus de la moitié de sa valeur en 2020. En raison de cette baisse, la devise iranienne compte aujourd’hui parmi les moins prisées du monde. Jeudi dernier, le rial était échangé sur les marchés parallèles à 240 500 pour 1 dollar américain (1 dollar = 0,83 euro). Les mollahs au pouvoir se trouvent eux aussi confrontés à l’un des pires déficits budgétaires depuis leur prise de pouvoir voici quatre décennies – un déficit estimé à 200 millions de dollars (166 millions d’euros) par semaine. Cette situation est susceptible d’aggraver l'inflation et de dévaluer davantage la monnaie nationale.

Tous ces éléments combinés laissent présager que le régime a cruellement besoin de l'accord sur le nucléaire, dans la mesure où ce dernier permettrait de lever les sanctions primaires et secondaires que les États-Unis imposent en Iran aux secteurs de l'énergie, des banques et du pétrole. Le retour à l'accord sur le nucléaire se traduirait par un afflux de plusieurs milliards de dollars dans la trésorerie du régime de Téhéran, ainsi que par un renforcement du commerce avec l'Union européenne et des investissements occidentaux dans le pays.

C’est une première: Khamenei lui-même a reconnu mercredi que Téhéran avait besoin de conclure un accord. Lors de son discours qui marquait le début du ramadan en Iran, il a déclaré: «Nous devons faire bien attention à ce que les négociations ne deviennent pas érosives. Cela ne doit pas devenir un moyen pour certaines parties de traîner en longueur, ce qui serait nuisible au pays.»

Téhéran a refusé d'emprunter la voie la plus commode; il a préféré accentuer ses menaces et ses chantages nucléaires.

Dr Majid Rafizadeh

Les dirigeants iraniens n'avaient qu'à agir les premiers en revenant aux engagements prévus dans l'accord sur le nucléaire s'ils souhaitaient réellement le relancer et bénéficier de la levée des sanctions. Si telle avait été la réaction des autorités iraniennes dès que Joe Biden est devenu président des États-Unis, le PAGC serait aujourd'hui en vie et l'establishment théocratique aurait prospéré, tant sur le plan économique que politique.

Mais le régime a refusé d'emprunter la voie la plus commode. Il a préféré accentuer ses menaces et ses chantages nucléaires. Dans un premier temps, il a amplifié les actes qui constituent une violation du PAGC, comme l'a confirmé l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) au mois de janvier dernier: «L'Iran a informé l'agence que, en vertu d’une décision légale votée récemment par le Parlement du pays, l'Organisation iranienne de l'énergie atomique produirait de l'uranium enrichi à 20% dans l'usine d'enrichissement de Fordow.» Et voilà que l'Iran produit à présent de l'uranium enrichi à 60% dans une autre installation souterraine. Le Parlement iranien est allé jusqu’à promulguer une loi selon laquelle le gouvernement est tenu d'expulser les inspecteurs nucléaires de l'AIEA.

Pour couronner le tout, le régime exige que les États-Unis, et non Téhéran, fassent le premier pas, ce qui nous ramène au paradoxe de l'œuf et de la poule. Ainsi, Khamenei aurait déclaré mercredi dernier que «la politique de l'Iran est déjà énoncée. Il faut commencer par lever les sanctions. Lorsque nous serons certains que cela sera fait, nous remplirons nos engagements».

S’il avait fait preuve de bon sens, le régime iranien aurait dû comprendre que le premier pas pouvait être fait par l'une ou l'autre des parties. En effet, la politique la plus avisée serait que l’Iran fasse lui-même le premier pas pour profiter immédiatement de la levée des sanctions.

Autrement dit, s’il fait le premier pas dans les négociations et s’il revient à ses engagements dans le cadre de l'accord sur le nucléaire, Téhéran sortira vainqueur. Or, l'histoire nous a appris que la République islamique est un acteur étatique qui n’est pas rationnel, mais plutôt révolutionnaire. Le seul modus operandi que ce régime maîtrise est le recours à la ruse, aux menaces, au hard power et à d'autres tactiques brutales.

En refusant de privilégier la diplomatie – et de faire le premier pas pour revenir à l'accord sur le nucléaire –, le régime iranien lui-même se révèle être le pire ennemi de son pays.

Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain diplômé de Harvard.

Twitter : @Dr_Rafizadeh.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com