Pourquoi les Iraniens rejetteront ce simulacre d’élection présidentielle

Des étudiants iraniens manifestent à la suite d’un hommage aux victimes du Boeing 737 d’Ukraine International Airlines devant l’Université Amirkabir de Téhéran. (Archive / AFP)
Des étudiants iraniens manifestent à la suite d’un hommage aux victimes du Boeing 737 d’Ukraine International Airlines devant l’Université Amirkabir de Téhéran. (Archive / AFP)
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Publié le Mercredi 02 juin 2021

Pourquoi les Iraniens rejetteront ce simulacre d’élection présidentielle

Pourquoi les Iraniens rejetteront ce simulacre d’élection présidentielle
  • Le scrutin, largement considéré comme une imposture, se déroule sur fond de soulèvements majeurs
  • Les responsables et les médias iraniens ont mis en garde contre le boycott électoral et ont évoqué la possibilité de lancer une répression encore plus agressive de la dissidence

L’élection présidentielle iranienne se tiendra dans moins de trois semaines et le Conseil des gardiens a approuvé la candidature de sept personnes. Les candidats à l’élection du 18 juin incluent des assassins de masse présumés, des corrompus, des gens sujets à sanctions européennes et américaines en raison de violations des droits de l’homme, d’autres impliqués dans des assassinats et des attentats à la bombe à l’étranger. Le favori présumé est Ebrahim Raïssi, qui a été l’un des principaux responsables du massacre de 30 000 prisonniers politiques en 1988.

Il ne serait pas étonnant que la majorité des Iraniens rejettent complètement cette élection. Divers responsables iraniens et médias d’État ont déjà mis en garde contre cette possibilité. De surcroît, le scrutin, largement considéré comme une imposture, se déroule sur fond de soulèvements majeurs.

Dans les derniers jours de 2017, des manifestations ont éclaté à Mashhad, deuxième ville du pays, avant de se propager immédiatement dans des dizaines d’autres villes, avec le changement démocratique comme slogan de ralliement. À l’époque, la présidente élue du principal groupe d’opposition iranien, le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), Maryam Radjavi, a appelé à davantage de manifestations à travers le pays, menées par des «unités de résistance» à l’intérieur de l’Iran.

Un autre soulèvement à l’échelle nationale a éclaté en novembre 2019 – et cela a représenté pour le régime un défi encore plus difficile à relever, les manifestations semblant être très organisées. Effrayés par l’ampleur et la nature organisée de ces soulèvements, les autorités ont ouvert le feu sur les manifestants, tuant environ 1 500 personnes.

La colère persistante suscitée par cette répression a peut-être alimenté le boycott des élections législatives de l’année dernière. Elle est également en train de devenir le facteur majeur d’un boycott éventuel du scrutin présidentiel du mois prochain.

C’est ce qu’a souligné une vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux, dans laquelle les mères de militants tués lors du soulèvement de novembre 2019 ont clairement indiqué que leur seul vote était pour le renversement du régime. L’une des mères en deuil a expliqué que les élections n’ont servi que de façade à la dictature théocratique au cours de quatre décennies. «Si notre vote était censé régler quoi que ce soit, cela se serait produit au cours des 40 dernières années, mais ce n’est pas le cas», a-t-elle déclaré. «Les 40 dernières années ont conduit au meurtre en masse de jeunes en novembre 2019, les plus grands trésors de cette terre.»

Les militants de l’opposition ont lancé une campagne nationale exhortant les citoyens à boycotter la farce électorale.

Dr Majid Rafizadeh

Ces dernières semaines, les retraités et les pensionnés ont organisé plus d’une douzaine de manifestations, chacune organisée sur plusieurs villes. Le gouvernement a offert peu ou pas de réponse à leur exigence que la politique économique réduise l’écart entre leur revenu qui stagne et l’augmentation des frais de subsistance. En conséquence, la plus récente de ces manifestations a adopté des slogans tels que: «Nous n’avons vu aucune justice; nous ne voterons plus.»

Des slogans similaires ont été repris par des manifestants qui ont attiré l’attention sur la perte de l’épargne des citoyens sur le marché boursier. Ceux dont les économies ont été volées ont rejoint les rangs massifs des Iraniens appauvris. Pour eux, il était clair que régime et hiérarchie politique avaient partie liée et ne laissaient personne tenter de réformer le système.

Le président actuel, Hassan Rohani, a été le porte-étendard du camp «réformiste» iranien au cours des huit dernières années, mais il ne s’est pas opposé au massacre de manifestants et n’a pas plus critiqué la poursuite de la concentration de la richesse nationale dans un petit nombre d’institutions, principalement contrôlées par le guide suprême iranien, Ali Khamenei, et le Corps des gardiens de la révolution islamique.

Le CNRI est l’un des principaux partisans du boycott électoral depuis de nombreuses années. En 2013, il a vivement repoussé le discours de certains cercles politiques occidentaux selon lequel un président «réformiste» pourrait apporter un changement significatif dans la conduite intérieure de l’Iran et ses relations avec la communauté internationale. Cette année ne fait pas exception: les militants de l’opposition ont lancé une campagne nationale exhortant les citoyens à boycotter la farce électorale. La grande majorité des Iraniens ont rejeté sans équivoque le discours réformiste et beaucoup ont suivi une évolution logique en approuvant le changement de régime et en œuvrant à sa réalisation à travers les soulèvements de masse en 2017-2018 et 2019.

Les responsables politiques occidentaux et l’ensemble de la communauté internationale devraient indiquer clairement qu’ils soutiennent tout effort du peuple iranien à s’opposer à la répression étatique et plaider pour la démocratie. Les responsables et les médias iraniens ont mis en garde contre le boycott électoral et ont implicitement évoqué la possibilité de lancer une répression encore plus agressive de la dissidence pour contrer ce qui pourrait représenter le plus grand défi à ce jour pour le régime des mollahs.

Seule la menace immédiate et écrasante d’une réaction internationale coordonnée peut garantir que tout soulèvement à venir ne connaitra pas la même ou pire effusion de sang que celui qui a eu lieu en novembre 2019. Si les responsables politiques n’exercent pas une telle menace, ils tourneront le dos au peuple iranien, consolidant ainsi la position d’une dictature nucléaire théocratique qui lutte désespérément pour trouver une bouée de sauvetage.

Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard.

Twitter: @Dr_Rafizadeh

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com