Un vent de changement dans les relations israélo-jordaniennes

Des soldats israéliens se rassemblent au poste de contrôle de la frontière israélo-jordanienne près de Moshav Tsofar dans la vallée de l'Arava, au sud du bassin de la mer Morte, le 30 avril 2020. Les agriculteurs israéliens ne seront plus autorisés à entrer dans une enclave agricole en Jordanie voisine, suite à l'expiration du bail d'Israël sur les terres frontalières. (Menahem Kahana / AFP)
Des soldats israéliens se rassemblent au poste de contrôle de la frontière israélo-jordanienne près de Moshav Tsofar dans la vallée de l'Arava, au sud du bassin de la mer Morte, le 30 avril 2020. Les agriculteurs israéliens ne seront plus autorisés à entrer dans une enclave agricole en Jordanie voisine, suite à l'expiration du bail d'Israël sur les terres frontalières. (Menahem Kahana / AFP)
Short Url
Publié le Samedi 31 juillet 2021

Un vent de changement dans les relations israélo-jordaniennes

Un vent de changement dans les relations israélo-jordaniennes
  • Pour Israël, la survie du régime hachémite en Jordanie est un pilier de la sécurité qui protège ses frontières Est
  • Pour Israël, une frontière pacifique avec la Jordanie est un atout important dans un environnement stratégique où l'instabilité et les conflits sont monnaie courante

L'élection d'un nouveau gouvernement en Israël a apporté un changement stratégique clé dans les relations du pays avec la Jordanie, et qui ont subi ces dernières années de graves revers.

Une grande partie de cette dégradation était due aux politiques belliqueuses et sans vision de l'ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou, en ce qui concerne les besoins et les faiblesses du royaume hachémite à sa frontière Est. Par conséquent, une récente réunion, tenue en secret, entre le nouveau Premier ministre israélien, Naftali Bennett, et le roi Abdallah de Jordanie, le premier sommet de ce type après des années de relations tendues, marque un tournant dans leurs relations.

Autre signe de rapprochement, le roi de Jordanie a appelé le nouveau président israélien, Isaac Herzog, pour le féliciter, les deux dirigeants s'accordant sur la nécessité de faire avancer la coopération entre leurs pays. Deux réunions successives de haut niveau semblent indiquer que les relations sont sur une trajectoire positive.

Même avant qu'Israël et la Jordanie ne signent un accord de paix en 1994, et bien que les deux pays aient été impliqués dans deux guerres majeures en 1948 et 1967, ils étaient les ennemis les plus réticents et ont coopéré dans les coulisses sur les questions de sécurité.

Pour Israël, la survie du régime hachémite en Jordanie est un pilier de la sécurité qui protège ses frontières Est.

Pourtant, malgré leurs intérêts communs, il existe des écueils évidents qui doivent être traités avec précaution. Tout d'abord, le conflit israélo-palestinien non résolu, ensuite, le statut de Jérusalem. Officiellement, près de trois millions de Palestiniens vivent en Jordanie, dont 2,2 millions enregistrés auprès de l'UNWRA, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés.

Cependant, les chiffres sont probablement encore plus élevés, car les Palestiniens constituent une minorité substantielle en Jordanie, et entretiennent des liens étroits avec leurs frères dans les territoires occupés par Israël.

En fin de compte, ce qui se passe en Cisjordanie et à Gaza est susceptible d'influer sur les relations israélo-jordaniennes, et au-delà des liens historiques et politiques entre la Jordanie et Jérusalem, des troubles dans les lieux saints pourraient avoir un impact important sur la stabilité du royaume hachémite.

Le traité de paix de 1994 était une conséquence naturelle de la coopération discrète entre les deux pays. Les accords d'Oslo entre Israël et l'OLP ont permis à la Jordanie et à Israël d’officialiser et de normaliser leurs relations. La Jordanie a renoncé formellement à toute revendication sur la Cisjordanie et laissé les négociations sur son avenir aux Israéliens et aux Palestiniens.

Pour Israël, une frontière pacifique avec la Jordanie est un atout important dans un environnement stratégique où l'instabilité et les conflits sont monnaie courante. Les bouleversements en Irak et en Syrie, ainsi que l'instabilité constante au Liban, ont tous été préjudiciables au tissu politique, social, et économique de la Jordanie, mais rien de tout cela n'a débordé en Israël.

Néanmoins, les décideurs en Israël, en particulier pendant les années Netanyahou, ont tenu les relations avec la Jordanie pour acquises, supposant, à la lumière de sa dépendance à l'égard du soutien des États-Unis et de sa fragilité démographique et économique, qu'Amman n'avait pas le luxe de défier Israël.

Dans une certaine mesure, les possibilités de changement pour les dirigeants jordaniens sont restreintes. Le pays accueille non seulement des réfugiés palestiniens, mais aussi environ 1,3 million de Syriens exilés. Par ailleurs, des ressources naturelles limitées, une économie en difficulté, un secteur touristique durement touché par la pandémie, ainsi que la fracture récente au sein de la famille royale, dictent des politiques de gestion de crise et de survie constantes, plutôt que des bonds en avant substantiels.

L'élection d'un nouveau gouvernement en Israël a apporté un changement stratégique clé dans les relations du pays avec la Jordanie, et qui ont subi ces dernières années de graves revers.

Yossi Mekelberg

Par conséquent, les avantages de l'accord de paix sous forme de relations commerciales transfrontalières sont importants pour la stabilité et le bien-être du Royaume. À savoir, la création d’emplois pour des milliers de Jordaniens, le travail conjoint sur l'approvisionnement en eau et en gaz naturel israélien, en plus de la coopération et du renseignement en matière de sécurité.

Malgré leurs intérêts communs, le retour au pouvoir de Netanyahu en 2009 a marqué le début d'une érosion des liens entre Israël et la Jordanie. Dans son arrogance, l'ancien dirigeant israélien a perçu les relations de pouvoir asymétriques avec Amman comme une autorisation pour dicter la nature de leurs relations, ignorant les risques pour la stabilité de la Jordanie. Il a de plus adopté une attitude irrespectueuse qui comprend un soutien tacite à la théorie de la droite israélienne selon laquelle la Jordanie devrait constituer le futur État palestinien.

Cette approche impudente s'est manifestée dans une série d'événements, notamment la décision d'Israël de revenir sur son engagement dans un accord signé avec la Jordanie et l'Autorité palestinienne, d’installer 180 km de canalisations reliant la mer Rouge à la mer Morte. Le retrait de l'accord, sachant que la Jordanie souffre gravement de pénuries d'eau, signifie qu'Amman a perdu aujourd’hui confiance dans les véritables intentions de son voisin.

Puis, en 2017, un agent de sécurité israélien a tué deux Jordaniens, dont un propriétaire civil, alors qu'il répondait à une attaque terroriste contre l'ambassade d'Israël dans la capitale jordanienne. Voir Netanyahou accueillir l’agent de sécurité en héros, quand la Jordanie l’a extradé, malgré le tollé général, a irrité le palais à un point tel qu’il a répondu en publiant son nom et ses informations personnelles, en violation du protocole diplomatique.

Les relations personnelles entre les deux dirigeants ne se sont jamais rétablies.

Mais c'est le triangle israélien-jordanien-palestinien qui reste un point de pression constant dans les relations israélo-jordaniennes. L'expansion par Israël de ses colonies illégales en Cisjordanie et la menace constante d'annexion de certaines parties de celle-ci (menace ayant été effacée par les accords d'Abraham), en plus des actes unilatéraux à Jérusalem-Est, ont fait monter la tension entre les deux pays, au point où des sources à Amman ont laissé entendre que la Jordanie envisage de se retirer de l'accord de paix.

Il ne fait aucun doute que le roi Abdallah a été heureux du départ de Netanyahou, mais il se demande toujours comment traiter avec un gouvernement dirigé par un Premier ministre de droite, dont la principale base de pouvoir est constituée des colons.

La rencontre entre Bennett et le souverain hachémite a été un premier signe positif, tout comme le consentement ultérieur d'Israël pour que la Jordanie lui achète 50 millions de mètres cubes d'eau supplémentaires et augmente la valeur de ses exportations vers la Cisjordanie de 160 millions de dollars à 700 millions de dollars par an. Les tensions entre les deux pays, compte tenu des environnements politiques complexes dans lesquels les deux opèrent, sont inévitables, mais il existe à présent de meilleures chances de les traiter de manière plus constructive, pour le bénéfice mutuel des deux parties.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne. Twitter : @YMekelberg

Clause de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com