L’attentat terroriste de Kaboul éclipse la rencontre Biden-Bennett

Le président américain, Joe Biden, rencontre le Premier ministre, Naftali Bennett, dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche à Washington le 27 août 2021. (AFP)
Le président américain, Joe Biden, rencontre le Premier ministre, Naftali Bennett, dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche à Washington le 27 août 2021. (AFP)
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Publié le Jeudi 02 septembre 2021

L’attentat terroriste de Kaboul éclipse la rencontre Biden-Bennett

L’attentat terroriste de Kaboul éclipse la rencontre Biden-Bennett
  • Naftali Bennett s’est vu accorder un entretien de moins d’une heure, ce qui est presque généreux au regard de ce qui se passe à Kaboul
  • Il semble fort peu probable que Joe Biden se lance bientôt dans une initiative de paix

Difficile de trouver la moindre circonstance atténuante pour justifier les comportements de Joe Biden en ce moment. On pourrait cependant lui pardonner sa mine fatiguée lors de son entretien la semaine dernière avec le Premier ministre israélien, Naftali Bennett. On dit que le timing est plus important que tout. M. Bennett n’aurait donc pu choisir de pire moment pour se rendre à Washington. Après tout, pour tout leader israélien, une visite à la Maison-Blanche est un événement particulièrement marquant qui permet des discussions directes sur des questions stratégiques d’une importance capitale pour le pays. C’est aussi l’occasion de poser le temps de quelques photos en serrant la main du président américain dans le Bureau ovale.

Cette fois-ci, cependant, les événements tragiques en Afghanistan ont éclipsé la visite de Naftali Bennett. Il s’agit de la semaine la plus difficile pour l’administration Biden depuis son arrivée au pouvoir, ne serait-ce que par l’ampleur de l’opération d’évacuation de masse à l’aéroport de Kaboul. Frappée par un attentat terroriste, elle a coûté la vie à des dizaines de civils afghans et de soldats américains. Cela a inévitablement retardé d’un jour la rencontre entre les deux dirigeants. Et même lorsque cette dernière a eu lieu, Joe Biden était sans doute préoccupé par le chaos laissé par les États-Unis en Afghanistan, ainsi que par les répercussions sur son pays et son propre mandat.

Toutes les visites des Premiers ministres israéliens à Washington sont à la fois le reflet de l’amitié solide et durable qui lie les deux pays et de l’engagement de Washington en faveur du bien-être de l’État juif. C’est aussi l’occasion de tenir des discussions stratégiques de grande envergure sur des sujets d’intérêt commun. La visite de M. Bennett s’est peut-être terminée comme prévu avec une déclaration ferme contre l’Iran. Mais ce qui la rend remarquable, c’est qu’il s’agit de la toute première visite d’un Premier ministre à Washington dans l’ère post-Netanyahou. Aucun président démocrate n’appréciait les rencontres avec le dirigeant de longue date qui était détesté en raison de ses longs discours arrogants sur la manière dont les États-Unis devraient mener leur politique étrangère et de ses frasques au Congrès pour promouvoir son programme politique.

Naftali Bennett, quant à lui, est inconnu à Washington. C’est le leader d’un petit parti qui, contre toute attente, a réussi à accéder au poste de Premier ministre pour une période de deux ans dans un système de rotation. Cependant, l’administration américaine, qui aspirait depuis longtemps à un changement de gouvernement en Israël, s’est quand même retrouvée avec un allié qui a une vision belliciste et sans compromis des Palestiniens et de l’Iran, alors que l’équipe de Joe Biden a une approche plus complexe des deux questions.

Joe Biden ne semble pourtant pas prêt à faire des déclarations ou à prendre des mesures qui nuiraient à la fragile administration israélienne et nourriraient ainsi l’ambition obsessionnelle de Benjamin Netanyahou de reprendre le pouvoir. Il fallait donc garder ces désaccords secrets et ne pas les rendre publics.

Lors de leur réunion retardée de vendredi, la possibilité du retour de Washington à l’accord sur le nucléaire avec l’Iran figurait en tête du dialogue. L’objectif commun des deux pays est d’empêcher l’Iran d’acquérir des capacités militaires nucléaires et, plus généralement, de restreindre ses politiques agressives dans la région qui constituent un danger non seulement pour Israël, mais aussi pour d’autres alliés des États-Unis au Moyen-Orient.

Joe Biden a fait une déclaration plutôt audacieuse à la fin de la rencontre. Il a précisé que si la diplomatie n’était pas suffisante pour que l’Iran renonce à son programme nucléaire, il y aura «d’autres mesures» pour atteindre cet objectif. Cette déclaration devrait se traduire par des politiques spécifiques pour prendre sens. La stratégie Trump-Netanyahou qui consiste à faire pression de manière continue et inflexible sur l’Iran n’a pas empêché Téhéran de se rapprocher encore plus de ses ambitions nucléaires. Il est à noter que l’option militaire n’est guère viable.

Il se peut que Washington ne revienne pas à l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien, non par manque de volonté mais en raison de l’élection récente d’Ebrahim Raïssi, un président conservateur et partisan de la ligne dure qui, avec les autres centres de pouvoir à Téhéran, forme un leadership intransigeant. Il est en outre assez inquiétant de constater que la performance américaine en Afghanistan ne risque pas de convaincre Téhéran que Washington a l’endurance nécessaire pour l’affronter.

Naftali Bennett s’est vu accorder un entretien de moins d’une heure, ce qui est presque généreux à la lumière de qui se passe à Kaboul. La rencontre a également eu lieu au cours d’une semaine durant laquelle l’administration américaine a eu du mal à faire approuver un projet de loi très controversé sur les infrastructures et le budget d’une valeur de 3 500 milliards de dollars, soit près de 3 000 milliards d’euros. L’attention limitée du président américain concernant les préoccupations israéliennes a permis – au grand soulagement de M. Bennett – d’éviter tout accrochage entre les deux dirigeants quant à la question palestinienne.

 

Joe Biden ne semble pas prêt à faire des déclarations ou à prendre des mesures qui nuiraient à la fragile administration israélienne.

Yossi Mekelberg

Certes, Joe Biden compatit avec Israël mais, contrairement à son prédécesseur chaotique et mal informé, il comprend bien la dynamique des rapports qui ne servent pas toujours les intérêts de son propre pays. Entre le classement du Moyen-Orient en général – et le processus de paix en particulier – qui se trouve plutôt au bas de la liste des priorités, ses préoccupations concernant d’autres sujets chronophages et sa réticence à affaiblir le fragile gouvernement israélien, Joe Biden a laissé Naftali Bennett quitter Washington sans aucune pression américaine concernant les négociations pour assouplir le blocus sur Gaza et améliorer les conditions de vie en Cisjordanie.

Joe Biden aurait cependant dû tirer une leçon des dernières hostilités à Gaza et des violents affrontements à Jérusalem, et comprendre que le fait d’écarter complètement la question israélo-palestinienne n’est pas une option viable. Les relations américano-palestiniennes ont subi un coup dur lors du mandat précédent. Il semble que M. Biden veuille changer cela en exprimant par exemple sa volonté de rouvrir le consulat américain à Jérusalem et de rétablir une partie de l’aide financière aux Palestiniens ainsi qu’à l’Office de secours et de travaux des nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) – deux programmes que l’administration précédente avait supprimés.

Pendant que la pandémie continue de faire rage aux États-Unis et que la Chine et la Russie figurent en tête du programme international, il semble fort peu probable que Joe Biden se lance bientôt dans une initiative de paix. Sa politique consiste à gérer la situation actuelle et à éviter la montée en puissance de conflits qui porteraient atteinte aux intérêts des États-Unis dans la région. Il veut également répondre aux critiques croissantes de l’aile gauche du parti démocrate qui est moins instinctivement partiale et pro-Israël.

À la fin de la rencontre, le langage corporel et les déclarations des deux dirigeants montrent qu’en dépit des désaccords, ils semblent prêts à établir des relations de travail constructives. Reste à savoir si l’administration américaine actuelle – malgré sa charge de travail accablante et sa tendance à éviter les affrontements avec Israël – sera un jour disposée à régler leurs différends, notamment en ce qui concerne la question palestinienne mais aussi sur la meilleure façon de traiter avec l’Iran.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale.

Twitter : @YMekelberg

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com