C'est un gouffre qui sépare Abbas et Bennett

Les discours prononcés à l’Assemblée générale des Nations unies par le président palestinien, Mahmoud Abbas, et le Premier ministre israélien, Naftali Bennett, ont été en opposition totale. (Fournie)
Les discours prononcés à l’Assemblée générale des Nations unies par le président palestinien, Mahmoud Abbas, et le Premier ministre israélien, Naftali Bennett, ont été en opposition totale. (Fournie)
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Publié le Mercredi 13 octobre 2021

C'est un gouffre qui sépare Abbas et Bennett

C'est un gouffre qui sépare Abbas et Bennett
  • L'Opinion de Yossi Mekelberg : Le discours d’Abbas à l'ONU a été un mélange de lamentations et de menaces
  • Bennett, pour sa part et lors de sa première apparition à l’Assemblée générale de l’ONU en tant que Premier ministre a répondu au discours d’Abbas en faisant totalement fi de la question palestinienne!

Les discours prononcés à l’Assemblée générale des Nations unies par le président palestinien, Mahmoud Abbas, et le Premier ministre israélien, Naftali Bennett, ont été en opposition totale. Une heure de route sépare les résidences officielles des deux dirigeants (sans compter le retard au poste de contrôle israélien si vous êtes Palestinien), mais leurs visions et leurs priorités politiques pour les relations entre leurs peuples sont à des années-lumière.

Abbas appartient à l’ancienne génération qui a mené un conflit armé contre Israël avant de devenir partenaire de paix. Cependant, alors que sa carrière touche à sa fin, le président donne l’impression d’être complètement désespéré. Au fond de lui, il sait que ses chances de conduire un jour son peuple à l’autodétermination, avec Jérusalem comme capitale d’un État palestinien indépendant, sont très minces, voire inexistantes. Son peuple est divisé et sur la scène internationale, la question palestinienne est en perpétuel déclin. Il est peu probable qu’un gouvernement israélien dirigé par un homme dont la carrière repose sur la promotion de l’expansion de colonies illégales dans les Territoires occupés donne à Abbas – ou à toute autre personne – l’espoir de sortir de l’impasse.

Les deux discours mettent également en évidence les statuts internationaux diamétralement opposés des deux entités. Israël est membre à part entière de l’ONU depuis 1949, tandis que l’Autorité palestinienne n’a obtenu son statut d’État observateur non-membre qu’en 2012. Cela peut ressembler à une amélioration, mais cette distinction montre surtout que, soixante-quatorze ans après le vote par l’ONU d’un plan de partage, seule une partie a acquis son droit à l’autodétermination et jouit des libertés qui l’accompagnent.

Le discours d’Abbas s’est révélé être un mélange de plaintes et de menaces. Il s’est lamenté sur les injustices faites aux Palestiniens, qui sont prêts à faire un compromis historique et à accepter qu’un futur État palestinien soit limité à la Cisjordanie et à la bande de Gaza – soit moins de la moitié des terres qui lui ont été allouées par l’ONU en 1947. Pourtant, l’occupation est plus enracinée que jamais, et les Palestiniens doivent cohabiter avec des militaires israéliens dont la présence est illégale, et subir et de perpétuelles violences physiques et verbales de la part des colons, avec le soutien de l’armée. Abbas et le système politique palestinien ne sont pas totalement irréprochables dans cette triste état des lieux, mais sa description du désespoir créé par les gouvernements israéliens successifs et les colons qui traitent les Palestiniens sans aucune compassion, en violant impunément leurs droits politiques et humains fondamentaux, est juste. Cependant, Abbas sait que, sur la scène internationale, il bénéficie actuellement d’une vive sympathie, mais d’un faible soutien concret. À ce stade de sa vie, c’est un leader de moins en moins soutenu dans son pays, à la tête d’une nation divisée, et qui n’a pas grand-chose à gagner en reprenant le conflit armé, alors qu’aucune initiative diplomatique n’est en vue.

Les deux discours mettent également en évidence les statuts internationaux diamétralement opposés d’Israël et de la Palestine

- Yossi Mekelberg

Cependant, bien que sa critique de l’inaction de la communauté internationale face aux injustices visant les Palestiniens soit exacte, Abbas est-il fermement convaincu que quelqu’un prendra l’initiative de changer la donne? Probablement pas. Il se sert donc des deux armes qu’il lui reste pour lutter contre Israël. La première est un avertissement aux Israéliens: leurs politiques conduisent à une solution à un seul État, et par conséquent à la fin du rêve sioniste d’un État juif et démocratique et à sa transformation en un régime d’apartheid. La seconde est un ultimatum d’un an lancé à Israël. Abbas a en effet appelé l’État hébreu à se retirer «du territoire palestinien qu’il occupait en 1967, y compris Jérusalem-Est», avant que l’Autorité palestinienne ne saisisse la Cour internationale de justice (CIJ) sur la question de la légalité de l’occupation. L’OLP suspendra alors sa reconnaissance d’Israël. Il serait naïf de croire qu’une telle solution puisse être mise en place en un an sans la participation active de la communauté internationale, et notamment de Washington. L’Autorité palestinienne a pourtant affirmé qu’elle ne coopérerait plus avec Israël, y compris en matière de sécurité, et œuvrera à jeter le discrédit sur le respect par Israël du droit international.

Bennett, lors de sa première apparition à l’Assemblée générale de l’ONU en tant que Premier ministre, a répondu au discours d’Abbas en faisant complètement fi de la question palestinienne! Pour lui, le peuple palestinien en tant que nation n’existe pas, et son sort ne mérite même pas que l’on s’y attarde. C’est comme s’il tentait de rivaliser avec son prédécesseur, Benjamin Netanyahou, en glorifiant l’État juif, le qualifiant de «phare de la démocratie» et de centre d’innovation, bien qu’il se trouve dans la «zone le plus difficile du monde». Dans un style très proche de celui de l’ancien Premier ministre, Bennett a préféré se concentrer sur l’Iran. Cependant, plus il a évoqué Téhéran, moins il a semblé convaincre qu’Israël avait une stratégie, hormis exiger que la communauté internationale en ait une. Il ne faut certes en aucun cas sous-estimer les graves défis que pose l’Iran, surtout que le pays est de plus en plus proche d’acquérir l’arme nucléaire. Il n’en demeure pas moins que, plus que tout autre problème auquel l’État hébreu est confronté, les relations avec les Palestiniens vont affecter la nature d’Israël, sa sécurité, son bien-être et ses relations avec le monde.

Le conflit israélo-palestinien est asymétrique, ce qui se reflète dans les discours des deux dirigeants. Alors que la partie la plus faible plaide pour un retour à la table des négociations et demande le soutien de la communauté internationale, la partie la plus forte, dans son audace, ne veut même pas reconnaître qu’il existe un problème à régler, celui de l’amélioration de la vie des Palestiniens, même s’il n’y a actuellement aucune initiative de paix. Bien sûr, les menaces d’Abbas de traîner Israël devant la CIJ à La Haye pourraient ne pas se concrétiser. Cependant, le plus grand rassemblement diplomatique du monde devrait réagir de manière adéquate à l’arrogance totale de Bennett, qui refuse même d’admettre qu’il existe un problème à résoudre. Et remettre le Premier ministre à sa place.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter : @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com