Le renvoi forcé des réfugiés syriens n’est pas la solution

Des manifestants protestent contre le durcissement de la politique migratoire du Danemark, à Copenhague, le 21 avril 2021. (Photo AP)
Des manifestants protestent contre le durcissement de la politique migratoire du Danemark, à Copenhague, le 21 avril 2021. (Photo AP)
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Publié le Mercredi 27 octobre 2021

Le renvoi forcé des réfugiés syriens n’est pas la solution

Le renvoi forcé des réfugiés syriens n’est pas la solution
  • Les nations qui accueillent des centaines de milliers de réfugiés syriens en ont assez du fardeau que leur imposent ces derniers, dans un contexte marqué par la détresse économique
  • Le Haut-Commissaire des nations unies pour les réfugiés est bien conscient des complexités inhérentes au droit des réfugiés et des garanties qui s’y attachent

La même question se pose toujours, et c’est la même réponse revient: les 5,5 millions de réfugiés syriens qui languissent dans les pays voisins peuvent-ils rentrer en toute sécurité dans leur pays? Cette interrogation risque de rester sans réponse en raison de l'ampleur du défi à relever, étant donné que les réfugiés syriens constituent la plus importante communauté de réfugiés du monde, si l’on fait exception des réfugiés palestiniens; elle se répartit sur cent vingt-sept pays à travers le monde.

Deux événements ont précipité le retour de cette question sur le devant de la scène: la visite de deux jours en Syrie, la semaine dernière, du Haut-Commissaire des nations unies pour les réfugiés (HCR), Filippo Grandi, et un rapport important publié par l'ONG Human Rights Watch (HRW). En outre, le conflit syrien semble de moins en moins perceptible; les médias s'en désintéressent. Cela fait quelque temps déjà que de nombreuses régions du pays vivent à l'abri des conflits armés. Par ailleurs, les nations qui accueillent des centaines de milliers de réfugiés syriens en ont assez du fardeau que leur imposent ces derniers, dans un contexte marqué par la détresse économique. Le Liban en est un exemple frappant.

Lors de cette visite, M. Grandi a rencontré le ministre syrien des Affaires étrangères, Faisal al-Mekdad. Le retour des réfugiés a été évoqué. M. Grandi a donc posté ce message sur Twitter: «Nous discutons avec le gouvernement syrien des moyens de renforcer notre coordination dans la gestion des déplacements internes et de coopérer pour lever les obstacles qui entravent le retour des réfugiés.»

Le chef du HCR est bien conscient des complexités inhérentes au droit des réfugiés et des garanties qui s’y attachent. Avant d'assumer ses fonctions actuelles, il a occupé le poste de chef de l'Office de secours et de travaux des nations unies (Unrwa), qui est chargé de fournir des services aux réfugiés palestiniens, notamment en Syrie.  Si son Tweet pouvait sembler malencontreux, il n'a pas été supprimé. Force est donc de constater que M. Grandi savait de quelle manière les réfugiés, le régime syrien et certains pays d'accueil allaient interpréter ses propos.

M. Grandi semble suggérer que des obstacles bureaucratiques ou physiques bloquaient le retour des réfugiés et que quelques décisions suffiraient à les supprimer. Pour que les choses soient claires, rappelons la position officielle du HCR: la Syrie n'est pas encore un pays sûr. Le Haut-Commissariat des nations unies a toutefois annoncé qu'il apporterait son soutien aux personnes qui souhaiteraient rentrer de leur plein gré en Syrie.

Venons-en au nouveau rapport de Human Rights Watch (HRW), intitulé «Our Lives Are Like Death» («Nos vies sont comme la mort»). Il explique avec précision les raisons pour lesquelles les réfugiés ne sont pas convaincus de pouvoir rentrer chez eux en toute sécurité. Il fournit par ailleurs des preuves qui attestent du sort de ceux qui ont osé rentrer en Syrie. Ce rapport se fonde sur des entretiens menés avec soixante-cinq réfugiés ou des membres de leurs familles dans la période qui a suivi le retour des exilés qui vivaient en Jordanie ou au Liban. Le document établit des constats qui avaient déjà été soulevés par un rapport publié le mois dernier par l'organisation Amnesty International.

Les données mènent toutes à la même réalité: l'obstacle, c'est le régime lui-même. On peut certes se demander à quoi pensait M. Grandi lorsqu'il a écrit ce Tweet. Mais, pour que cet obstacle soit surmonté, il est nécessaire que le régime change son comportement de manière radicale. Cependant, une telle initiative ne lui ressemble pas.

Tout d'abord, les Syriens qui ont fui le pays ces dix dernières années sont considérés comme suspects par le régime. Leur loyauté demeure contestée. Ainsi, les autorités syriennes ciblent tous ceux qui retournent au pays. Avec un peu de chance, ils auront droit à un entretien autour d'un «café». Le plus souvent, ils sont incarcérés, voire torturés et violés.  Selon un groupe syrien de défense des droits de l'homme, près de 15 000 Syriens sont morts sous la torture entre mars 2011 et juin 2021.

En deuxième lieu, les réfugiés sont choisis de manière arbitraire. On ne dit pas aux détenus pourquoi ni en vertu de quelle loi ils sont arrêtés. Avant de rentrer au pays, nombreux sont ceux qui cherchent à savoir s'ils sont convoqués pour un interrogatoire; mais, s'ils ne sont pas recherchés par une branche des moukhabarat (les services de renseignement des pays arabes), d'autres organes sont susceptibles de s'intéresser à eux. Les rapatriés risquent également d’être arrêtés par une milice à un point de contrôle. Les prisons ne renferment pas uniquement des opposants au régime. Au bout du compte, aucun réfugié n’est assuré d’être en sécurité.

Troisièmement, les propos et les actes admissibles en Syrie sont en constante évolution. S’il est parfois permis de critiquer légèrement le régime, à d'autres moments, la tolérance fait cruellement défaut. Les lignes rouges à ne pas franchir sont difficiles à déterminer, même pour les Syriens qui n'ont jamais quitté le pays. C’est donc encore plus vrai pour les réfugiés qui sont de retour: ils peuvent être réadmis dans leur pays ou rejetés.

La plupart de ces derniers hésitent à rentrer chez eux. Certains, en revanche, choisissent de rentrer de leur propre chef en raison des conditions de vie difficiles qui prévalent dans leurs pays d'accueil. Au Liban, plus de 90% des réfugiés syriens vivent aujourd'hui dans une pauvreté extrême. Il est difficile de déterminer avec précision combien sont rentrés chez eux dans la mesure où certains d’entre eux reviennent par des moyens illégaux.

La plupart des réfugiés hésitent à rentrer chez eux. Certains, en revanche, choisissent de rentrer de leur propre chef en raison des conditions de vie difficiles qui prévalent dans les pays d'accueil.

Chris Doyle

Selon les données du HCR, au moins 282 283 réfugiés syriens sont rentrés de leur plein gré d'Égypte, d'Irak, de Jordanie, du Liban et de Turquie entre 2016 et le mois de mai 2021. La hausse faramineuse des coûts observée au Liban, notamment en matière de soins de santé, a pesé dans la balance. Nombreux sont ceux qui ont pris conscience du fait que la situation n'avait pas changé en Syrie, contrairement aux assurances qu'ils avaient reçues, et ils en ont payé le prix. Ainsi, des responsables libanais ont affirmé à un réfugié que sa sécurité était assurée en Syrie: à son retour chez lui, la prison et la torture étaient au rendez-vous.

Les pays d'accueil – dont les économies sont au bord du gouffre – encouragent ardemment le retour des réfugiés. En effet, la Turquie renvoie de force des Syriens, le plus souvent dans les zones qu'elle occupe dans le nord de la Syrie ou dans d’autres qui sont contrôlées par des groupes auxquels elle est associée. Ces Syriens ne sont pas forcément originaires de ces régions et il leur est impossible d’y vivre en sécurité.

Les autorités libanaises ne cachent pas leur hostilité. Le Liban a expulsé sans ménagement des réfugiés syriens qui étaient soupçonnés d'être entrés de manière irrégulière dans le pays après le mois d’avril 2019. Au niveau local, certaines municipalités chassent les Syriens de leur territoire. En Jordanie, les réfugies bénéficient d'un statut plus favorable, quoique précaire.

Selon les témoignages communiqués à la HRW, les gardes-frontières jordaniens informent les Syriens qui se rendent en Syrie qu'ils ne seront pas autorisés à rentrer en Jordanie avant trois à cinq ans. Cette mesure constitue une violation du droit des réfugiés. Néanmoins, des États plus riches, comme le Danemark, ont retiré les permis de résidence aux Syriens, arguant que la Syrie était sûre, y compris Damas.

La façon dont sont gérées ces immenses populations de réfugiés syriens pose un défi pérenne dans la mesure où les donateurs internationaux, à bout de souffle, n'ont pu financer que la moitié de l'aide sollicitée par les Nations unies en 2020. Les communautés d'accueil pâtissent douloureusement des crises qui les frappent. Renvoyer les réfugiés en Syrie et les mettre à la merci du régime, au passé sanglant, ne sauraient remédier à la situation.

Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding (Caabu), situé à Londres.

Twitter : @Doylech

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.