Comment la Covid-19 a déclenché une pandémie de haine

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Publié le Vendredi 26 novembre 2021

Comment la Covid-19 a déclenché une pandémie de haine

Comment la Covid-19 a déclenché une pandémie de haine
  • Les propos haineux en ligne se manifestent de diverses manières: il peut s’agir de menaces violentes, d’insultes, de surnoms, de tropes, d’images ou de symboles
  • Certaines victimes ne voient tout simplement pas l’intérêt de dénoncer les abus parce qu’elles ne croient pas que les autorités ou les entreprises technologiques se mobiliseront

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, les propos haineux en ligne ont augmenté de 20 %. Telle est la conclusion d’un rapport publié au Royaume-Uni, mais le problème se manifeste ailleurs également. Il semble que la pandémie virale ait déclenché une pandémie de haine.

 Le rapport se base sur l’examen de deux cent soixante-trois millions de conversations en ligne au cours de neuf cent soixante-quatorze jours. Les propos haineux portent principalement sur la race, la religion, le genre et la sexualité. On assiste à une augmentation de 28 % des discours haineux racistes et ethniques au Royaume-Uni et aux États-Unis.

 Une grande partie de cette vague de haine est dirigée contre la population asiatique dans les deux pays, augmentant d’un taux alarmant de 1 662 % par rapport à 2019. Dans d’innombrables publications sur les réseaux sociaux, la Covid-19 est qualifiée de «virus chinois» ou de «grippe kung».

 Les propos haineux en ligne se manifestent de diverses manières. Il peut s’agir de menaces violentes, d’insultes, de surnoms, de tropes et d’images ou de symboles haineux comme les croix gammées. Ils se propagent généralement à la suite d’événements déclencheurs. Le Brexit en Grande-Bretagne a provoqué une augmentation des propos haineux, à l’instar désormais des élections dans de nombreux pays. Aux États-Unis, les propos haineux ont fait rage après le meurtre de George Floyd, notamment contre le mouvement Black Lives Matter.

L’anonymat en ligne permet aux racistes, misogynes et autres extrémistes de dissimuler leur identité. Les semeurs de haine sont des lâches et des extrémistes qui ne veulent pas avoir à justifier leurs visions venimeuses. C’est pour cette raison d’ailleurs qu’ils ciblent souvent les femmes à la fois en ligne et hors ligne. Selon un sondage d’opinion mené au Royaume-Uni, 72 % des personnes ayant subi des abus en ligne déclarent que ces derniers proviennent de comptes anonymes.

 Nombreux sont ceux qui font pression pour que les sociétés de médias en ligne puissent détenir les informations personnelles des titulaires de comptes et les mettent à la disposition des autorités judiciaires au besoin. Une autre option, qui serait bien évidemment préférable, serait un processus de vérification. Les utilisateurs pourraient décider d’être vérifiés et, par conséquent, de filtrer ceux qui choisissent de ne pas être vérifiés, permettant aux dénonciateurs et autres personnes désireuses de protéger leur anonymat de continuer à utiliser les réseaux sociaux.

 Malheureusement, il est prouvé que les propos haineux se traduisent par une violence hors ligne. Bien sûr, les crimes en ligne ne laissent pas de séquelles physiques, mais qu’en est-il du traumatisme émotionnel, dont les conséquences peuvent être nettement plus nuisibles que l’agression physique?

 Les réseaux sociaux ont un impact majeur sur les pays déchirés par la guerre et les conflits civils. Le niveau de haine est inouï, sans compter les cyberarmées déployées de toutes parts. En Afghanistan, Facebook n’a réussi à supprimer que 1 % des discours de haine, selon ses propres conclusions.

 Les talibans sont officiellement interdits en tant que groupe terroriste, mais les partisans des talibans n’ont aucun mal à exprimer leur haine.

 Et le monde arabophone dans tout ça? Ici, les algorithmes des grandes technologies semblent être encore moins efficaces. Selon un rapport interne de Facebook, seulement 6 % des contenus haineux en arabe sont détectés sur Instagram avant d’être publiés, contre 40 % sur Facebook.

 Les extrémistes de Daech utilisent habilement l’argot arabe pour contourner les algorithmes. Le géant des réseaux sociaux a probablement trop peu d’utilisateurs qui parlent l’arabe, le pachto et le dari, au point qu’il est impossible de se plaindre dans certaines langues locales.

 

«L’anonymat en ligne permet aux racistes, misogynes et autres extrémistes de dissimuler leur identité.» – Chris Doyle

 

Comment tout cela a-t-il bien pu se passer? Avant la pandémie, le rapport révèle que le pourcentage de propos haineux en ligne était élevé, mais stable. Alors pourquoi a-t-il augmenté en 2020? Va-t-il diminuer une fois que la pandémie prendra fin?

 Le pic peut s’expliquer en partie par le fait que nous avons tous été en ligne plus souvent pendant la pandémie. Partout dans le monde, les personnes confinées chez elles ont eu plus de temps pour se livrer au sectarisme. Au Royaume-Uni, les adultes britanniques ont passé 8 % de plus de temps en ligne en 2020 par rapport à l’année précédente. En période de grande détresse, les gens cherchent peut-être un bouc émissaire, un groupe à cibler et à blâmer. Mais ce n’est pas une explication suffisante.

 Le leadership politique – ou son absence – dans ce domaine a joué un rôle phare. Trop de populistes et de dictateurs ont cherché à attiser les flammes de la haine. Ils le font directement, souvent avec leurs propres mots, mais ils sont soutenus par des armées électroniques et des bots (logiciels) qui alimentent les tensions.

 Comme toujours, étant donné la complexité du problème, des solutions simples ne suffiront pas à le résoudre. Des études plus approfondies sont vitales. Les chiffres enregistrés sont trompeurs. De nombreux crimes ne sont pas signalés. Les gens sont intimidés. Certaines victimes ne voient tout simplement pas l’intérêt de dénoncer les abus parce qu’elles ne croient pas que les autorités ou les entreprises technologiques se mobiliseront. Pour d’autres, les crimes haineux ont tellement été normalisés qu’ils ne s’en soucient pas. Les autorités devraient donc créer un climat de confiance pour permettre aux victimes de se manifester.

 Sur le plan juridique, la situation est tout sauf claire. Les termes «crime de haine» et «discours de haine» ne sont même pas juridiquement définis dans la plupart des territoires. Il est donc difficile d'engager des poursuites judiciaires. Il faut ensuite se demander si les principaux réseaux sociaux sont des plates-formes ou des éditeurs.

 L’autre débat tourne autour de la tension inhérente entre les crimes de haine et le droit à la liberté d’expression. C'est particulièrement le cas aux États-Unis, où la liberté d’expression est un droit constitutionnel sacré. La genèse d’Internet a été célébrée comme un triomphe pour ceux qui n’avaient pas voix au chapitre – une façon d’ouvrir le débat à tout le monde.

 Cependant, Internet a été un formidable tremplin pour les semeurs de haine, les criminels, les extrémistes et les pornographes. En Allemagne, la loi sur le contrôle des réseaux sociaux de 2017 a suscité la colère de ceux qui militent pour la liberté d'expression. L’Allemagne, après la Seconde Guerre mondiale et l’expérience du nazisme, a mis en place les lois sans doute les plus strictes au monde en matière de discours de haine. Le gouvernement britannique fait adopter son propre projet de loi sur la sécurité en ligne qui inclura probablement des sanctions pénales à la fois pour les utilisateurs et les dirigeants d’entreprises technologiques.

 Les géants des réseaux sociaux doivent faire plus d’efforts. Ces derniers ne sont jusqu’à présent pas convaincants. S’ils ne sont pas à la hauteur, de nombreux gouvernements sont plus que disposés à les y contraindre. À l’heure actuelle, la confiance en leurs efforts s’effondre.

 Le torrent de haine a incité de nombreuses personnes à désactiver leurs comptes sur les réseaux sociaux. Aucun pays, société ou peuple n’est à l'abri de cela. Il s’agit d’une opération de nettoyage majeure qui se fait attendre depuis longtemps. Par-dessus tout, nous devons réfléchir à la manière dont nous pouvons nous engager avec plus de politesse et de réflexion en ligne.

 

Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres.

Twitter: @Doylech

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com