La limitation du mandat des premiers ministres pourrait être le plus grand legs de Netanyahu

L'ancien Premier ministre israélien et actuel chef de l'opposition Benjamin Netanyahu s'exprime à la Knesset, le parlement israélien, à Jérusalem le 11 octobre 2021. (AFP)
L'ancien Premier ministre israélien et actuel chef de l'opposition Benjamin Netanyahu s'exprime à la Knesset, le parlement israélien, à Jérusalem le 11 octobre 2021. (AFP)
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Publié le Mercredi 08 décembre 2021

La limitation du mandat des premiers ministres pourrait être le plus grand legs de Netanyahu

La limitation du mandat des premiers ministres pourrait être le plus grand legs de Netanyahu
  • L'un des débats sans fin dans tous les systèmes électoraux est de savoir si le mandat de ceux qui sont au pouvoir devrait être limité
  • Lord Acton avait déclaré: «le pouvoir a tendance à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument»

L'un des débats sans fin dans tous les systèmes électoraux est de savoir si le mandat de ceux qui sont au pouvoir devrait être limité, ou s’il devrait être laissé au peuple de prendre cette décision. Tant que les électeurs sont satisfaits de leurs dirigeants, pourquoi les dispositions constitutionnelles interféreraient-elles avec leur libre arbitre ?

L'ancien Premier ministre britannique Winston Churchill avait donné une justification à la limitation du temps des fonctionnaires en fonction, bien qu'il n'ait pas nécessairement mis en pratique ce qu'il prêchait, observant, avec l’esprit sarcastique qui était le sien, qu'« après un certain temps, les fonctionnaires civils ont tendance à cesser d’être des fonctionnaires et des civils. »

Un sentiment similaire avait été exprimé au 19e siècle par Lord Acton, qui avait déclaré que « le pouvoir a tendance à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument », et que le besoin constant d'apaiser l'électorat aboutirait à une concentration excessive du pouvoir et à la corruption.

Les pères fondateurs de l'Amérique étaient plus optimistes quant à la nature humaine et à la nature de leurs politiciens, et ont choisi de ne pas limiter les mandats des présidents et des sénateurs, pas tellement parce qu'ils pensaient qu'un manque de roulement dans la fonction publique n'est pas susceptible d’entrainer des abus de pouvoir, mais plus parce qu'ils faisaient confiance au jugement du peuple américain. L'ancien président américain Thomas Jefferson, par exemple, affirmait : « Je suis convaincu qu'il y aura pendant longtemps suffisamment de vertu et de bon sens chez nos compatriotes pour rectifier les abus ».

La preuve la plus récente d'un parlement n'exprimant qu'une confiance limitée dans la vertu des dirigeants cherchant à être indéfiniment réélus a été donnée à la Knesset israélienne qui a adopté, à une large majorité, la première lecture d'un projet de loi limitant le mandat des premiers ministres à huit années au plus. Bien que, de toute évidence, le nom de Benjamin Netanyahu n’ait pas été mentionné dans cette loi, ses « plus de 15 ans » au pouvoir y étaient omniprésents.

Ceci ne l'empêchera peut-être pas de revenir au pouvoir, car même si le projet de loi finit par devenir une loi, il ne sera pas appliqué rétroactivement. Néanmoins, le message envoyé par la Knesset était clair : la domination de Netanyahu sur la politique israélienne, marquée par un chaos populiste et un culte de la personnalité, et embourbée dans trois affaires de corruption qui sont actuellement devant les tribunaux, avait beaucoup à voir avec le fait qu'il était resté trop longtemps au poste de premier ministre.

Il y a des avantages évidents à limiter le mandat des élus en général, et plus encore dans un système politique très volatil comme celui d'Israël. Une loi de cette nature pourrait contrecarrer la concentration excessive du pouvoir entre les mains d'une seule personne et qui peut menacer les fondements mêmes du système démocratique.

 

Bien que le nom de Benjamin Netanyahu n’ait pas été mentionné dans la loi, ses plus de 15 ans au pouvoir y étaient omniprésents.

Yossi Mekelberg

 

Comme dans tout autre démocratie, les principes de séparation des pouvoirs et de freins et contrepoids visent à garantir qu'aucune branche du gouvernement ne deviendra trop dominante. L'expérience de l'ère Netanyahu était telle que, plus il restait au pouvoir, et plus il s'enfonçait dans son propre bourbier personnel d'enquêtes sur la corruption et de mises en accusation éventuelles,  plus il abusait de sa position dans ses tentatives d'influencer le système judiciaire et les organismes d’application de la loi, et d’interférer dans les nominations qui pourraient affecter l'issue de son procès.

De plus, par l'intermédiaire de ses lieutenants loyaux et irascibles surtout à la Knesset, il a paralysé le corps législatif national et l'a empêché d'être un outil constructif et efficace pour surveiller les activités du gouvernement, en particulier celles du Premier ministre lui-même.

Une autre leçon de l'ère Netanyahu est que, plus il était au pouvoir, plus il montrait une détermination obsessionnelle à ne jamais abandonner sa fonction de Premier ministre et à délégitimer tout candidat à ce poste, non seulement les candidats des partis rivaux mais aussi ceux de son propre parti, se comportant comme si, en vertu d’une loi divine, ce parti était le sien.

L'un des signes de ce détachement progressif de la réalité et, plus significativement, de tous les principes démocratiques, est qu'en dépit de son départ de ses fonctions, il y a plus de six mois, Netanyahu insiste toujours pour être désigné comme « premier ministre », même si la tradition de se référer aux anciens titulaires de ce poste avec le titre n’existe pas en Israël.

Dans son arrogance opportuniste, il remet aussi constamment en question la légitimité du gouvernement actuel, bien qu'il n'y ait aucune base, légale ou autre, permettant tout au moins de confirmer ses insinuations. S'il y avait eu une loi limitant le mandat du Premier ministre, cela ne se serait jamais produit et il aurait très probablement quitté complètement le paysage politique israélien.

Comme tout autre organisation politique, l'État a une mémoire institutionnelle et il retombe dans ses habitudes et son apathie. L'un des piliers d'un système démocratique réside dans les mécanismes qu'il crée pour une transition en douceur du pouvoir d'un gouvernement à l'autre, mais si de telles passations de pouvoir ne se produisent pas avec une certaine régularité, ces mécanismes sont alors rouillés et ne sont plus pertinents.

Cela se fait au détriment du pays. Puisqu'un changement de dirigeants finira par se produire, il y va du bien du pays que le système s'habitue au processus d'une manière qui assure la continuité. Le nouveau gouvernement israélien est entré en fonction quelques jours après la fin de la dernière série d'hostilités avec les Palestiniens, sans parler de nombreux autres défis. Ceci était un test pour un système politique qui n'avait pas connu de changement de pouvoir depuis plus d'une décennie, avec Netanyahu lui-même délibérément peu coopératif et parfois obstructif.

Certes, les limites sur les mandats sont davantage associées aux systèmes présidentiels où une quantité disproportionnée de pouvoir est concentrée entre les mains d'un individu, qu'aux systèmes parlementaires. Ainsi, en 1947, les États-Unis ont finalement adopté officiellement une tradition établie pour la première fois par George Washington, en introduisant le 22e  amendement pour limiter un président à deux mandats au maximum. En France, un président peut exercer au maximum deux mandats consécutifs de cinq ans chacun.

Dans les systèmes parlementaires, il y a le sentiment fort du fait que, vu qu'un gouvernement ainsi que la personne qui le dirige ont besoin, par la loi, de l'approbation du parlement, cela fournit une garantie suffisante contre les tendances autoritaires et que, par conséquent, il vaut mieux ne pas interférer avec les décisions prises librement par les électeurs.

Mais cette notion a été mise à l’épreuve ces dernières années par Netanyahu et nous avons vu qu'un système parlementaire, en particulier sous certaines conditions nationales et internationales, peut toujours être manipulé par un Premier ministre. Il faut donc féliciter la Knesset pour cette initiative visant à limiter la durée du mandat des futurs Premiers ministres israéliens, et à garantir le fait que, seule une majorité spéciale puisse modifier la législation.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale. Twitter : @YMekelberg

 

Avis de non-responsabilité : les opinions exprimées par les auteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com