Idlib, une épine dans le pied du grand plan d’Al-Assad pour la victoire

Idlib est censé faire partie de la zone de désescalade convenue par la Russie et la Turquie qui a été délimitée dans le cadre du cessez-le-feu mis en place en mars 2020. (AFP)
Idlib est censé faire partie de la zone de désescalade convenue par la Russie et la Turquie qui a été délimitée dans le cadre du cessez-le-feu mis en place en mars 2020. (AFP)
Short Url
Publié le Dimanche 09 janvier 2022

Idlib, une épine dans le pied du grand plan d’Al-Assad pour la victoire

Idlib, une épine dans le pied du grand plan d’Al-Assad pour la victoire
  • Un média pro-iranien a rapporté la semaine dernière que plusieurs réunions avaient eu lieu entre des agents de sécurité syriens et turcs à la fin de l'année 2021
  • Il est peu probable que les Émirats arabes unis développent leur rôle de médiateur entre le régime syrien et les pays arabes

La nouvelle année a commencé par d'intenses bombardements dans la province syrienne d'Idlib. Ce pilonnage a fait deux morts et dix autres blessés. Idlib est censé faire partie de la zone de désescalade convenue par la Russie et la Turquie qui a été délimitée dans le cadre du cessez-le-feu mis en place en mars 2020. Malgré ces attaques, on spécule sur le fait qu’il pourrait y avoir un échange de territoire entre le régime de Damas et la Turquie.

Les discussions sur un tel échange renforcent le tapage médiatique autour de la réhabilitation et de la réintégration de Bachar al-Assad dans la communauté internationale. Cependant, Idlib apparaît toujours comme une épine dans le pied dans cette perspective.

Un média pro-iranien a rapporté la semaine dernière que plusieurs réunions avaient eu lieu entre des agents de sécurité syriens et turcs à la fin de l'année 2021. Elles avaient prétendument pour objectif de faire revivre l'accord d'Adana de 1998, qui autorisait les forces turques à pénétrer jusqu'à 5 km en territoire syrien pour chasser les militants kurdes.

Le rapport affirme qu'un accord renouvelé permettrait à la Turquie d'étendre sa portée à 35 km sur le territoire syrien en échange du fait qu’Ankara remette le nord-ouest du pays au régime et cesse son soutien à l'opposition. Si les médias pro-iraniens désiraient propager ce discours comme un prélude à l'acceptation régionale d'Al-Assad – y compris par Recep Tayyip Erdogan, le président turc –, il est difficile de croire que le dirigeant syrien pourrait retrouver la situation dans laquelle il se trouvait avant 2011.

Mais certains pourraient se demander: pourquoi pas? Après tout, le Russe Vladimir Poutine et Erdogan, bien qu’ils appartiennent à des camps opposés dans divers conflits, du Caucase à l'Afrique du Nord, se sont accommodés l'un de l'autre. C'est pourquoi le terme «frères ennemis» décrit avec justesse la relation schizophrénique entre les deux hommes. Nous devons nous rappeler que l'incursion turque en Syrie s'est produite avec l'assentiment tacite de la Russie.

En outre, les précédentes confrontations entre le régime et la Turquie ont été stoppées par l'ingérence russe. Les affrontements entre le régime d'Al-Assad et les forces turques, au mois de janvier 2020, se sont arrêtés après une réunion Erdogan-Poutine.

Cependant, tous ces accords entre Poutine et la Turquie sont des cessez-le-feu momentanés et ne constituent pas une solution. Les deux pays montrent des intérêts divergents au sujet de la Syrie et ont des perceptions différentes de la menace, d'où la méfiance qui règne entre eux.

Il est difficile d'imaginer que ces deux États, bien qu'ils soient liés par l'accord de Sotchi de décembre 2018 et par le cadre des pourparlers d'Astana, s'entendent sur autre chose qu'une pacification momentanée. En dépit du fait que le média pro-iranien ait affirmé que les Émirats arabes unis avaient joué un rôle dans les prétendues réunions turco-syriennes, la tentative d'Abu Dhabi qui consistait à normaliser ses relations avec Al-Assad s'est heurtée à la résistance des États-Unis, qui ne veulent pas voir le président syrien légitimé.

Il est peu probable que les Émirats arabes unis développent leur rôle de médiateur entre le régime syrien et les pays arabes. La normalisation avec Damas a été refusée par le Qatar et l'Arabie saoudite. De surcroît, l'envoyé de Riyad à l'ONU a clairement déclaré qu'Al-Assad devrait être tenu responsable de ses crimes.

Il est difficile de croire que le dirigeant syrien pourrait retrouver la situation dans laquelle il se trouvait avant 2011.

Dania Koleilat Khatib

Dans le même temps, les États-Unis ont freiné l'appétit de la Turquie pour une opération militaire que les Forces démocratiques syriennes attendaient au mois d’octobre 2021. La politique américaine actuelle favorise le statu quo, mais le désengagement américain qui a été perçu dans la région a poussé les différents acteurs à trouver des arrangements entre eux – d'où cette spéculation sur un nouvel accord imminent qui accommodera les Kurdes, le régime, la Russie et la Turquie.

Même si tous leurs intérêts s'alignent et que les différentes parties parviennent à un arrangement, la situation est bien plus complexe que ce que suggérait initialement le média pro-iranien. Idlib ne peut pas être simplement échangé dans un accord entre les différentes parties. Idlib compte diverses factions d'opposition et il est impossible pour la Turquie de supprimer tous les «éléments extrémistes», comme le propose l'accord conclu en septembre 2018 entre Moscou et Ankara.

Ankara s'est plutôt concentré sur la lutte contre les éléments les plus radicaux, tels que Hurras al-Din, et cherche plus ou moins à isoler les combattants étrangers. L'éradication totale de l'extrémisme se révèle difficile en l'absence de solution politique définitive. Ainsi, même si elle le voulait, la Turquie ne pourrait pas neutraliser Idlib pour que le régime prenne le relais. Toute tentative de le faire par Damas entraînerait un bain de sang.

Quoi qu'il en soit, la Turquie n'a montré aucun signe selon lequel elle était prête à abandonner Idlib. En réalité, lors de la dernière réunion du processus d'Astana, le mois dernier, Ankara a présenté quatre conditions impossibles qui devaient être remplies avant de se retirer de la Syrie. L’une d’elles était que les différentes parties parviennent à un consensus sur la constitution afin de protéger les droits des différentes factions en Syrie.

D'autres conditions comprenaient l'organisation d'élections libres et équitables ainsi que la formation d'un gouvernement légitime. La condition finale était l'éradication de tous les groupes terroristes qui menacent l'unité du territoire syrien – une allusion aux Unités de protection du peuple (YPG). Ces conditions, particulièrement difficiles à respecter dans un avenir proche, sont une manière indirecte pour la Turquie de dire qu'elle ne se retirera pas de Syrie.

En outre, ce qui a été auparavant perçu comme des «échanges de terres» a été essentiellement le résultat d'opérations militaires. Par exemple, en août 2019, l'opposition a perdu Khan Cheikhoun, dans le sud de la province d'Idlib, au profit des forces russes, tandis qu'une incursion transfrontalière turque a gagné des positions à Tell Abyad et à Ras al-Aïn au mois d’octobre de la même année. Si de tels changements dans les positions militaires dans le passé ont été le résultat d'échanges de terres, pourquoi ont-ils entraîné une escalade militaire?

La vérité est que les Turcs et les Russes disposent de ressources limitées. Aussi se déploient-ils dans les zones dans lesquelles ils perçoivent l’intérêt le plus stratégique et où il est le plus efficace d’agir ainsi, tout en libérant les zones de moindre importance. Cela signifie que le scénario d'un grand échange de terres qui met fin à la guerre et désigne Al-Assad vainqueur du conflit syrien est très improbable.

 

La Dr Dania Koleilat Khatib est une experte des relations américano-arabes spécialisée dans le lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II. Elle est également chercheuse affiliée à l'Institut Issam Fares pour la politique publique et les affaires internationales de l'Université américaine de Beyrouth.

 

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.