Comment surmonter les dangereuses divisions de l'Amérique

Le président américain Joe Biden (Photo, AN).
Le président américain Joe Biden (Photo, AN).
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Publié le Mardi 25 janvier 2022

Comment surmonter les dangereuses divisions de l'Amérique

Comment surmonter les dangereuses divisions de l'Amérique
  • Très souvent, les représentants élus creusent les désaccords au lieu de les régler
  • L'une des raisons de l'échec de l’Amérique à apporter des changements est son obsession à l’égard de ce qui est fondamentalement un système bipartite

Un an après la tentative de coup d'État au Capitole, et un an après le début du mandat de Joe Biden, la société américaine est aussi perturbée qu'il y a douze mois – sinon plus, avec des divisions qui se creusent sur de nombreuses questions cruciales pour l'avenir de l'Union.
Cette discordance au sein de la société et la politique américaines est trop profonde pour qu'un président et son administration puissent la régler rapidement. Et cela ne peut être fait en modifiant simplement le système, mais plutôt en le révisant courageusement et en s'attaquant aux causes profondes du schisme.
Il faut d’abord reconnaître qu’il y a peu de convergence sur certaines des questions les plus fondamentales qui font un État et une nation, entre de larges pans de la société américaine et son système politique, et que très souvent, les représentants élus creusent les désaccords au lieu de les régler. Ainsi, c'est à mon avis une crise qui appelle un «moment de Philadelphie» – pas en rédigeant une nouvelle Constitution, mais en apportant des réformes à la Constitution actuelle en vue de répondre aux objectifs d'un acteur international majeur du XXIe siècle plutôt qu'à un État émergent à ses débuts, comme en 1787 lorsqu'il devint évident que sans un gouvernement central plus solide, le projet américain naissant était en danger.
La rédaction d'une Constitution n'a pas empêché la guerre civile au milieu du XIXe siècle, sachant que cela devrait servir d'avertissement clair sur le fait que laisser la situation actuelle s'envenimer, et la passer constamment sous silence, est susceptible de conduire à un point de rupture. En ce sens, les années Trump ont rendu service aux États-Unis, servant d’épreuve de vérité pour définir ce qui unit la nation. Pour la première fois depuis très longtemps, le mandant de ce président a montré clairement qu'il y avait moins de points communs que nécessaire entre ses citoyens et entre les différentes parties du pays pour qu'un État et un système politique fonctionnent avec un semblant d'unité, de direction et d’objectifs. Au lieu de cela, ces quatre années ont montré à quel point le pays est sensible à ce populisme creux et nationaliste qui s'est emparé des discours.
Le récent discours de Biden à Atlanta, appelant le Sénat américain à modifier ses règles d'obstruction systématique, était plus que toute autre chose un éclatement de la frustration absolue d'un président qui, après des décennies dans la politique, en tant que sénateur et vice-président, a atteint le sommet de la pyramide décisionnelle pour découvrir que son pays est devenu quasiment impossible à gouverner.
L'agacement du président face à la règle de l'obstruction systématique, qui nécessite une majorité de 60 voix au Sénat pour adopter un projet de loi, est compréhensible, sachant que l'obstruction systématique est un moyen pour les partis de perturber et de retarder l'exécutif et, en gros, de saboter et de paralyser l'administration pour leurs considérations politiques propres. Dans ce cas, l'irritation de Biden vise les Républicains du Sénat qui bloquent la Freedom to Vote Act (loi sur la liberté de vote) et la John Lewis Voting Rights Advancement Act (loi sur l'avancement des droits de vote de John Lewis), législation dont le seul objectif est de permettre à tous les Américains de voter, et de contrer ainsi un certain nombre d’États qui tentent de limiter l'accès au scrutin, en ciblant les minorités qui votent principalement démocrate.


«Cette discordance au sein la société et la politique américaines est trop profonde pour qu'un président et son administration puissent la régler rapidement.»
Yossi Mekelberg


Cependant, la principale question que les Américains devraient se poser se situe au-delà de ces textes législatifs spécifiques: comment est-il possible qu'après environ deux siècles et demi d'indépendance, il n'y ait pas de loi fédérale qui protège ce droit fondamental et garantit l'intégralité du système de vote? Pire encore, avec le trucage électoral, il existe un processus frauduleux qui permet aux politiciens des États de tracer les frontières de leurs circonscriptions politiques, et ce faisant, de truquer la volonté du peuple. Oui, la philosophie politique américaine s'oppose à un gouvernement central trop puissant, mais si cela signifie que la volonté du peuple peut être faussée et que les minorités peuvent être l’objet de discrimination, alors il doit y avoir un mécanisme pour protéger le droit de vote au-delà de l'autonomie de chaque État en particulier.
L'une des raisons de l'échec de l’Amérique à apporter des changements est son obsession à l’égard de ce qui est fondamentalement un système bipartite, alors qu'un système multipartite pourrait mieux la servir. Dans un monde idéal, avoir deux grands partis permet à chacun d'inclure un large éventail d'opinions tout en projetant une idéologie unie et cohérente. Mais en réalité, c'est une recette pour bloquer, voire paralyser l'ensemble du processus politique, et qui est particulièrement inadaptée dans un monde en évolution rapide exigeant une prise de décision opportune, déterminante et souvent urgente sur les questions les plus fondamentales.
En revanche, un système multipartite, qui offre aux électeurs des options plus distinctes et confère aux partis des capacités à l'échelle nationale, peut générer une meilleure gouvernance qui serait susceptible de voir la situation dans son ensemble, et serait moins limitée et moins sensible à ses bords extrémistes. C’est hallucinant qu'un an après, il y a encore tant de Républicains élus qui sont prêts à remettre en question la légitimité de l'élection présidentielle de 2020, et sont tout aussi peu disposés à condamner la violente tentative de coup d'État de janvier dernier, qui avait été activement encouragée par un président en exercice dans les dernières heures de sa présidence. Cela met en relief un système politique gravement malade ayant besoin de bien plus qu'un pansement.
L'une des idées lancées la semaine dernière par l’éditorialiste du New York Times Thomas Friedman – bien que quelque peu sur le ton de la plaisanterie – était d'imiter l’actuel gouvernement israélien, qui est composé d’une coalition hétérogène, et de rechercher une équipe présidentielle en contraste évident, comme Joe Biden et Liz Cheney. L'expérience israélienne, menée essentiellement par nécessité, est loin d’être une formule magique dont il convient de suivre l’exemple. Par ailleurs, le fait de mettre ensemble deux candidats qui ont peu de choses en commun, en tenant surtout compte du déséquilibre de pouvoir entre un président et son second, n'offre guère aux États-Unis un moyen de parvenir à un consensus.
Tout «moment de Philadelphie» devrait dépasser les anesthésiques locaux. Il devrait courageusement réévaluer, dans l'esprit des pères fondateurs de l'Amérique, les arrangements constitutionnels ayant trait aux questions les plus fondamentales qui divisent la nation. Il devrait aborder les bonnes questions telles que le problème de savoir si les présidents doivent être élus à la majorité plutôt que par le biais du système actuel de collège électoral; de l'interprétation du deuxième amendement; du droit à des soins de santé gratuits ou au moins abordables; de l’avortement; de l'abolition de la peine de mort; et de la façon dont la politique étrangère est menée.
Un débat national sur ces questions, entre autres, pourrait constituer un premier pas vers un apaisement des divisions dangereuses au sein de l'Amérique, avant que les choses n’échappent à tout contrôle.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) à Chatham House.
Twitter: @YMekelberg
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