L'unité de l'Occident et sa capacité à agir de concert va-t-elle durer?

Alexander Litvinenko, après avoir été empoisonné au polonium-210, University College Hospital, Londres, 20 novembre 2006 (Photo, Arab News).
Alexander Litvinenko, après avoir été empoisonné au polonium-210, University College Hospital, Londres, 20 novembre 2006 (Photo, Arab News).
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Publié le Vendredi 04 mars 2022

L'unité de l'Occident et sa capacité à agir de concert va-t-elle durer?

L'unité de l'Occident et sa capacité à agir de concert va-t-elle durer?
  • Loin de prendre la menace au sérieux, la plupart des États européens se sont contentés de se détendre sous la houlette d'une Otan de plus en plus dominée par les États-Unis
  • Ce qui semblait impossible il y a seulement une semaine s'est produit: les États européens ont exclu la banque centrale russe et d'autres banques russes importantes du système Swift

Une fois de plus, l'Ukraine se retrouve envahie. Cette terre plate et fertile s'est avérée si tentante pour les envahisseurs au fil des siècles, comme le savent tous ceux qui ont une connaissance, même sommaire, de son histoire. Par le passé, la Russie, l'Allemagne, la Pologne et d'autres pays se sont disputé le territoire et l'ont divisé. Ce sentiment que l'Ukraine est une fois de plus abandonnée a été parfaitement résumé lorsque le président Volodymyr Zelensky a répondu à la proposition américaine de l'évacuer de Kiev: «Le combat est ici; j'ai besoin de munitions, pas d'un taxi.»

L’«Occident» va-t-il venir à la rescousse et contribuer à sauver l'Ukraine? Ou les espoirs seront-ils suscités puis anéantis, comme ce fut le cas en Syrie?

Soyons clairs. C'est une guerre qui n'aurait jamais dû avoir lieu. La Russie découvre maintenant une réponse plus unie que ce à quoi elle s'attendait peut-être. C'est une guerre qui aurait pu être déjouée si l'Europe et les États-Unis avaient collectivement tenu tête à la Russie, non pas au cours des dernières semaines, mais au cours de la dernière décennie.

Pendant trop longtemps, les nations européennes et les États-Unis ont ignoré les avertissements alarmants et les appels des États d'Europe de l'Est et des États baltes, qui avaient compris tous les signes. Les États d'Europe occidentale n'ont rien fait pour s'y préparer. De nombreux habitants du Moyen-Orient partageraient ce sentiment: les États occidentaux ont ignoré le monde extérieur.

La Russie a envahi et occupé une partie de l'Ukraine, la péninsule de Crimée, en 2014. Elle a également semé la zizanie dans la région du Donbass. Les sanctions qui en ont résulté étaient bien trop faibles pour envoyer un autre message à Moscou que celui que l'Europe ne fera rien et n'a pas le cran de lui tenir tête. Exclure la Russie du G8 n'a pas posé de problème.

L'Europe n'a pas bougé. Où était la ligne rouge? Il n'y a même pas eu de ligne rose, même après la Crimée. Loin de prendre la menace au sérieux, la plupart des États européens se sont contentés de se détendre sous la houlette d'une Otan de plus en plus dominée par les États-Unis. Les présidents américains successifs se sont plaints que leurs partenaires de l'Otan ne contribuaient pas à leur juste part. Ce n'est que maintenant que l'Allemagne a annoncé qu'elle allait consacrer 2% de son produit intérieur brut à la défense.

Mais l'Allemagne n'est pas la seule à blâmer. Londres, en particulier, nage dans l'argent sale russe et est devenue le terrain de jeu des oligarques. Selon différentes sources, le nombre de milliardaires liés au Kremlin et basés au Royaume-Uni se situe entre 30 et 50. Nombre d'entre eux ont fait des dons au parti conservateur au pouvoir. Les responsables américains se sont montrés cinglants quant à l'incapacité persistante du Royaume-Uni à s'attaquer à ce problème. Rien n'a été fait, même après l'assassinat en plein cœur de Londres d'Alexandre Litvinenko en 2006, à l'aide de l'une des substances les plus toxiques de la planète, le polonium-210, ou après que des agents du GRU russe ont tenté d'assassiner Sergueï Skripal à l'aide d'un agent neurotoxique, le Novichok, à Salisbury en 2018. On n'a pas fait assez pour que les auteurs de l'un ou l'autre de ces crimes répondent de leurs actes.

La réaction au rapport de la commission du renseignement et de la sécurité du Parlement britannique en 2020 a peut-être été la plus remarquable de toutes. Elle a constaté que le gouvernement n'avait rien fait pour enquêter sur les allégations d'ingérence russe dans le référendum sur le Brexit en 2016.

La crise ukrainienne encouragera ces pays à redynamiser le bloc occidental, qui a toujours été un géant endormi.

Chris Doyle

La Grande-Bretagne a maintenant intensifié ses sanctions, mais ces oligarques n'ont pas encore été touchés. Chaque jour qui passe jusqu'à ce que cela se produise leur permet de déplacer leurs actifs et leurs fonds vers des endroits plus sûrs.

Les politiciens d'extrême droite en Europe, comme Marine Le Pen en France et Matteo Salvini en Italie, n'étaient que trop heureux d’abonder dans le sens de Vladimir Poutine. L'extrême gauche a également souvent ignoré les actions de la Russie, notamment en Syrie.

Pourquoi tant de personnes ont-elles choisi de fermer les yeux? On pourrait dire qu'il s'agit d'un manque d'imagination, que trop de gens ne pouvaient tout simplement pas croire qu'au XXIe siècle, un État-nation envahirait un voisin souverain. Ils sont trop nombreux à faire l’autruche.

Mais cette époque est-elle révolue? Même s'il était trop tard, l'Europe et l'Amérique du Nord réagissent. Pendant des années, le terme «Occident» était largement une fiction, mais cette crise va encourager ces pays à redynamiser le bloc occidental, qui a toujours été un géant endormi.

Depuis la fin de la guerre froide, l'Otan se cherche une nouvelle raison d'être, une nouvelle mission. La Russie, en contradiction à ses propres intérêts, vient de donner un nouveau souffle à l'alliance militaire. L'Otan pourrait même s'étendre. L'UE s'apprête à fournir des armes directement à l'Ukraine, pour la première fois de son histoire. L'Allemagne a abandonné sa position non interventionniste et la Suède semble vouloir renoncer à sa neutralité.

Les États européens vont augmenter leurs budgets militaires et les États-Unis, plutôt que se tourner vers l'Asie, pourraient revenir vers l'Europe. L'Allemagne a annoncé qu'elle allait diversifier ses ressources énergétiques, notamment en construisant deux terminaux de gaz naturel liquéfié, après avoir suspendu son approbation du gazoduc Nord Stream 2 en provenance de Russie.

Les entreprises doivent également prendre des décisions difficiles, d'où l'abandon par la grande compagnie pétrolière BP de sa participation de 20% dans la compagnie pétrolière et gazière publique russe Rosneft. Et ce qui semblait impossible il y a seulement une semaine s'est produit: les États européens ont exclu la banque centrale russe et d'autres banques russes importantes du système de messagerie financière Swift.

La perspective la plus optimiste est que la Russie a réveillé l'Occident et que ses différents États constitutifs vont revoir la manière dont ils travaillent ensemble et soutiennent leurs alliés. Appuieront-ils l'ordre international et le système fondé sur des règles qui s'érodent? Il y aura des coûts douloureux, mais rien de comparable à ce que les Ukrainiens vivent actuellement.

Les dirigeants russes devraient en prendre note. L'indécision et l'inaction de l'Occident masquent son écrasante supériorité militaire, économique et diplomatique sur Moscou, dont l'économie est à peine plus importante que celle de l'Espagne. La réalité est que la Russie ne vaincra pas une alliance américano-européenne unie. La question est de savoir si cette unité et ce sens de la décision vont durer. Les Ukrainiens l'espèrent.

Chris Doyle est directeur du Conseil pour l'entente entre Arabes et Britanniques (CAABU), basé à Londres. Twitter: @Doylech

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com