Les assauts de l’extrême droite israélienne contre la Cour suprême sont une attaque contre la démocratie

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Publié le Mardi 21 juillet 2020

Les assauts de l’extrême droite israélienne contre la Cour suprême sont une attaque contre la démocratie

Les assauts de l’extrême droite israélienne contre la Cour suprême sont une attaque contre la démocratie
  • Le député Bezalel Smotrich à soumis au vote de la Knesset un projet de loi visant à mettre en place une enquête parlementaire sur des allégations de conflit d’intérêts des juges de la Cour suprême israélienne
  • Cet énième épisode fait partie d’une stratégie plus vaste de Netanyahou, de sa famille et de ses hommes de main, qui consiste à décrédibiliser et à miner les institutions démocratiques et judiciaires du pays

A l’étranger, Bezalel Smotrich est loin d’être un nom familier. Mais en politique israélienne, il a acquis une réputation de provocateur populiste d’extrême droite éhonté, et est régulièrement à l’initiative de propositions fanatiques, racistes et antidémocratiques.

Smotrich, membre de la Knesset représentant le parti national-religieux d’extrême droite Yamina, vit dans l’une des colonies les plus extrémistes de la Cisjordanie occupée. Il est l’un des plus fervents partisans de son annexion totale. 

Pour se faire une petite idée des convictions de cet homme, il prône la ségrégation des mères juives et arabes dans les maternités des hôpitaux. Son compte Twitter a été suspendu après un tweet suggérant que l’adolescente palestinienne Ahed Tamimi, qui a fait la une des journaux après avoir affronté des soldats israéliens, « aurait dû être fusillée, ou au moins atteinte au genou… », ajoutant : « Cela l’aurait placée en résidence surveillée à vie. »

Il considère les Juifs comme propriétaires de toutes les terres se situant entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Pour lui, les Juifs sont déjà « généreux » de permettre aux Arabes israéliens de rester en tant qu’invités sur le sol israélien, du moins pour le moment. Cela suffit à vous dresser un portrait de ce personnage…

Smotrich déteste également, plus encore que ses rivaux idéologiques, la Cour suprême israélienne. À ses yeux, cette institution pivot du système démocratique incarne des valeurs libérales qu’il combat ardemment. Il affirme que ses juges ne sont que des pantins entre les mains de politiciens et de médias de gauche et de ceux qui tentent de priver les colons et l’État d’Israël de leur « droit » de restaurer la gloire de l’ancien royaume de David du Jourdain à la mer. 

Le député à soumis au vote de la Knesset un projet de loi visant à mettre en place une enquête parlementaire sur les allégations selon lesquelles des juges de la Cour suprême ont statué dans des affaires où ils étaient en conflit d’intérêts. Une proposition qui n’a donc pas surpris venant de la part de cet élément « douteux » du système démocratique israélien. Smotrich fait partie de ces politiciens bien connus dans l’histoire moderne qui utilisent le système démocratique pour se faire élire, et œuvrent ensuite pour le détruire de l’intérieur.

Il est bien sûr évident qu’aucun juge ne devrait délibérer sur une affaire dans laquelle il y a conflit d’intérêts, comme le prévoit la loi. 

La proposition de Smotrich, qui n’a été rejetée par la Knesset que lorsqu’il est devenu évident que la coalition Bleu et blanc abattrait la coalition si elle était adoptée, a révélé une fois de plus les profondes divisions qui existent entre différentes sections de la société israélienne sur la manière dont sont perçus l’État de droit et l’ensemble du système judiciaire. 

L’enquête parlementaire qu’il proposait n’était rien d’autre qu’une tentative visant à intimider les juges « les plus haut placés » du pays, ce qui est particulièrement troublant à un moment où le Premier ministre Benyamin Netanyahou lui-même fait face à des accusations de corruption sans précédent devant la cour de justice de Jérusalem.

Son but était de faire d’intimider les juges de la Cour suprême et de leur faire savoir que les politiciens s’en prendraient à eux, et que, s’ils ne se conformaient pas aux exigences capricieuses de ces derniers, ils en subiraient les conséquences.

Les juges ne sont pas au-dessus des lois, leur responsabilité et la transparence de leurs actes sont essentiels pour maintenir la confiance dans le système judiciaire. Mais les demandes comme celles de Smotrich sont bien curieuses de la part de ceux qui soutiennent des colonies illégales, tentent de contourner la loi pour permettre aux politiciens corrompus d’échapper à la justice, et qui demandent la nomination de juges qui soient favorables à leur idéologie et à leurs intérêts. 

Devinez qui a soutenu cette demande d’enquête, jusqu’à ce qu’il se rende compte que son gouvernement risquait chuter si cette proposition était acceptée ? C’est évidemment le Premier ministre lui même, Benjamin Netanyahou, accusé de fraude, de corruption et d’abus de confiance ! Lui qui pourrait au terme d’un procès en appel finir devant la Cour suprême, pourquoi ne pas leur donner un avertissement et les intimider dès maintenant ?

Cet énième épisode fait partie d’une stratégie plus vaste de Netanyahou, de sa famille et de ses hommes de main, qui consiste à décrédibiliser et à miner les institutions démocratiques et judiciaires, et à attaquer quiconque ayant été impliqué ou ayant défendu le système judiciaire en enquêtant sur les crimes présumés du Premier ministre, ou précédemment de sa femme. 

Leur fils Yair Netanyahou, l’un des plus proches conseillers du Premier ministre, demande régulièrement que le Procureur général fasse l’objet d’une enquête pour ses « crimes ». Yair Netanyahou a accusé dans les médias israéliens la police d’agir « comme les nazis » lors de l’interrogatoire de suspects dans les affaires de corruption liées à son père.

Avec ses agissements, Netanyahou, sa famille et ses soutiens politiques s’opposent à la génération précédente de politiciens du Likoud : ces derniers pouvaient avoir des idées bellicistes, étaient socialement et économiquement conservateurs, mais ils tenaient l’État de droit et le système judiciaire pour sacro-saints. 

La « culture » politicienne actuelle est inondée de nationalistes populistes brutaux, qui sont avides de pouvoir, peu importe si cela implique de détruire l’essentiel du système démocratique, la séparation du pouvoir…

Ne vous méprenez pas sur Smotrich : il n’est pas un partisan de Netanyahou. Au contraire, il ne lui fait pas confiance et le considère comme un imposteur de la « droite molle » qui n’a pas le courage de faire ce que lui, Smotrich, aurait fait s’il avait été au pouvoir, y compris annexer les territoires occupés dans leur intégralité au mépris total du reste du monde. Cependant, dans leur haine aveugle du système judiciaire, les deux hommes sont une seule et même personne.

Si la Knesset veut sincèrement éradiquer de la vie publique les conflits d’intérêts et la corruption, elle devrait commencer à regarder chez elle. Ses membres devraient se rappeler le nombre d’hommes politiques israéliens qui ont été inculpés et condamnés pour corruption. Cela leur permettrait de garder un minimum d’humilité par rapport aux juges.

Une chose est sûre: n’importe quel juge qui aurait été mis en cause pour des charges bien moins lourdes que celles pesant sur Netanyahou aurait été instantanément démis de ses fonctions, contrairement à l’actuel Premier ministre israélien.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à l’Université Regent Londres, où il dirige le programme des relations internationales et des sciences sociales. Il est également membre associé du programme du Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House. Il écrit régulièrement dans les médias internationaux écrits et électroniques.Twitter: @YMekelberg

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com