Les troubles intérieurs entraveront l'exportation de la révolution iranienne

L'Iran a été secoué par des manifestations au cours des deux dernières semaines (Photo fournie).
L'Iran a été secoué par des manifestations au cours des deux dernières semaines (Photo fournie).
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Publié le Lundi 03 octobre 2022

Les troubles intérieurs entraveront l'exportation de la révolution iranienne

Les troubles intérieurs entraveront l'exportation de la révolution iranienne
  • Quatre décennies après la révolution, les contradictions s'accentuent et la politique musclée de l'Iran à l'étranger reste incertaine
  • Ce ne sont pas les lois régissant les questions sociales qui sont à l'origine de la colère des manifestants, mais plutôt leurs conditions économiques

Malgré la rhétorique anti-occidentale habituelle et le caractère de la politique étrangère de l'Iran, depuis 1979, son gouvernement cherche avant tout à exporter sa révolution. Concrètement, cela implique l'exportation du Velayat-e faqih – ou tutelle du juriste – dans le but d'étendre la domination de jure d'un clergé chiite sur une plus grande étendue géographique.

En réalité, cette volonté a souvent été confondue et parfois contredite par des facteurs géopolitiques et des fractures ethniques et religieuses de longue date, et par les propres préoccupations économiques de l'Iran. Aujourd'hui, quatre décennies après la révolution, les contradictions s'accentuent et la politique musclée de l'Iran à l'étranger reste incertaine, alors que le régime instauré par l'ayatollah Khomeini montre des signes de vieillissement.

L'Iran a été secoué par des manifestations au cours des deux dernières semaines. Des Iraniens ordinaires, la plupart âgés d'un peu plus de 30 ans, et donc trop jeunes pour avoir la nostalgie de la monarchie, ont profité de la vague de colère publique provoquée par la mort de Mahsa Amini pour exprimer leur opposition au Guide suprême Ali Khamenei et au Conseil des gardiens de la Constitution, qui est nommé par le clergé. Cette lutte a été décrite comme un face-à-face entre des femmes soumises et libérales et une théocratie indifférente et déconnectée. En réalité, elle incarne une crise identitaire plus profonde que traverse le régime.

Les manifestations récurrentes, qui se heurtent à la violence de l'État et à la mobilisation de «radicaux», sont un indicateur de l'inquiétude sociale croissante que le régime n'a pas été en mesure de contenir. Alors que le régime cherchait à prendre le dessus et à rétablir l'ordre la semaine dernière, les Gardiens de la révolution ont, étonnamment, mené une attaque de missiles et de drones armés en Irak. Dans le même temps, les mandataires de l'Iran au Yémen ont organisé une parade militaire de grande envergure, au cours de laquelle ils ont présenté divers missiles et drones de fabrication iranienne. Au Liban, des prospectus de recrutement appelaient les miliciens persanophones à se rendre en Iran. Ces actions montrent que les ambitions et les activités du régime à l'étranger ne connaissent pas de répit.

Il n'est pas surprenant qu'en ce temps de crise, les autorités iraniennes aient imputé les troubles à des «émeutiers» liés à des «ennemis étrangers». Faisant fi de la colère locale, le régime a choisi d'inscrire les protestations dans le cadre de ses luttes plus larges avec l'Occident. Dans ce contexte, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Nasser Kanaani, a déclaré la semaine dernière: «Washington essaie toujours d'affaiblir la stabilité et la sécurité de l'Iran.» Et dans le cadre de la cyberguerre acharnée qui l'oppose à Israël, le régime a tenu à présenter sa coupure d'Internet comme un acte d'autodéfense contre les tentatives d'ingérence étrangère.

Tout comme en 1979, c'est le soutien entre les classes, les ethnies et les sexes qui rend ce mouvement si important.

Zaid M. Belbagi

Le mois dernier, lors de l'Assemblée générale des Nations unies, le président Ebrahim Raisi a brandi une photo du commandant assassiné de la force Al-Qods, Qassem Soleimani, alors qu'à Kerman, la ville natale de ce dernier, la même photo était incendiée. Dans ce contexte, la capacité du régime à internationaliser les raisons de son instabilité interne sera limitée. La situation actuelle affecte également les négociations sur l'accord nucléaire, qui sont dans l'impasse, car on ne sait pas si le régime sous pression persiste et se montre moins enclin à conclure un accord, et si le président américain, dont les élections de mi-mandat auront lieu en novembre, peut se permettre de parlementer avec un partenaire de plus en plus controversé.

Les manifestations d'aujourd'hui ne sont que la plus récente dissidence dans un pays qui a notamment vu le Mouvement vert de 2009 émerger à la suite d'élections contestées, ainsi que des protestations en novembre 2019 contre la hausse des prix du carburant et des rassemblements cette année contre le coût de la vie. L'économie iranienne reste embourbée dans une crise largement causée par les sanctions internationales liées à son programme nucléaire. Tout comme en 1979, c'est le soutien entre les classes, les ethnies et les sexes qui rend ce mouvement si important. Le syndicat des enseignants iraniens a appelé à la grève et les étudiants l'ont suivi.

Il semblerait que les autres aspects de la révolution aient refait surface à la lumière des défis posés par l'attention que le régime porte aux questions internationales. La lassitude face à la surenchère révolutionnaire de l'Iran et aux difficultés économiques qu'elle a engendrées coïncide avec des changements régionaux qui menacent de réduire l'implication de l'Iran. En Syrie, le régime Assad s'est montré moins docile alors qu'il cherche à consolider son pouvoir. L'Irak a renforcé ses relations avec ses voisins arabes, car il cherche à réintégrer le giron arabe et à limiter l'influence de l'Iran. Pour un régime qui se débat dans son pays, l'aventurisme étranger ne peut qu'aggraver la situation, car ce ne sont pas les lois régissant les questions sociales qui sont à l'origine de la colère des manifestants, mais plutôt leurs conditions économiques.

Le sentiment républicain de la révolution iranienne contre le shah a uni des Iraniens de différents horizons dans un appel à la fin de la tyrannie. Cependant, dans sa hâte de consolider le pouvoir et d'exporter cette révolution, le régime a négligé les aspirations politiques et économiques des différentes composantes de la société iranienne qui y ont pris part, se concentrant plutôt sur un ensemble d'ambitions hégémoniques régionales. Ce sont ces ambitions qui ont entraîné l'isolement économique que connaît l'Iran aujourd'hui et qui, à son tour, a conduit à une situation dans laquelle un incident émotif a provoqué une agitation sociale massive.

 

Zaid M. Belbagi est chroniqueur politique, et conseiller de clients privés entre Londres et le CCG. Twitter: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com