Exclure un parti des urnes devrait être un fait extrêmement rare et ne devrait se produire que si ce parti représente un danger clair et certain pour les fondements mêmes du système démocratique ou contrevient aux dispositions constitutionnelles. Cela ne devrait jamais servir d'outil politique pour empêcher un opposant sur le plan idéologique de participer au processus démocratique.
La décision prise la semaine dernière par la Commission centrale électorale d'Israël d'interdire à l'Alliance nationale démocratique (Balad), un parti palestinien, de se présenter aux prochaines élections à la Knesset, ne constitue pas une protection du système démocratique, mais une altération de celui-ci. Une fois de plus, c'est la Haute Cour de justice qui a annulé cette décision, et ce faisant, a agi comme le dernier bastion et le défenseur de la fragile démocratie d'Israël.
L'idéologie de Balad n'est pas facile à digérer pour la plus grande partie de la population juive, la Commission centrale électorale ayant justifié sa décision dans une brève déclaration, affirmant que le parti avait été interdit de participation au scrutin conformément à «la Loi fondamentale […] pour cause de refus de reconnaître l'État d'Israël comme un État juif démocratique». Les Lois fondamentales en Israël servent en effet de guide constitutionnel, mais la décision du comité d'interdire Balad pour ce motif était fallacieuse et non judicieuse.
En fait, Balad, comme l'a clairement indiqué son chef, Sami Abou Shehadeh, ne s'oppose pas au caractère démocratique du pays, sachant que son programme appelle à ce qu'Israël devienne un «État pour tous ses citoyens». N'est-il pas légitime pour un parti, qui représente une minorité substantielle et discriminée, de déclarer que son pays ne devrait pas être constitutionnellement défini par les caractéristiques ethniques et religieuses de la majorité? C'est davantage un acte de défi et de désespoir face aux conditions dans lesquelles vivent les citoyens palestiniens d'Israël.
Après tout, Israël a été mandaté par l'ONU, et la grande majorité de sa population est juive – cela ne va pas changer. Ce qui peut changer, c'est que les citoyens palestiniens d'Israël soient traités sur un pied d'égalité par l'État; la question de la judéité du pays reculera alors considérablement. En tant que l'un des représentants de la minorité palestinienne, qui continue de souffrir après plus de sept décennies de discrimination depuis la création d'Israël en 1948, il n'est ni illogique ni irrationnel d'appeler à un État qui incarne la nature de l’entière société, où les mêmes privilèges sont également accordés à tous les citoyens.
On ne devrait pas s’étonner du fait que la minorité palestinienne en Israël, qui représente environ un cinquième de la population, accepte plus qu'elle n'accueille la nature juive du pays et son aspect légal, d'autant plus que la société et l'État deviennent de plus en plus religieux et nationalistes, les ultranationalistes antiarabes gagnant de plus en plus en prééminence. N’allez pas chercher plus loin que la loi sur l'État-nation de 2018, qui déclare que «l'État d'Israël est l'État-nation du peuple juif». Cette loi relègue également la langue arabe de son ancien statut de l'une des deux langues officielles avec l'hébreu à une langue ayant un «statut spécial», quoi que cela puisse signifier. Soutenir le fait qu'un pays démocratique est un pays qui appartient à tous ses citoyens et pas seulement à ceux qui se trouvent être d'une certaine identité religieuse ou ethnique est aussi indiscutable que d'affirmer que le soleil se lève à l'est.
Cela a longtemps été un horrible rituel à l'approche de chaque élection générale en Israël pour certains des partis juifs sionistes de faire appel à la Commission centrale électorale pour exclure des élections les partis arabes, les accusant de déloyauté, de soutien au terrorisme ou à des pays ennemis, d’être antidémocratiques ou de s'opposer au caractère juif de l'État. Dans la plupart des cas, même si le Comité exclut un parti palestinien, sa décision est annulée par la Haute Cour de justice, comme ce fut le cas avec Balad en 2019 et encore cette année.
En fin de compte, les politiciens juifs qui demandent ces interdictions le font parce qu'ils pensent que cet acte de bravade nationaliste sera payant dans les urnes. Cette année, Balad n'était pas le seul parti arabe que la Commission était invitée à exclure: Ra'am, qui durant la vie du gouvernement sortant était l'un des membres les plus responsables et les plus constructifs de la coalition, a également été la cible d'une démarche initiée par un autre parti pour récolter quelques points électoraux bon marché en «tenant tête» à un parti islamiste, en demandant son exclusion des élections de novembre. Le fait que Ra’am ait rendu un immense service à la coexistence judéo-arabe ne signifie absolument rien dans l’atmosphère toxique du discours politique israélien. Heureusement, dans ce cas, le Comité a carrément rejeté cette demande.
Il est d'une ironie troublante, pour ne pas dire hypocrite, d'appeler à l’exclusion des partis palestiniens des urnes tout en tolérant le parti sioniste religieux raciste kahaniste, qui appelle ouvertement et de manière éhontée à la discrimination contre les Arabes, dresse l’opinion publique contre eux et dépeint les citoyens palestiniens d'Israël comme des traîtres.
De plus, même la population juive et ses représentants à la Knesset ne peuvent s'entendre sur ce que signifie réellement le caractère juif d'Israël. C'est l'une des notions les plus contestées depuis la création du pays. Il y a le judaïsme laïque, orthodoxe, ultra-orthodoxe et réformiste, ainsi que toutes les positions intermédiaires, avec de nombreuses visions différentes de ce à quoi un État juif devrait ressembler, dont certaines sont diamétralement opposées les unes aux autres.
«Ce qui peut changer, c'est que les citoyens palestiniens d'Israël soient traités en toute égalité par l'État.»
Yossi Mekelberg
Certains mettent davantage l'accent sur le caractère juif que démocratique du pays, tandis que d'autres considèrent son patrimoine comme plus culturel et historique que religieux. Un affrontement se fait de plus en plus jour entre la nature juive et la nature démocratique du pays. À titre d’exemple, un sujet de discorde dans la campagne électorale actuelle réside dans le fait de savoir s'il faut autoriser les transports publics le jour du sabbat. Quelqu'un oserait-il essayer d’exclure des urnes un parti juif qui soutient l'utilisation des transports publics le jour du repos religieux au motif qu'il contredit le caractère juif de l'État?
Pourtant, trop de partis judéo-sionistes considéraient qu'il était légitime et constitutionnellement valable d'essayer d'empêcher Balad, et même Ra'am, de participer au processus démocratique. Il est temps de repenser la manière dont les partis palestiniens sont inclus dans la gestion des affaires de l'État, et non de les marginaliser davantage.
• Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne. Twitter: @YMekelberg
NDRL: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com