Il est grand temps de demander des comptes au régime iranien

Des manifestants se rassemblent à l’Université de technologie d’Amirkabir à Téhéran le 28 octobre 2022 (Capture d’écran de la vidéo UGC/AFP).
Des manifestants se rassemblent à l’Université de technologie d’Amirkabir à Téhéran le 28 octobre 2022 (Capture d’écran de la vidéo UGC/AFP).
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Publié le Mercredi 02 novembre 2022

Il est grand temps de demander des comptes au régime iranien

Il est grand temps de demander des comptes au régime iranien
  • Jusqu’à présent, le maintien du régime au pouvoir a largement reposé sur un fort sentiment d’impunité qui s’est développé en évitant les conséquences de tragédies comme le massacre de prisonniers politiques en 1988
  • Il incombe aux États-Unis et à l’Union européenne de placer les violations des droits de l’homme et la répression brutale des manifestants par le régime iranien en tête de leurs priorités et de tenir les autorités iraniennes responsables de leurs crimes

Les États-Unis et l’Union européenne (UE) devraient accorder la priorité à la lutte contre les violations des droits de l’homme par le régime iranien en ce moment crucial. Des citoyens iraniens de tous horizons manifestent depuis plus d’un mois. Les soulèvements populaires –qui ont éclaté après la mort de Mahsa Amini, décédée en détention après avoir été arrêtée par la police des mœurs du régime pour avoir porté son hijab de manière inappropriée – ont pris un tournant entièrement politique. En attendant, les autorités iraniennes prennent des mesures désespérées pour les réprimer.

Le Guide suprême, Ali Khamenei, qui a le dernier mot sur toutes les grandes questions de politique intérieure et étrangère de l’Iran, soutient les forces de sécurité et la police, tout en leur ordonnant de réprimer durement les manifestations. Ce mois-ci, il a qualifié les manifestants de «voyous, voleurs et extorqueurs». Il déclare: «Ceux qui ont déclenché des troubles pour saboter la République islamique méritent des poursuites pénales et des sanctions sévères.»

Parmi les slogans de révolte qui sont devenus populaires à travers l’Iran, citons: «Nous sommes tous Mahsa, combattez et nous riposterons»; «Cette année est celle des sacrifices, Sayyed Ali (Khamenei) sera renversé»; «Mort au dictateur»; «Mort à Khamenei»; «Liberté, liberté, liberté»; «Du Kurdistan à Téhéran, je sacrifie ma vie pour l’Iran» et «Les enseignants emprisonnés doivent être libérés».

Les forces du régime déploient une force brute à grande échelle pour réprimer quiconque ose manifester. Il est alarmant de constater que le régime théocratique prend pour cible des enfants, dont beaucoup ont été tués par les forces de sécurité.

Une femme de Sanandaj décrit un événement à Human Rights Watch: «Les agents de sécurité ont couru vers un garçon de treize ans qui se trouvait dans la foule. Il avait l’air si fragile et petit qu’il n’a même pas cherché à résister. Il était sur l’herbe, protégeant sa tête pendant qu’ils le rouaient de coups. Je criais, leur disant de le laisser tranquille et je me suis dirigée vers eux. Ils ont tiré en l’air et les gens ont commencé à fuir pendant qu’eux traînaient le garçon de l’autre côté de la rue. En courant, je n’arrêtais pas de crier que c’était mon frère, pensant qu’ils seraient plus cléments. Un officier s’est retourné, s’est assis et m’a visée. J’ai vu le feu sortir de son arme. J’ai eu peur et je me suis enfuie. J’ai eu une sensation de brûlure jusqu’à ce que je rentre chez moi et que je réalise que j’avais été touchée à la poitrine.»

 

«Il est temps de demander des comptes au régime iranien.» - Dr Majid Rafizadeh

 

Nombre de manifestants ont été arrêtés et leur sort demeure inconnu. C’est en ce moment que la communauté internationale devrait intervenir pour faire pression sur la République islamique afin qu’elle libère les détenus. La plupart des personnes arrêtées sont probablement jeunes.

Même si certains grands médias pourraient bientôt commencer à moins s’intéresser à la situation intérieure de l’Iran, il est essentiel de continuer à mettre en lumière la répression du régime contre les manifestations, ainsi que le sort des détenus.

Le régime iranien qualifie généralement les manifestants de «dissidents politiques» et les enferme dans des établissements tristement célèbres, comme la prison d’Evin. Ils ne bénéficient pas d’une procédure régulière et ils se voient généralement refuser l’accès à un avocat.

Ils feront probablement face à des accusations ambiguës telles qu’une mise en danger de la sécurité nationale du gouvernement, une tentative de renversement du gouvernement ou un complot avec des «ennemis» et des étrangers. Leurs peines peuvent aller de l’isolement de longue durée à l’exécution. Le fait d’insulter le Guide suprême en scandant «Mort à Khamenei» est passible de la peine de mort. La torture est une procédure classique que le régime utilise dans de tels cas, selon Amnesty International.

Jusqu’à présent, le maintien du régime au pouvoir a largement reposé sur un fort sentiment d’impunité qui s’est développé en évitant les conséquences de tragédies comme le massacre de prisonniers politiques en 1988. L’échec de la communauté internationale à cet égard a été reconnu par plusieurs experts des droits de l’homme de l’Organisation des nations unies (ONU) l’année dernière, lorsqu’ils ont écrit une lettre ouverte sur ce crime contre l’humanité et qu’ils ont noté qu’aucun organe compétent n’avait donné suite à une résolution de décembre 1988 qui reconnaissait l’augmentation cette année-là des assassinats politiques.

Les Iraniens ordinaires lancent un appel à la communauté internationale pour qu’elle les aide à empêcher une augmentation dramatique du nombre de morts résultant de la répression des manifestations par le régime. Deux institutions majeures joueront un rôle crucial à cet égard: le ministère du Renseignement et le pouvoir judiciaire, qui sont tous deux dominés par les partisans de la ligne dure. Les organisations de défense des droits de l’homme et les États-Unis devraient surveiller de près la situation en Iran. Le rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Iran peut jouer un rôle crucial en ouvrant une enquête de grande envergure.

Il incombe aux États-Unis et à l’UE de placer les violations des droits de l’homme et la répression brutale des manifestants par le régime iranien en tête de leurs priorités et de tenir les autorités iraniennes responsables de leurs crimes.

 

Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard.

Twitter: @Dr_Rafizadeh

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com