Les Libanais savent que Macron et Biden ne peuvent pas faire grand-chose pour eux

Le président français, Emmanuel Macron, et le président américain, Joe Biden, sortant d’un restaurant après un dîner privé, le 30 novembre 2022 (Photo, AFP).
Le président français, Emmanuel Macron, et le président américain, Joe Biden, sortant d’un restaurant après un dîner privé, le 30 novembre 2022 (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 07 décembre 2022

Les Libanais savent que Macron et Biden ne peuvent pas faire grand-chose pour eux

Les Libanais savent que Macron et Biden ne peuvent pas faire grand-chose pour eux
  • Les Libanais constatent qu'ils ne sont plus l'image internationale préférée de la modernité et de la liberté contre l'oppression, place qu’ils ont perdue au profit des Ukrainiens
  • Au-delà des déclarations et des expressions de sympathie, les Libanais attendent peu de choses de la rencontre des deux présidents.

Il y a encore quelques années, la visite d'un président français aux États-Unis était analysée dans les rues de Beyrouth comme si tout le voyage concernait l'avenir du Liban. C’est comme si toutes les nouvelles et les informations sensibles échangées concernaient le Liban, la priorité absolue du sommet. Certains pouvaient y ajouter leur grain de sel, en déclarant que les deux dirigeants mondiaux avaient appelé un politicien local pour l'informer des résultats de l’entrevue. Je ne me souviens plus combien de fois le Liban a résonné d'informations sur une décision imaginaire concernant son sort lors de sommets entre les deux pays les plus puissants du monde.

La rumeur mettrait toujours en scène des situations extrêmes: une remontée miraculeuse des forces d'opposition ou une fin catastrophique. Selon une première version, ils se seraient mis d'accord pour un retrait des armes du Hezbollah et pour imposer toutes les résolutions de l'ONU à la Syrie afin de faire du Liban un pays libre et indépendant. Des variantes de cette hypothèse pouvaient inclure un changement de régime aussi bien en Syrie qu’en Iran, de même qu’un feu vert pour des frappes militaires israéliennes.

Une seconde version irait dans le sens totalement opposé. Elle affirmerait que les dirigeants occidentaux ont décidé de livrer le pays au Hezbollah et à l'Iran. Des variantes de cette version pourraient inclure un déplacement des chrétiens du Liban. Ou que le pays du Cèdre constituerait  une récompense pour l'accord nucléaire iranien sur le point d'être signé.

Les Libanais choisiraient la version la plus plausible en fonction de la situation géopolitique mondiale et de la position variable des forces locales. Cela inclurait toujours une part de vérité ou la répétition d'un événement passé, ou encore la résolution d'un conflit qui se passe ailleurs. Bizarrement, dans les deux cas il y a une constante: la reconnaissance d'Israël par le Liban et un accord de paix. Malheureusement ou heureusement, il n'y a pas de règles absolues au Moyen-Orient.

Cette fois, alors que le président français, Emmanuel Macron, rend visite à son homologue américain, la rumeur chez les Libanais est inexistante. Hormis quelques gros titres, personne ne spécule sur un changement au Liban ni même sur le fait que la question sera sérieusement évoquée à Washington. Tout le monde sait qu'il y a des sujets beaucoup plus importants, de la situation énergétique en Europe à la probable réinitialisation des relations entre l’UE et les États-Unis. Les Libanais constatent également qu'ils ne sont plus l'image internationale préférée de la modernité et de la liberté contre l'oppression, place qu’ils ont perdue au profit des Ukrainiens.

Cette perte de priorité sur la scène mondiale reflète l'humeur générale des Libanais au niveau national. C'est un état d'esprit de renoncement. De plus, la situation est de facto similaire au deuxième scénario d’une occupation iranienne. Et bien que les Libanais et leur État soient encore davantage sous la coupe du Hezbollah, ils gardent le silence sur cette oppression. Malgré la situation économique, financière, sociale et sanitaire catastrophique dans le pays, ils ne réagissent pas contre les responsables. C'est comme s'ils avaient renoncé à résister et à combattre cette occupation. Le désespoir s'est installé.

On aurait pu imaginer que les manifestations en Iran auraient pu déclencher une réaction au Liban. Cela n'a pas été le cas. C'est peut-être dû au fait qu'ils ont essayé cette voie à plusieurs reprises, et à chaque fois sans succès. C'est le caractère impitoyable de l'occupation. Il enlève même la lumière de l'espoir, et l'espoir est le moteur du changement, non le désespoir. Les manifestations contre le Hezbollah émanant de sa propre communauté, même si elle souffre autant que toutes les autres, ne peuvent pas se dérouler et n'auront pas lieu. L'équilibre entre les minorités agit comme une protection, même dans ce cas.

«Cette fois, alors que le président français rend visite à son homologue américain, la rumeur est étrangement inexistante»

Khaled Abou Zahr

Rien ne montre mieux le désespoir que la série de braquages de banques et de sit-in par des citoyens ordinaires ces dernières semaines. Il doivent devenir des criminels pour récupérer leurs propres dépôts bancaires. L'objectif n'est plus de construire un avenir meilleur, de se battre pour la liberté ou tel objectif ambitieux. C'est seulement de survivre, voir le lendemain, pouvoir mettre de la nourriture sur la table et donner aux êtres qui leur sont chers les soins de santé adéquats.

Cette crise intervient à un moment critique, alors que le pays est en train de choisir son prochain président. L'impasse et le blocage continus ont été artificiellement créés par le Hezbollah. Alors que les Libanais désespèrent, le Hezbollah cherche à faire taire de façon définitive toute menace potentielle à sa domination. Il y a également la crainte plus importante que le Hezbollah soutienne son allié, le Courant patriotique libre, contre les Forces libanaises de Samir Geagea comme moyen d'atteindre ses objectifs. De plus, alors que l'Iran, parrain du Hezbollah, est coincé au niveau national, il pourrait logiquement vouloir accroître son emprise sur la Méditerranée pour obtenir un effet de levier.

Ainsi donc, au-delà des déclarations et des expressions de sympathie, les Libanais attendent peu de choses d’Emmanuel Macron ou de Joe Biden. Ils comprennent maintenant qu'il y a peu de changements qu'ils pourraient apporter à leur situation. Pourtant, ils rêvent toujours et attendent le changement géopolitique extrême qui les sauvera. Tout comme ils rêvent que l'accord gazier avec Israël résoudra la situation économique et leur ramènera leurs dépôts bancaires. Cela ajoute encore à leur désespoir.

C'est là une grave erreur. Pas une seule phase historique que le Liban a traversée ne lui a apporté cette délivrance. Et en pratique, tout ce que l'accord gazier fera, c’est augmenter le statut du Hezbollah, tout comme la plupart des accords avec Israël. Ainsi, la seule leçon que nous pouvons tirer de toutes ses phases est que le résultat se décide sur le terrain au Liban, et non dans les capitales internationales.

 

Khaled Abou Zahr est directeur général d'Eurabia, société de médias et de technologie, et rédacteur en chef d'Al-Watan al-Arabi.

Clause de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com