Les problèmes de l'Iran sont dus au manque de pragmatisme du régime

Ci-dessus, des partisans du Guide suprême de l'Iran, l'ayatollah Ali Khamenei. (AFP)
Ci-dessus, des partisans du Guide suprême de l'Iran, l'ayatollah Ali Khamenei. (AFP)
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Publié le Dimanche 04 décembre 2022

Les problèmes de l'Iran sont dus au manque de pragmatisme du régime

Les problèmes de l'Iran sont dus au manque de pragmatisme du régime
  • Les manifestations du peuple iranien sont le signe de la faillite de l'idéologie et de l'incapacité du système rigide à s'adapter à la société
  • Le manque de pragmatisme est ce qui a conduit l'Iran au point où les gens ne peuvent plus accepter le régime

Les régimes fondés sur l'idéologie sont voués à l'échec. Le plus grand exemple de l'Histoire moderne est l'Union soviétique. Ne pas avoir d'idéologie fixe signifie qu'un pays est assez flexible pour comprendre et répondre aux besoins de la société. Dans les régimes idéologiques, la société est modelée pour correspondre au dogme. Ce n'est pas durable. Ce fut un échec en Union soviétique de même qu’aujourd’hui en Iran.

Il est clair que les manifestations en cours, qui ont été déclenchées par la mort de Mahsa Amini, détenue par la police des mœurs parce qu'elle ne portait pas correctement son hidjab, vont au-delà de la tenue vestimentaire des femmes. Elles sont le signe de la faillite de l'idéologie et de l'incapacité du système rigide à s'adapter à la société.

L'Union soviétique a échoué en raison des inefficacités inhérentes à un régime idéologique. Alors que l'Union soviétique s'est effondrée, la Chine communiste a prévalu. Cette situation est due au leadership visionnaire de Deng Xiaoping. Il a compris que, pour survivre, le système doit s'adapter aux exigences de la société et non l'inverse. Il a changé le communisme au lieu d'essayer de changer le peuple chinois.

À l'instar des manifestations qui ont éclaté aux États-Unis après la mort de George Floyd, les protestations iraniennes s'inscrivent dans une mouvance qui couvait depuis des années; il ne lui manquait qu'un élément déclencheur pour s'exprimer. Cette mouvance va au-delà du mécontentement à l'égard de ce que l'on nous dit de porter ou de ne pas porter. C'est le signe que les gens en ont assez d'un système totalitaire qui ne répond pas à leurs besoins de prospérité économique et de liberté personnelle.

Les dirigeants iraniens sont désormais dans une situation difficile. On pourrait se demander pourquoi ils ne cèdent pas simplement aux exigences des manifestants par rapport au hidjab et calment ainsi la colère. Cependant, le régime est conscient que la situation a dépassé ce stade. Tout signe de faiblesse encouragera les manifestants à exiger toujours plus. Les dirigeants voient comment dans d'autres pays tels que l'Égypte et la Tunisie, lorsque les régimes ont tenté de faire des compromis avec les manifestants, ils ont fini par s'effondrer. En Syrie, lorsque le régime a brutalement écrasé les protestations, il a pu survivre, du moins jusqu'à présent.

Le régime iranien a actuellement le sentiment d'avoir atteint un point de non-retour. La question importante est de savoir comment le régime a atteint ce stade. Les responsables iraniens imputent les manifestations aux sanctions internationales, qui créent des difficultés, et à des mains étrangères invisibles. Cependant, si nous en sommes là, c'est parce que le régime manque de pragmatisme. Mohammad Khatami, le Deng Xiaoping iranien, n'a pas eu sa chance. Il a parlé de réinterpréter la révolution, mais l'État profond rigide et son idéologie figée ne lui ont pas permis d'introduire les changements qui auraient pu répondre aux aspirations du peuple iranien.

Les réformes dans un régime idéologique sont très difficiles, car l'idéologie ou les principes sont sa raison d'être.

Dr Dania Koleilat Khatib

Toute idéologie perd de son éclat avec le temps. Au début, les gens s'entichent de ses grands principes, mais avec le temps, ils les oublient et veulent vivre dans la dignité. Cependant, l'idéologie telle que définie par le régime khomeiniste est au-dessus du bien-être du peuple. L'ayatollah Khomeini lui-même a déclaré: «Nous ne nous sommes pas soulevés pour des melons moins chers.» Cela signifie que l'idéologie révolutionnaire est au-dessus du peuple et non un outil pour le servir, d'où le manque de pragmatisme.

Le manque de pragmatisme est ce qui a conduit l'Iran au point où les gens ne peuvent plus accepter le régime. Malgré la répression, les manifestations se poursuivent. Les membres du régime qui ont manifesté contre le chah en 1979 comprennent ce que signifie le mécontentement populaire. Ils savent que la répression a ses limites. Une force excessive pourrait, à un certain moment, mettre fin aux manifestations. Mais ils savent aussi que, même si cela se produit, le régime vivra en sursis, tout comme le régime de Bachar al-Assad.

Il est désormais un peu trop tard pour devenir pragmatique. Le mécontentement populaire a atteint un niveau difficile à contrôler. Ce que le régime n'a pas compris, c'est qu'à chaque vague de répression – à commencer par le Mouvement vert en 2009 – la colère grandit. Réprimer les manifestations n’est pas un signe de succès. Au contraire, c’est une démonstration de l'incapacité du régime à satisfaire les besoins de la population.

Il est facile de dire «si». Si le régime avait fait preuve de flexibilité et avait mené des réformes, il n'aurait pas atteint ce stade. Néanmoins, la réalité est bien plus difficile que cela. Les réformes dans un régime idéologique sont très difficiles, car l'idéologie ou les principes sont sa raison d'être. Certains, comme la Chine, ont réussi à conserver l'apparence de l'idéologie, tout en changeant totalement le régime pour être compétitifs sur le marché mondial et répondre aux besoins économiques et sociaux de la population. La Chine est l'exception plutôt que la norme. Les régimes idéologiques ne sont pas capables d'être pragmatiques et c'est la raison de leur chute finale.

Alors, le régime iranien va-t-il tomber? Peut-être et peut-être pas. S'il utilise une force excessive et si l'armée ne fait pas défection, le régime pourrait survivre pour le moment. Mais là encore, il vit en sursis. L'agitation en Iran nous montre comment les régimes idéologiques manquent de pragmatisme, ce qui entraîne une déconnexion entre les masses et les dirigeants; ce sont les ingrédients des troubles et de l'effondrement final.

 

Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est chercheuse affiliée à la Hoover Institution, Stanford, et présidente du Research Center for Cooperation and Peace Building, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com