Un sixième gouvernement dirigé par Netanyahou, mais qui n’est pas véritablement le sien

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Publié le Lundi 09 janvier 2023

Un sixième gouvernement dirigé par Netanyahou, mais qui n’est pas véritablement le sien

Un sixième gouvernement dirigé par Netanyahou, mais qui n’est pas véritablement le sien
  • Netanyahou a été contraint de se mettre à la merci de l’extrême droite et des ultra-orthodoxes, qui le feront chanter au point où Israël sera méconnaissable si ce gouvernement parvient à mener à terme un mandat complet
  • L’extrême droite en Israël, contrairement à des groupements similaires en Europe par exemple, est très portée sur la religion et exploite le symbolisme religieux pour exclure les autres

Le vœu de Benjamin Netanyahou de retrouver son poste de Premier ministre en Israël a été exaucé et, avec lui, la possibilité de mettre fin à son procès pour corruption, qui était devenu le moteur de ses démarches pour reprendre le pouvoir.
Politiquement, cependant, il est plus faible qu’il ne l’a jamais été, puisque pour reconquérir le poste de Premier ministre, il a été contraint de se mettre à la merci de l’extrême droite et des ultra-orthodoxes, qui le feront chanter au point où Israël sera méconnaissable à la fin, voire pire, si ce gouvernement parvient à mener à terme un mandat complet.
Ceux qui soutiennent le gouvernement nouvellement formé accusent ses détracteurs de ne pas respecter la démocratie et le processus constitutionnel légitime qui a conduit à la prestation de serment de ce sixième gouvernement de Netanyahou.
Rien ne saurait être plus inexact. Les premiers signes – émergeant de la législation initiale, des accords de coalition et du comportement des ministres – sont que les membres du gouvernement s’apprêtent à mettre fin à tout semblant d’Israël en tant que démocratie libérale ou qui respecte même de loin le droit international.
Ils le feront en attaquant le système judiciaire, en marginalisant les minorités et en cherchant délibérément à provoquer une confrontation avec les Palestiniens, quitte à mettre en danger les accords de paix et de normalisation qu’Israël a signés avec d’autres pays de la région,ainsi que ses relations avec la communauté internationale au sens large.
Dans une démocratie, le changement de gouvernement est sain et nécessaire, mais cette nouvelle coalition cherche à éroder les fondements mêmes de la démocratie. Des actes comme la modification des lois dans les semaines suivant l’élection sans autre raison que de satisfaire les partenaires de la coalition – y compris la législation qui permet aux personnes reconnues coupables d’infractions, mais qui n’ont pas été condamnées à une peine privative de liberté, de faire partie du gouvernement – ou la modification des responsabilités de certains ministres sapent brutalement le processus démocratique, réduisant en lambeaux la notion de bonne gouvernance.
C’est un gouvernement dont le Premier ministre fait face à un procès pour corruption, le ministre de l’Intérieur et de la Santé a été condamné pour corruption et fraude fiscale, et le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, ironiquement en charge de la police, a été condamné d’incitation au racisme et de soutien à une organisation terroriste. S’opposer à un tel gouvernement ne veut donc pas dire qu’on est mauvais perdant, mais constitue plutôt un acte élémentaire de défense des normes décentes de la vie publique.
L’extrême droite en Israël, contrairement à des groupements similaires en Europe par exemple, est très portée sur la religion et exploite le symbolisme religieux pour exclure les autres. Il est possible que, dans le judaïsme, les frontières entre l’identité nationale et la religion soient floues mais, néanmoins, le 37e gouvernement d’Israël, qui a prêté serment la semaine dernière, a déjà annoncé une directive déclarant ce qui suit: «Le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les parties de la Terre d’Israël. Le gouvernement encouragera et développera le peuplement dans toutes les parties de la Terre d’Israël – en Galilée, dans le Néguev, dans le Golan, en Judée et en Samarie.»

 

Reste à savoir si ce gouvernement de coalition pourra terminer son mandat, étant donné que les frictions entre ses membres sont inévitables.

Yossi Mekelberg

Quel sera donc le statut des sept millions de Palestiniens qui vivent à l’intérieur d’Israël, en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza sous blocus? Traiter les Palestiniens comme des citoyens de seconde classe n’est pas une attitude créée par le nouveau gouvernement israélien. À des degrés divers, cette doctrine a été développée au fil du temps par un mélange de politiques formelles et de pratiques habituelles qui ont toutes abouti à la méprisable loi sur l’État-nation de 2018.
Cependant, le gouvernement actuel le porte comme un insigne d’honneur sans honte ni scrupule. Adopter comme article de foi l’expansion des colonies dans tous les territoires occupés est un coup dur porté aux Palestiniens, au droit international et à quiconque croit en une résolution pacifique du conflit palestino-israélien.
Ce n’est qu’une question de – très peu de – temps avant que les avant-postes en Cisjordanie ne soient légalisés. Ils ont été considérés comme illégaux même par les gouvernements israéliens précédents et abritent les colons juifs les plus extrémistes, dont un nombre considérable sont impliqués dans le harcèlement violent et continu des Palestiniens.
De plus, le maître provocateur Ben-Gvir, à peine en poste depuis une semaine, a déjà commis l’acte le plus incendiaire en ce qui concerne les relations avec les Palestiniens et le monde musulman au sens large, en visitant Al-Haram al-Sharif/le mont du Temple. Il sait très bien que, contrairement à ses visites provocatrices dans le passé, cette fois, en tant que ministre chargé de la police, sa visite revêt une très grande importance.
Cela s’ajoute à la responsabilité de l’administration civile israélienne de Cisjordanie confiée au chef du parti sioniste religieux, Bezalel Smotrich, un autre pyromane politique qui a un historique chargé en matière d’expression d’opinions extrêmes, racistes et anti-arabes et qui soutient l’annexion complète de la Cisjordanie sans accorder aux Palestiniens les droits de citoyenneté. En d’autres termes, il a l’intention de transformer le régime d'apartheid en Cisjordanie en une politique israélienne officielle.
En une semaine, alors que l’Assemblée générale des Nations unies demandait à la plus haute juridiction de l’organisation – la Cour internationale de justice – de donner son avis sur les conséquences juridiques de l’occupation israélienne des territoires palestiniens, les accords de la nouvelle coalition et le personnel impliqué dans le nouveau gouvernement israélien rendent évidente la réponse à cette question.
Dans les semaines et les mois à venir, les Israéliens, et ceux qui observent Israël avec un mélange d’intérêt et d’inquiétude, devront décider comment répondre à une avalanche de lois et de politiques qui saperaient le système judiciaire, y compris le rôle de la Haute Cour de  justice et du procureur général, portant atteinte à la fois à la séparation des pouvoirs et au mécanisme de freins et contrepoids destiné à garantir le système démocratique.
Le racisme, la misogynie et l’homophobie font partie intégrante de ce gouvernement et caractérisent les partis religieux qui le composent. Et tout cela avec le consentement de Netanyahou et de son parti,le Likoud.
Reste à savoir si ce gouvernement de coalition pourra terminer son mandat, étant donné que les frictions entre ses membres sont inévitables. Il met également à l’épreuve les voisins d’Israël dans la région, en particulier ceux avec lesquels il a signé des accords de paix et de normalisation et qui seront inévitablement affectés si les relations entre Israël et les Palestiniens se détériorent davantage.
C’est également le moment de vérité pour les États-Unis et l’Union européenne, entre autres au sein de la communauté internationale, car ils ont, à tort, facilité à Israël la tâche de maltraiter les Palestiniens.
Mais, surtout, ce gouvernement met le peuple israélien lui-même à l'épreuve et lui demande s’il aspire toujours à vivre dans un État démocratique ou dans un véritable État d’apartheid dirigé par les fondamentalistes religieux les plus zélés du pays.
De telles questions existentielles vont déterminer le caractère, et même la survie, d’Israël dans les années à venir et il n’y a plus de temps pour s’y dérober.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com