La communauté musulmane du Royaume-Uni devient véritablement britannique

Le maire de Londres Sadiq Khan voyage sur la ligne Victoria lors du lancement du Night Tube de Londres, le 20 août 2016 (Photo, Reuters).
Le maire de Londres Sadiq Khan voyage sur la ligne Victoria lors du lancement du Night Tube de Londres, le 20 août 2016 (Photo, Reuters).
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Publié le Lundi 27 février 2023

La communauté musulmane du Royaume-Uni devient véritablement britannique

La communauté musulmane du Royaume-Uni devient véritablement britannique
  • Lors des dernières élections générales de 2019, un nombre record de 18 députés musulmans britanniques ont été élus
  • Davantage de progrès doivent être réalisés en ce qui concerne l’inclusion des femmes et des jeunes, mais le processus est en cours

Depuis les attentats du 11-septembre, les musulmans du Royaume-Uni et d’autres pays occidentaux sont dans le collimateur. Leurs positions sont minutieusement analysées afin d’y détecter tout signe de déloyauté ou d’extrémisme. Depuis plus de deux décennies, la plupart des musulmans britanniques ne cessent de répéter ce qu’ils ne sont pas, pendant que les autres leur disent qui ils sont. Cela a-t-il changé?

Il semble que la communauté musulmane britannique gagne en confiance. Si l’on revient aux attentats de Londres en 2005, il était à l’époque commun de faire la politique de l’autruche. Une grande partie de la communauté musulmane britannique n’acceptait pas les implications que les atrocités commises par quatre d’entre eux avaient eues. Trop souvent, les membres de la communauté ont nié le problème d’extrémisme dans leurs rangs. Même si ces extrémistes étaient peu nombreux, ils étaient dangereux.

Depuis, les organisations musulmanes britanniques ont fait des progrès considérables et sont beaucoup plus présentes. Les réactions à l’attentat de Manchester commis par un Libyen en 2017 en témoignent. Ces organisations ont immédiatement réagi et plusieurs d’entre elles ont aidé les personnes touchées par le terrorisme.

Les musulmans britanniques sont désormais le deuxième groupe religieux le plus important au Royaume-Uni. Le recensement de 2021 montre que la population musulmane compte environ quatre millions de personnes en Angleterre et au Pays de Galles, soit environ 6,5% de la population totale, avec une augmentation de 1,2 million depuis le recensement de 2011. C’est un énorme changement dans la composition de la Grande-Bretagne. En 1961, la population musulmane britannique ne comptait qu’environ 50 000 personnes. C’est aussi une population très jeune aujourd’hui. Nous ne connaissons pas encore la répartition du recensement de 2021, mais le recensement de 2011 indique que la moitié de la population musulmane environ avait moins de 25 ans.

Selon le premier rapport du genre publié la semaine dernière sur la société civile musulmane britannique, les organisations musulmanes britanniques se seraient multipliées à travers le pays. Ces groupes aident aussi bien les musulmans que les non musulmans. Ils sont beaucoup plus intégrés à la communauté au sens large. Ces groupes de la société civile s’occupent de tout – des mosquées aux centres islamiques, en passant par les groupes d’étudiants, les médias et les établissements d’enseignement. Il y a désormais plus de 2 000 mosquées et centres islamiques dans le pays.

Tous ces efforts de la société civile se sont manifestés tout au long de la pandémie et de la crise du coût de la vie qui a suivi. Alors qu’autrefois les organisations humanitaires musulmanes britanniques avaient tendance à concentrer leurs efforts à l’étranger, leur contribution à la lutte contre les privations au niveau national s’est intensifiée.

Les musulmans britanniques sont devenus des acteurs politiques beaucoup plus confiants. Lors des dernières élections générales de 2019, un nombre record de 18 députés musulmans britanniques ont été élus. Il est presque certain qu’aux prochaines élections, ce nombre augmentera encore plus, se rapprochant des 6,5% de députés qui représenteraient alors équitablement leur tranche de la population. Dix parmi ces dix-huit députés sont des femmes, ce qui est assez impressionnant. Sadiq Khan est le premier maire britannique musulman de Londres, et a été élu pour un second mandat en 2021. Il est peut-être le principal homme politique musulman d’Europe. Les modèles et les exemples de réussite sont des ingrédients clés pour une plus grande confiance dans ces communautés souvent marginalisées.

Il y a aussi des signes qui montrent que les femmes musulmanes britanniques deviennent plus influentes. Actuellement, Zara Mohammed dirige sans doute le plus grand organisme central musulman du Royaume-Uni, le Conseil musulman de Grande-Bretagne. Elle est la première femme, la première Écossaise et la première personne de moins de trente ans à être élue à ce poste. C’est important puisque, le plus souvent, les femmes musulmanes britanniques souffrent d’une triple peine: leur race, leur sexe et leur foi.

L’un des enjeux est le rôle des communautés arabes britanniques, qui sont majoritairement musulmanes. Leur nombre est bien inférieur à celui de l’ensemble de la population musulmane, dont la majorité vient d’Asie du Sud. En règle générale, les Arabes britanniques manquent de confiance pour s’engager dans la vie publique. Cela se produira sans aucun doute, notamment avec l’implication des jeunes générations, mais ils sont actuellement à la traîne par rapport aux musulmans britanniques non arabes en termes de participation. Espérons qu’ils seront encouragés par le succès croissant de la communauté musulmane au sens large.

Les défis demeurent. Les communautés musulmanes britanniques ont été touchées de manière disproportionnée par la pandémie de Covid-19. Elles souffrent encore de niveaux de privation relativement élevés. Selon le dernier recensement, 30% des musulmans britanniques vivent dans les 10% des quartiers les plus pauvres du pays. Pour cette raison, il est important que la société civile musulmane britannique se concentre de plus en plus sur ses propres communautés et pas seulement sur la scène internationale, aussi importante que soit indéniablement cette dernière.

L’islamophobie demeure un énorme défi, notamment pour la droite britannique. L’image des musulmans reste effroyable, avec peu de points positifs. Par exemple, on peut dire à coup sûr que la plupart des Britanniques non musulmans ne sont que très peu informés sur l’ampleur des dons caritatifs et de la participation communautaire des musulmans britanniques. Ces derniers sont trop souvent perçus comme un grand bloc, ignorant l’immense diversité au sein de la communauté. Les informations publiées dans les médias sur les musulmans sont en grande partie négatives, puisqu’ils sont considérés comme une menace et un danger. Il semble toujours difficile – voire parfois impossible – de séparer la culpabilité de quelques extrémistes d’une population qui comprend quatre millions de personnes. La grossière calomnie selon laquelle l’islam est une religion de guerre est largement répandue. D’autres États occidentaux souffrent d’un malaise similaire.

«Les modèles et les exemples de réussite sont des ingrédients clés pour une plus grande confiance dans ces communautés souvent marginalisées» Chris Doyle

Plus les groupes musulmans britanniques sont influents et confiants, plus certains autres se sentiront menacés. C’est ce qui se passe. Près d’un tiers de ceux qui ont voté pour le Brexit croient en la théorie d’un complot massif visant à inciter les immigrés musulmans à prendre le contrôle du Royaume-Uni. Cependant, investir dans une structure organisationnelle efficace aidera à lutter contre la haine et le sectarisme.

Le rapport de la semaine dernière met en évidence les domaines à améliorer, notamment les médias. Davantage de progrès doivent être réalisés en ce qui concerne l’inclusion des femmes et des jeunes, mais le processus est en cours. Des études supplémentaires restent indispensables, notamment pour les plus marginalisés, comme les Arabes britanniques, puisqu’il reste d’énormes lacunes au niveau de nos connaissances.

Tout cela montre à quel point la communauté musulmane du Royaume-Uni est désormais véritablement britannique. On est loin des musulmans qui, par hasard, se retrouvent en Grande-Bretagne. Cela va également renforcer le Royaume-Uni. La politique britannique et la société civile au sens large reflètent de plus en plus la composition diversifiée du pays, intégrant leurs talents et leurs expériences.


 


Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres. Twitter: @Doylech

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com