Le gouvernement antidémocratique en Israël serait-il en train de s’effondrer progressivement?

Benjamin Netanyahou et Bezalel Smotrich sur le point d’assister à une réunion du gouvernement, à Jérusalem, le 23 février 2023. (Reuters)
Benjamin Netanyahou et Bezalel Smotrich sur le point d’assister à une réunion du gouvernement, à Jérusalem, le 23 février 2023. (Reuters)
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Publié le Mercredi 01 mars 2023

Le gouvernement antidémocratique en Israël serait-il en train de s’effondrer progressivement?

Le gouvernement antidémocratique en Israël serait-il en train de s’effondrer progressivement?
  • Le gouvernement est constitué en grande partie de ministres inexpérimentés se comportant comme des enfants qui veulent s’emparer de toutes les friandises à la fois dans une confiserie
  • Le nombre de fois où M. Netanyahou a dû s’excuser pour les déclarations irresponsables des membres d’extrême droite de sa coalition ou s’en distancier est source d’embarras et de distraction

Il est déconcertant de voir un gouvernement de coalition qui jouit d’une majorité confortable au Parlement s’empresser d’adopter une législation radicale ayant des répercussions profondes sur l’avenir du système démocratique israélien, ou prendre des mesures délibérées qui enveniment les relations avec les Palestiniens, au lieu de prendre le temps de réfléchir aux conséquences de ses actions.

En y regardant de plus près, on remarque que Benjamin Netanyahou et ses joyeux compagnons antidémocratiques sont pressés pour plusieurs raisons. Premièrement, bon nombre des personnalités de premier plan de ce gouvernement ne représentent pas seulement l’idéologie religieuse d’extrême droite, mais sont également des ministres inexpérimentés, se comportant comme des enfants dans une confiserie qui veulent s’emparer de toutes les friandises à la fois. Deuxièmement, de nombreux membres de cette coalition sont convaincus qu’elle ne durera pas le temps d’un mandat complet ou même d’un demi-mandat. Ils doivent donc se hâter de changer fondamentalement l’équilibre des pouvoirs entre les différentes branches du gouvernement.

Troisièmement, il y a très peu de confiance, voire pas du tout, entre le Premier ministre Netanyahou et certains éléments de sa coalition, qui soupçonnent qu’il les limogerait à la première occasion. Quatrièmement, la droite en Israël est tombée dans le piège de ses propres affirmations démagogiques selon lesquelles la gauche contrôle tous les centres de pouvoir, y compris les médias et les grandes entreprises – sans aucune trace d’ironie. Avec les protestations qui prennent de l’ampleur, elle préfère continuer à créer, sur le terrain, de fausses situations, même si cela accélère la chute du gouvernement. Et, enfin, la droite craint que la pression internationale ne devienne trop intense et que d’autres – en particulier M. Netanyahou – ne cèdent et ne fassent preuve de «laxisme».

Pour les moins expérimentés, Benjamin Netanyahou ne semble pas très différent de ses partenaires d’extrême droite au sein de son parti Likoud ou du Parti sioniste religieux – du moins dans ses propos sinon dans son style. Cependant, il y a une nette différence entre eux et cela entraîne déjà des failles dans cette coalition, qui vise davantage la perturbation et le chaos que la réforme. Ces failles pourraient conduire à une grave crise et même à l’effondrement du gouvernement bien avant les prochaines élections législatives.

Alors que pour M. Netanyahou, surtout à ce stade avancé de sa vie, la rhétorique populiste est plus un moyen de rester au pouvoir qu’une véritable prise de position idéologique, Itamar Ben-Gvir, Bezalel Smotrich et leurs partisans aiment suivre leur rhétorique à la lettre en toutes circonstances. De plus, contrairement aux motivations de ses amis les plus engagés idéologiquement, pour Benjamin Netanyahou, sa réforme judiciaire planifiée – ou coup d’État judiciaire, pour être précis – est un mélange d’opportunisme politique, qui voudrait voir plus de pouvoir confié à l’exécutif, et d’opportunisme pur consistant à affaiblir la Cour suprême et le système judiciaire plus généralement dans l’espoir de perturber son procès en cours pour corruption et de le faire échouer.

Leur inexpérience dans le traitement des affaires de l’État et leur ignorance des répercussions probables de leurs politiques sur les relations avec des éléments importants de la communauté internationale font que de nombreux membres du gouvernement sont dangereusement indifférents aux réactions négatives de l’étranger à la fois à leur proposition de refonte judiciaire et à la détérioration de la situation en Cisjordanie occupée à la suite de plusieurs interventions agressives.

Lorsqu’un ministre très imprudent, Amichai Chikli, rabroue l’ambassadeur des États-Unis en Israël, Tom Nides, qui demandait fermement à M. Netanyahou de «freiner» l’affaiblissement du système judiciaire, en lui disant de «s’occuper de ses affaires», les éléments les plus pragmatiques du gouvernement se mettent en colère. M. Chikli bombe le torse pour impressionner ses partisans nationaux, mais il oublie commodément qu’Israël fait partie des «affaires» des États-Unis, qu’on le veuille ou non, puisque ces derniers lui fournissent une aide de 3,8 milliards de dollars (1 dollar = 0,94 euro) par an et certaines des armes les plus sophistiquées. Par ailleurs, les États-Unis partagent des renseignements importants avec l’État hébreu, ils aident à contenir la menace iranienne et ils sont le plus grand partenaire commercial du pays.

Par conséquent, il est très logique d’écouter non seulement M. Nides, mais aussi le président, Joe Biden, et le secrétaire d’État, Antony Blinken, qui ont déjà mis Israël en garde contre cette voie, tout comme le président français, Emmanuel Macron, et le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk. Benjamin Netanyahou, malgré tous ses défauts, comprend le danger de se brouiller avec la communauté internationale.

Puisse le peuple limiter le mandat du gouvernement de M. Netanyahou à un chapitre très court de l’Histoire.

- Yossi Mekelberg

Le nombre de fois où M. Netanyahou a dû s’excuser pour les déclarations irresponsables des membres d’extrême droite de sa coalition ou s’en distancier est source d’embarras et de distraction. À titre d’exemple, à la suite d’un attentat terroriste devant une synagogue à Jérusalem en janvier, le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, a ordonné à la police, sans aucune discussion au sein du cabinet de sécurité, de se préparer à l’opération «Bouclier défensif 2», faisant allusion à l’une des plus grandes opérations militaires menées en Cisjordanie pendant la deuxième intifada. Elle avait fait des centaines de morts, dont une grande majorité de Palestiniens. Cette idée a été immédiatement rejetée par le Premier ministre et le ministre de la Défense, mais le mal était fait.

Lorsque M. Ben-Gvir fait honneur au personnage grotesque qu’il est, il ordonne la fermeture des boulangeries où les prisonniers palestiniens fabriquent leur propre pain pita ou limite les douches des prisonniers à quatre minutes. Il cherche à faire la une des journaux pour des futilités, perturbant un calme fragile dans ces prisons et attisant la colère des Palestiniens.

Les éléments relativement responsables du gouvernement – malheureusement très peu nombreux – comprennent que le fait de bouleverser les forces progressistes en Israël, qui contribuent le plus à son économie et à sa sécurité, de chercher à envenimer les relations déjà tendues et qui se détériorent avec les Palestiniens et de se brouiller avec la communauté internationale, ne servent pas les intérêts d’Israël, même si cela pourrait aider Benjamin Netanyahou à rester au pouvoir et, éventuellement, à faire échouer son procès.

Les cyniques diront que tout cela fait partie du stratagème de M. Netanyahou pour attirer dans son gouvernement, s’il est finalement libre, les partis les plus centristes qui ont juré de ne pas siéger dans un gouvernement au sein duquel le Premier ministre est accusé de corruption. L’argument est qu’en formant une coalition avec les bellicistes antidémocratiques, racistes, misogynes et homophobes les plus radicaux d’Israël, il les utilise comme instrument de coercition pour s’opposer à ceux qui refusent de partager le pouvoir avec lui.

Benjamin Netanyahou pourrait faire preuve de cynisme jusqu’au bout, mais personne ne devrait tomber dans le piège de ses ruses. Puisse le peuple limiter le mandat du gouvernement de M. Netanyahou à un chapitre très court de l’Histoire et s’y opposer par toutes les voies légales qui s’offrent à lui.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com