Qui éteindra les flammes en Cisjordanie?

Des soldats israéliens patrouillent dans la ville de Huwara en Cisjordanie occupée le 1er mars 2023 (Photo, AFP).
Des soldats israéliens patrouillent dans la ville de Huwara en Cisjordanie occupée le 1er mars 2023 (Photo, AFP).
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Publié le Jeudi 09 mars 2023

Qui éteindra les flammes en Cisjordanie?

Qui éteindra les flammes en Cisjordanie?
  • L’année 2023 a commencé il y a deux mois à peine et déjà 66 Palestiniens, militants et civils, et 13 Israéliens, dont un policier paramilitaire, ont été tués
  • À court terme, ce qui est encore plus préoccupant, c’est la croyance populaire parmi les colons israéliens en Cisjordanie, et non sans fondement, qu’ils ont enfin un gouvernement qui les représente vraiment

Comme dans le film acclamé d’Akira Kurosawa, Rashomon, où les quatre témoins différents d’un crime odieux fournissent quatre versions mutuellement contradictoires des événements, il existe de – trop! –  nombreuses  versions sur qui porte la responsabilité de l’absence de solution au conflit israélo-palestinien et aux souffrances qui en découlent. Il s’agit principalement d’un jeu de blâme qui manque de solution pacifique. Cependant, dans ces circonstances, certains actes et comportements sont sans équivoque et inacceptables. Le pogrom commis la semaine dernière par des colons juifs contre les habitants palestiniens de la ville de Huwara en fait partie. Justifier un tel acte en le qualifiant de vengeance pour le meurtre antérieur de deux colons, aussi condamnable que cela ait été, est une excuse méprisable. Les responsables de cet acte barbare devraient être sévèrement punis.

L’année 2023 a commencé il y a deux mois à peine et déjà 66 Palestiniens, militants et civils, et 13 Israéliens, dont un policier paramilitaire, ont été tués, avant d’entrer dans une période tendue où les fêtes sacrées du Ramadan, de la Pâque juive et de la Pâques chrétienne se succèderont. Une grande partie des événements qui opposent Israéliens et Palestiniens sont troublants, surtout lorsque des non-combattants en paient les frais, mais la scène montrant 400 colons israéliens saccager la ville palestinienne de Huwara en Cisjordanie et y incendier des maisons et des voitures est la plus alarmante depuis bien longtemps. Ces éléments extrêmes parmi les colons semblent avoir préparé leur attaque longtemps à l’avance. Ils cherchaient simplement une occasion pour la mener. Les deux frères colons ont été tués par un tireur palestinien, alors qu'ils étaient coincés dans un embouteillage à Huwara. Celui-ci portait une chemise portant l’insigne du groupe militant «La tanière des lions», basé à Naplouse, dont six membres ont été tués lors d’un raid israélien, en plus de cinq autres civils, dont deux hommes âgés. Dans ce cycle de violence, où presque personne dans l’une ou l’autre des communautés n’est disposé ou capable de mettre tout son poids pour la contenir, les prochaines pertes humaines ne sont qu’une question de temps.

Le plus frustrant est que cette détérioration de la situation sécuritaire se produit dans des circonstances à la fois prévisibles et évitables. Avec la formation du gouvernement le plus d’extrême droite, le plus provocateur et le plus anti-palestinien de l’histoire d’Israël, la situation est d’autant plus inquiétante. Du côté des Palestiniens, cela approfondit leur désespoir face à la fin de l’occupation oppressive d’Israël et anéantit leur espoir de voir leurs propres dirigeants jouer un rôle positif dans l’amélioration de n’importe quel aspect de leur vie. Par conséquent, les centres de la lutte armée se situent au-delà des centres traditionnels du pouvoir palestinien et il existe désormais des groupes indépendants ou même des individus qui commettent des attentats. En Israël, la principale inquiétude est que le gouvernement commette un coup d’État judiciaire, mais beaucoup de ceux qui protestent contre ce coup d’État sont trop aveuglés pour voir le lien entre l’érosion de la démocratie israélienne et l’occupation et l’oppression des Palestiniens. À court terme, ce qui est encore plus préoccupant, c’est la croyance populaire parmi les colons israéliens en Cisjordanie, et non sans fondement, qu’ils ont enfin un gouvernement qui les représente vraiment et mettra en œuvre leur idéologie religieuse-messianique. Il fermera les yeux sur les attaques terroristes contre les Palestiniens, ou les facilitera,  pendant que les colons se comportent comme une milice armée alors que Tsahal ne veut pas ou a trop peur de les arrêter.

«Commettre un pogrom contre des innocents à Huwara est un acte de terrorisme particulièrement inacceptable et impardonnable.»

Le chagrin, voire la colère face au meurtre de deux jeunes colons, même si les colonies nuisent clairement aux relations israélo-palestiniennes, est compréhensible. Cependant, commettre un pogrom contre des innocents à Huwara est un acte de terrorisme particulièrement inacceptable et impardonnable. En incendiant des voitures et des maisons, et pas pour la première fois, cette bande de fanatiques racistes était clairement préparée à brûler vives des familles entières. C’est par pure chance, et à l’initiative des populations locales et des services d’urgence que ces familles ont été conduites en sécurité, évitant ainsi une tragédie bien pire. Ces colons sont peut-être relativement peu nombreux, mais ils pratiquent et militarisent une version très dangereuse et déformée du judaïsme et du sionisme, au mépris total de l’autorité de l’État. Les représentants de ces milices de colons se vantent des atrocités qu’ils sont plus qu’heureux de commettre alors que les forces de sécurité n’osent pas le faire, selon eux.

Ironiquement, le jour même de cette explosion de violence, de hauts responsables de Jordanie, d’Égypte, d’Israël, de Palestine et des États-Unis se sont réunis dans la ville côtière jordanienne d’Aqaba pour discuter de la manière d’apaiser le conflit virulent entre Israël et les Palestiniens, mais leur communiqué conjoint se situe à mi-chemin entre le désespoir et les vœux pieux. La désescalade, actionner de nouveau les accords passés, éviter les mesures unilatérales et les démarches de renforcement de la confiance sont tous des objectifs louables, mais ces interventions ne sont-elles pas trop tardives? Le plus surprenant, c’est que cette réunion ait eu lieu, puisque la situation semble s’effondrer au moment où l’Autorité palestinienne et le gouvernement israélien perdent du terrain contre des groupes militants non étatiques qui font la loi, qu’il s’agisse de La tanière des lions ou de certains colons. On pourrait saluer l’arrêt des actions unilatérales, mais la légalisation des avant-postes et l’expansion des colonies font partie des piliers des accords du gouvernement de coalition israélien. À son habituelle manière irresponsable et désinvolte, le ministre israélien de la Sécurité, Itamar Ben-Gvir a déclaré: «Ce qui s’est passé en Jordanie (si cela s’est produit), restera en Jordanie». En d’autres termes, son parti et lui n’ont aucune obligation d’y adhérer, tandis que d’autres politiciens de droite ont exprimé leur sympathie à l’égard des vandales qui ont attaqué Huwara, sans parler de ceux qui encouragent de tels actes criminels.

À ce rythme, la sympathie dont le monde a en grande partie fait preuve envers les problèmes de sécurité d’Israël, au fil des ans, vole en éclats avec les maisons en feu à Huwara. Tout Israélien honnête devrait se distancier de ces gangs de colons-terroristes. Par ailleurs, les autorités devraient arrêter de les ménager et s’assurer qu’ils soient traduits en justice.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com