La Turquie compte-t-elle réexaminer sa politique étrangère ?

Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu lors d'une conférence de presse à Tirana, en Albanie, le 12 février 2020. (Reuters)
Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu lors d'une conférence de presse à Tirana, en Albanie, le 12 février 2020. (Reuters)
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Publié le Dimanche 29 novembre 2020

La Turquie compte-t-elle réexaminer sa politique étrangère ?

La Turquie compte-t-elle réexaminer sa politique étrangère ?
  • La Turquie a été invitée à réexaminer sa politique étrangère, en particulier vis-à-vis des États-Unis et de l'Union européenne, de manière à prévenir les risques qui pourraient affecter son économie
  • La société turque, polarisée comme d’habitude, est divisée entre ceux qui ont bon espoir de voir les réformes passer et ceux qui ne sont pas favorables à cette proposition

La Turquie voit à présent son agenda politique largement marqué par les réformes qui seront bientôt annoncées par le gouvernement, et qui servent à améliorer le climat d'investissement dans le pays.

La société turque, polarisée comme d’habitude, est divisée entre ceux qui ont bon espoir de voir ces réformes passer et ceux qui ne sont pas favorables à cette proposition.

En effet, le gouvernement n'a pas annoncé clairement la nature de ces réformes. Il a toutefois assuré que celles-ci influenceront l'économie, le système judiciaire et la politique étrangère.

Peu de détails ont été fournis sur la portée des réformes sur la politique étrangère, sauf pour ce qui est des relations avec l'UE. Ibrahim Kalin, le porte-parole du président turc, a promis la semaine dernière que les nouvelles réformes auraient un effet positif sur la politique étrangère. « Elles accéléreront nos activités, tant au niveau national qu'international. Elles auront des conséquences positives sur l'économie, la politique, la société et la politique étrangère », a déclaré Ibrahim Kalin à la chaîne de nouvelles NTV samedi. Il a également évoqué l'annonce par le président Recep Tayyip Erdogan, le 13 novembre dernier, d'une période de réformes, et a affirmé que les nouvelles démarches allaient améliorer les normes en matière de droits démocratiques et de liberté du peuple.

La Turquie a été invitée à réexaminer sa politique étrangère, en particulier vis-à-vis des États-Unis et de l'Union européenne, de manière à prévenir les risques qui pourraient affecter son économie. Ainsi, il ne faut pas s'étonner de voir le dirigeant turc annoncer qu'Ankara souhaite consolider sa coopération avec des alliés tels que Washington et qu'elle œuvre activement pour résoudre les problèmes d'ordre régional et mondial. M. Erdogan a toutefois ajouté que la Turquie ne pouvait pas non plus ignorer des pays comme la Russie et l'Iran, avec qui elle entretient des liens étroits. « Nous souhaitons améliorer notre coopération avec pratiquement toutes les puissances régionales dans le monde », a affirmé M. Erdogan, avant d’ajouter que la Turquie œuvre en faveur de solutions basées sur l'intégrité géographique et sur l'unité politique dans toutes les régions où elle est impliquée, de la Syrie à la Libye.

Toutefois, les points les plus importants ont émergé quand Erdogan a évoqué les relations de la Turquie avec l'UE. « L'avenir de la Turquie est en Europe et nulle part ailleurs », a-t-il déclaré. « Nous attendons de l'UE qu'elle tienne ses promesses, qu'elle ne nous discrimine pas, ou du moins qu'elle ne devienne pas un outil pour créer des inimités contre notre pays ». Nous nous ne nous voyons pas ailleurs, et nous envisageons de bâtir notre avenir avec l'Europe ». M. Kalin s'est ensuite rendu à Bruxelles pour tâter le terrain. Bien entendu, la portée et le cadre des relations entre la Turquie et l'UE dans la nouvelle ère étaient au centre de son ordre du jour.

Cette annonce est intervenue à un moment significatif, dans la mesure où les pays de l'UE envisagent sérieusement d'imposer des sanctions à la Turquie avant leur réunion prévue le 10 décembre. Il est difficile de déterminer si la déclaration d'Erdogan sur l'UE visait à recentrer toute la politique étrangère d'Ankara sur l'Europe ou simplement à « accepter d'être en désaccord » sur certains points, pendant qu'il règle ses problèmes internes. Partant de la première hypothèse, la problématique de la Méditerranée orientale et les relations conflictuelles avec la France et la Grèce devront constituer les premiers sujets que l'UE et la Turquie pourront discuter de manière constructive en vue d'inaugurer d'une éventuelle nouvelle ère. La Turquie ne semble pas vouloir faire marche arrière sur ces questions si l'UE ne tient pas ses promesses envers Ankara concernant l'union douanière, la libéralisation des visas et le renouvellement de l'accord sur les réfugiés syriens.

Ankara et Bruxelles sont toutes deux mutuellement sceptiques. La seconde craint que la première ne soit pas sincère dans sa volonté de réformer la politique étrangère et de commencer une nouvelle ère. Les jours à venir seront donc très significatifs pour la Turquie si elle entend prouver que sa nouvelle ère de réformes ne se résume pas à des paroles. Si Ankara parvient à recalibrer sa politique étrangère, la balle sera dans le camp de l'UE qui devra remplir ses obligations.

Ankara souhaite consolider sa coopération avec des alliés tels que Washington et œuvre activement pour résoudre les problèmes d'ordre régional et mondial

Sinem Cengiz

Alors qu'une nouvelle ère Turquie-UE semble se dessiner, une frégate allemande, dirigée par un commandant grec, a illégalement arrêté et fouillé cette semaine un navire battant pavillon turc en Méditerranée sans le consentement des autorités turques. Le ministre des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a déclaré mardi dernier que la Turquie prendra les mesures nécessaires à tous les niveaux contre l'opération Irini de l'UE en raison de cette fouille illégale. Le Conseil turc de sécurité nationale s'est réuni mercredi pour décider de sa réponse.

Cet incident était la dernière chose dont on avait besoin à ce moment. Cependant, il a également prouvé une fois de plus que, faute de négociations entre la Turquie et la Grèce, aucun progrès ne sera possible dans les relations entre la Turquie et l'UE. La nouvelle ère de réformes sera en fin de compte tenue en otage par les tensions turco-grecques. Outre la dimension bilatérale des relations de la Turquie avec l'UE, la nouvelle administration américaine et ses politiques attendues devraient inciter la Turquie et certains pays de l'UE à trouver un terrain d'entente.

 

Sinem Cengiz est analyste politique turque, spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient 
Twitter: @SinemCngz
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com