Un gouvernement israélien sans boussole

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Publié le Lundi 03 avril 2023

Un gouvernement israélien sans boussole

Un gouvernement israélien sans boussole
  • Dans un pays où la sécurité est un concept-clé utilisé pour justifier presque tout, le ministre le plus haut placé, en charge de cette sécurité, a été renvoyé sans ménagement
  • Pour apaiser ses pyromanes nationaux et régionaux messianiques d’extrême-droite, Netanyahou a accepté de créer une Garde nationale sous le contrôle de Ben-Gvir

Lorsque j’ai écrit il y a quelques semaines que des divisions commençaient déjà à se manifester au sein du gouvernement israélien, formé il y a à peine deux mois, je ne m’attendais pas à ce que, dans un laps de temps aussi court, il y ait une crise généralisée, dans la mesure où le Premier ministre Benjamin Netanyahou limogerait son ministre de la Défense, Yoav Gallant, et exposerait des divisions profondes même au sein de son propre parti, le Likoud.
Dans un pays où la sécurité est un concept-clé utilisé pour justifier presque tout, le ministre le plus haut placé, en charge de cette sécurité, a été renvoyé sans ménagement. Par quel péché a-t-il tant irrité le chef suprême d’Israël? Il a osé faire preuve de bon sens, ce que le Premier ministre échoue lamentablement à faire en ce moment.
Le ministre Gallant – lui-même n’étant pas vraiment réputé pour être un ardent défenseur des valeurs démocratiques – a exhorté le Premier ministre à mettre un terme à la destruction irresponsable de l’indépendance du pouvoir judiciaire, qui constitue un sujet de discorde au sein des forces de sécurité et affecte ainsi leur état de préparation.
Yoav Gallant a été très discret dans son évaluation, afin de ne pas contrarier Benjamin Netanyahou – un accusé particulièrement sensible dans trois affaires de corruption – ou sa famille, qui prennent tous très à cœur tout signe de critique.
Inquiet des implications pour la sécurité si le gouvernement poursuivait sa soi-disant refonte judiciaire, l’ancien ministre de la Défense a demandé à ce que la législation soit suspendue pendant quelques semaines afin de créer un espace pour un dialogue plus constructif et à plus grande échelle entre le gouvernement de coalition, l’opposition et d’autres parties prenantes importantes à la recherche d’un terrain d’entente.
Compte tenu des protestations publiques généralisées, du refus de nombreux réservistes occupant des postes-clés et des dommages causés à l’économie – tous résultant de l’attaque contre le système judiciaire – la plupart des gens trouveraient cette demande sensée et utile, mais pas Netanyahou en 2023. En tant qu’otage des membres d’extrême-droite de la coalition, ainsi que de certains membres de son propre parti, le Likoud, en particulier le ministre de la Justice Yariv Levin, le Premier ministre veille à ce que les voix de la raison soient automatiquement écartées et considérées ennemies.
Il est presque trop facile pour les manifestants de faire de l’ancien général Yoav Gallant un héros prêt à sacrifier sa propre carrière politique naissante pour le plus grand bien. Plus qu’un simple sauveur de la démocratie israélienne, il s’inquiétait de l’aptitude des forces de sécurité israéliennes à mener à bien leurs missions face à un malaise qui se propageait des réservistes aux soldats réguliers.
Mais la question qui devrait vraiment être posée n’est pas pourquoi Gallant a pris la parole, mais pourquoi lui et certains de ses collègues les plus responsables de la coalition ont été réduits au silence pendant tant de semaines. Il aurait mieux valu faire preuve de courage et interpeler le Premier ministre avant que le pays ne soit paralysé par le mouvement de contestation.
L’autre question, tout aussi troublante, est la suivante : qu’est-ce qui a poussé Netanyahou, après avoir été témoin de la détermination des manifestants et de l’élan grandissant de tous ceux qui s’opposent au coup d’État judiciaire, à limoger le ministre de la Défense au lieu de profiter de l’occasion pour suivre ses conseils?
Les réponses aux deux questions illustrent le manque de scrupules et de jugement évident de ce gouvernement, qui préfère se garder, plutôt que le pays, intact. Des centaines de milliers d’Israéliens manifestent dans les rues depuis près de trois mois et plusieurs milliers de réservistes de l’armée de l’air, des services de renseignement, des forces spéciales, du corps médical, de la cyberguerre et de nombreuses autres unités ont constamment prévenu qu’ils ne se mettraient pas au service d’un gouvernement qui mène le pays vers la dictature.

Licencier Gallant démontre que ce n’est pas Netanyahou qui contrôle le gouvernement, mais le gouvernement qui le contrôle.

Yossi Mekelberg

Mais le gouvernement a toujours refusé d’être à l’écoute. Ce que Gallant a dit, lorsqu’il a finalement retrouvé sa voix et son courage, alors que Netanyahou était parti pour l’une de ses brèves et vaines excursions à l’étranger, était ce qu’il aurait dû exprimer clairement il y a des semaines, avant que la crise n’éclate et ne compromette la sécurité de son pays.
Mais c’est la deuxième question qui est encore plus mystérieuse, puisque Netanyahou pouvait saisir une occasion en or d’annuler la législation dévastatrice et de rejeter la responsabilité sur l’armée, ses chefs et le ministre de la Défense. Mais dans sa peur de l’extrême-droite, et apparemment aussi de son fils, il a plutôt cédé à la demande du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir et a limogé Gallant.
C’était un geste précipité et méchant de la part d'un Premier ministre assiégé, perdu entre servir ses intérêts privés en échappant à la justice dans son procès pour corruption en subordonnant le pouvoir judiciaire aux politiciens (lui-même) et servir les meilleurs intérêts du pays en tenant compte du plaidoyer de Gallant pour stopper la législation folle.
Mais Netanyahou, fidèle à son caractère, a choisi de continuer à appliquer la législation. Les protestations auxquelles sa femme et lui ont dû faire face le week-end dernier à Londres lors de leur virée shopping et restaurants de luxe ne sont qu’un prélude à ce qui l’attend chez lui après le limogeage de Gallant.
Bien que le limogeage inattendu ait eu lieu un dimanche – jour où les manifestants prennent généralement une pause –, des dizaines de milliers de personnes se sont mobilisées presque instantanément à travers le pays. Dans les rues, elles ont exprimé leur consternation et leur colère contre un Premier ministre qui s’est toujours présenté comme « Monsieur sécurité», mais qui était prêt à compromettre la sécurité de son pays si cela pouvait l’aider à rester au pouvoir et à éviter la prison.
Le licenciement de Gallant n’était pas seulement une erreur de calcul en termes d’évaluation de la réaction de la population au sens large. Cela a également démontré que ce n’est pas Netanyahou qui contrôle le gouvernement, mais le gouvernement qui le contrôle. Il n’a fallu qu’une nuit de protestations à Netanyahou pour appliquer ce que Gallant avait conseillé en premier lieu et suspendre les réformes judiciaires, mais à ce moment-là, il avait perdu son ministre de la Défense et provoqué la colère d’un certain nombre de ses collègues membres du Likoud à la Knesset.
Pour apaiser ses pyromanes nationaux et régionaux messianiques d’extrême-droite, Ben-Gvir et le ministre des Finances Bezalel Smotrich, et les inciter à retarder la législation la plus néfaste portée contre la démocratie israélienne depuis sa création, Netanyahou a également accepté de créer une Garde nationale sous le contrôle de Ben-Gvir, comme ce dernier l’avait réclamé.
Lorsque la situation est devenue compliquée pour Netanyahou, il a cédé sous la pression, incité contre ceux qui s’opposaient à lui dans les rues, poussé imprudemment son pays au bord de la guerre civile et remis aux dirigeants du mouvement des colonies leur propre milice.
Des citoyens de tous bords politiques manifestent dans les rues pour défendre l’indépendance du pouvoir judiciaire. Grâce à leur conviction et à leur persévérance, et en traçant leurs lignes rouges en tant que citoyens, ils sont désormais l’épine dorsale de la sécurité et de l’économie d’Israël et les gardiens du bien-être de sa société. Ce sont eux qui pourront mettre un terme à toute cette folie.


Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
 

TWITTER: @Ymekelberg
 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com