Compte tenu des événements stupéfiants qui continuent de se passer en Israël, il est normal de se sentir quelque peu étourdi et d’avoir du mal à y trouver du sens.
L’une des raisons est que le pays n’a jamais connu auparavant de gouvernement aussi déterminé à détruire toute forme de démocratie, tout en semant négligemment les troubles et la discorde.
Dans le cadre d’une campagne éclair, 144 projets de loi devraient être soumis au vote de la Knesset. Certains sont conçus pour avoir des effets fondamentaux et préjudiciables sur le caractère démocratique d’Israël.
Ces démarches sont caractérisées par l’immaturité, la brutalité, l’empressement et la cupidité d’un gouvernement qui perçoit la victoire électorale comme une sorte de permis non seulement pour poursuivre les politiques qu’il a promises à ses électeurs, ce qui serait tout à fait légitime, mais pour changer les règles mêmes du jeu et mettre Israël sur la voie de la dictature, en faisant taire toute opposition.
Mais ce sixième gouvernement présidé par le Premier ministre Benjamin Netanyahou est aussi un gouvernement chaotique qui prend des décisions sur un coup de tête. Ce qui illustre au mieux cette caractéristique, c’est la «décision» de former une garde nationale qui serait un nouvel organe de maintien de l’ordre opérant indépendamment de toutes les autres branches des forces de sécurité. Si ce nouvel organe est mis en place, il opérera sous la tutelle du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, une figure de l’extrême-droite, ce qui est extrêmement terrifiant.
Une fois de plus, comme tant de «réformes» destructrices et assoiffées de pouvoir de ce gouvernement, cette décision est prise à la hâte pour satisfaire l’un des électrons libres de la coalition et ne constitue en réalité rien de moins qu’un acte criminel.
Dans un pays hautement militarisé – l’un des plus gros dépensiers au monde en matière de sécurité –, il est plus que raisonnable de remettre en question la nécessité d’un autre organe de sécurité et de chercher à examiner correctement la proposition.
Le gouvernement est uniquement prêt à révéler qu’il a mis en place un comité chargé d’examiner une telle organisation de sécurité, mais il ne discutera ni de sa structure ni de ses attributions, ce qui n’est guère rassurant. Comme pour tous les plans que le gouvernement tente de faire adopter à la va-vite, il n’y a aucune transparence et les décisions sont prises sur le champ – dans ce cas pour apaiser Ben-Gvir afin que son parti marque une courte pause dans la mise en œuvre de la lutte anti-législation démocratique visant à affaiblir le rôle du pouvoir judiciaire.
L’idée d’une garde nationale n’est pas une invention israélienne, ni imaginée par Ben-Gvir. Depuis plus de deux siècles, les gouvernements du monde entier ont formé de telles organisations pour soutenir leurs forces de sécurité régulières, principalement en tant que forces de réserve ou de renforts pour l’armée régulière et, parfois, la police.
Cependant, Israël n’a pas besoin d’une telle force, puisqu’il dispose d’une réserve militaire très active comprenant tous ceux qui ont précédemment servi comme conscrits ou sont restés pour un service ultérieur, y compris ceux qui ont servi aux côtés des gardes-frontières – une unité au sein de la police.
Toute la saga soulève des questions sur le jugement de Netanyahou et son aptitude à remplir les fonctions de Premier ministre.
Yossi Mekelberg
Dans ces circonstances, il n’est pas étonnant que de nombreux soupçons aient été exprimés quant aux véritables intentions derrière la remise d’une telle force aux éléments les plus extrêmes au sein de l’actuel gouvernement de coalition d’Israël. Cette décision semble être un paiement de rançon à bout portant simplement pour gagner le soutien de l’extrême droite afin de marquer une courte pause dans l’application de la législation antidémocratique.
Toute la saga soulève des questions sur le jugement de Netanyahou, son aptitude à remplir les fonctions de Premier ministre et la capacité de ses ministres à occuper des postes au sein du gouvernement.
Premièrement, le Premier ministre a limogé son ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui a suggéré de suspendre la législation controversée pendant quelques semaines. Puis, lorsque des dizaines de milliers de manifestants sont descendus spontanément dans la rue pour protester contre le limogeage, Netanyahou a accepté la demande de Gallant mais ne l’a réintégré qu’une semaine plus tard. Et pour que Ben-Gvir accepte la mise en suspens, le Premier ministre lui a promis de rassembler sa garde nationale tant attendue. Quel gâchis!
Lorsqu’on considère l’idée de former une garde nationale, il serait totalement insensé d’ignorer le contexte dans lequel une telle proposition se déroule, qui la demande et sous l’autorité de qui elle est censée être appliquée.
Il n’y a pas que Ben-Gvir. Il y a aussi le ministre des Finances Bezalel Smotrich et leurs acolytes de l’extrême droite extravagante et messianique qui prétendent que les forces de sécurité sont de gauche et sous la coupe de la Cour suprême, et par conséquent ne peuvent pas remplir leur rôle de sécurité pour les Israéliens; tout comme Netanyahou et ses proches alliés. Leurs affirmations sont à la fois extrêmement risibles et profondément sinistres.
Il s’agit d’une tentative de former non pas une garde nationale, mais une milice responsable devant Ben-Gvir et, à travers lui, les colons les plus extrêmes et les plus violents de la Cisjordanie occupée, qui opèrent déjà selon leurs propres lois depuis de nombreuses années.
Et si, sur certaines questions, Netanyahou aimerait être perçu comme étant contraint de se conformer aux éléments d’extrême-droite de la coalition contre sa volonté et son jugement, simplement pour assurer la survie de son gouvernement, ce n’est pas nécessairement le cas lorsqu’il s’agit d’établir une garde nationale.
Il y a un accord entre le Premier ministre et les membres encore plus zélés de sa coalition que la police a été trop douce avec les manifestants. Mais cette théorie n’a aucun lien avec la réalité. Ben-Gvir a demandé au commissaire de police Yaakov Shabtai de destituer le commandant du district de Tel-Aviv, Amichai Eshed, de ses fonctions pour cette raison très fallacieuse. Cette tentative a été avortée à la suite de l’intervention du procureur général Gali Baharav-Miara.
En vérité, et j’en ai moi-même été témoin au cours des deux dernières semaines, la police devrait être félicitée pour avoir facilité des manifestations pacifiques avec seulement quelques incidents de force excessive.
Imaginez simplement le fait de mettre une milice entre les mains de quelqu’un comme Ben-Gvir, qui a été inculpé 53 fois et condamné sept fois pour incitation au racisme contre les Arabes, interférence avec un policier dans l’exercice de ses fonctions et soutien à un groupe terroriste illégal (Kach).
Imaginez simplement les conséquences horribles des actes de la milice de Ben-Gvir contre des manifestants pacifiques. Ils sont dans la rue pour défendre la démocratie israélienne, les Israéliens palestiniens dont la loyauté est toujours remise en question et ceux qui vivent sous occupation en Cisjordanie. Cela renforcerait la violence des colons dans laquelle certains de ses proches et lui ont déjà été impliqués.
Ce sont des pensées effrayantes et Netanyahou doit se poser la question suivante: est-ce un prix qui vaut la peine d’être payé pour éviter que justice soit rendue dans son procès pour corruption? La réponse à cette question est probablement évidente pour nous autres.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
Twitter: @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com