Le gouvernement israélien plonge peu à peu le pays dans la guerre civile

Les Israéliens protestent contre les plans du gouvernement du Premier ministre Netanyahou de réformer le système judiciaire à Tel Aviv (Photo, AP).
Les Israéliens protestent contre les plans du gouvernement du Premier ministre Netanyahou de réformer le système judiciaire à Tel Aviv (Photo, AP).
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Publié le Lundi 08 mai 2023

Le gouvernement israélien plonge peu à peu le pays dans la guerre civile

Le gouvernement israélien plonge peu à peu le pays dans la guerre civile
  • De nombreuses propositions actuellement soumises à la Knesset n’ont pas été présentées aux électeurs pendant la campagne électorale
  • À une époque où le pays a désespérément besoin d’un gouvernement prudent capable d’apaiser le conflit, il a plutôt le malheur d’être dirigé par ceux qui se nourrissent de discorde

Rien dans l’actuel gouvernement israélien n’incite à croire qu’il ait l’intention de maintenir le système libéral-démocratique, ou qu’il ait la moindre idée de la direction dans laquelle il entraîne le pays.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou et ses collègues sont une source de préoccupation pour des millions de personnes, mais leurs soucis sont présents également. Le bon sens voudrait que cela les pousse à renoncer à leur attaque malavisée et mal calculée contre les institutions et les processus démocratiques de leur pays.

Cependant, ébranlé par les protestations quotidiennes contre sa législation et son discours antidémocratiques, le gouvernement continue d’envenimer la situation et a même organisé son propre rassemblement. Cela ne vise pas uniquement à plaider en faveur de ce qu’il décrit à tort comme des «réformes judiciaires», mais clairement pour réprimer ceux qui s’opposent au gouvernement, poussant la société israélienne un peu plus vers la violence politique.

De manière optimiste, bien qu’irréaliste, les partisans du gouvernement de coalition et les champions du stratagème de refonte judiciaire ont qualifié leur marche et leur rassemblement de «Marche du million», sous le slogan «Ils ne nous voleront pas les élections».

En réalité, les estimations sont comprises entre 150 0000 et 200 000, ce qui est similaire au nombre de personnes qui manifestent dans la rue à Tel Aviv chaque samedi lors des rassemblements hebdomadaires contre la refonte judiciaire, et environ la moitié du nombre de manifestants à travers le pays qui s’opposent à l’affaiblissement de la justice parmi d’autres mesures antidémocratiques prévues par la coalition gouvernementale. Cela pourrait difficilement être considéré comme une approbation retentissante.

L’une des caractéristiques les plus troublantes de l’événement est la déformation délibérée de l’essence du rejet des propositions du gouvernement et la diffamation contre ceux qui dirigent l’opposition.

Pour commencer, il n’y a eu aucune tentative de la part de qui que ce soit de «voler les élections». Les élections de l’année dernière ont été remportées par ceux qui ont finalement formé le gouvernement de coalition actuel et il n’y a aucun doute sur la validité du résultat des élections.

Cependant, il existe une énorme différence entre la légitimité du résultat de l’élection et la légitimité des actions de ceux qui sont arrivés au pouvoir. Ce gouvernement israélien essaie de détruire le système même qui lui a permis de prendre le pouvoir et, ce faisant, d’empêcher tout groupement politique alternatif de diriger le pays à l’avenir. Par ailleurs, cela porte atteinte aux mécanismes sociaux et juridiques en place depuis longtemps pour protéger les libertés politiques et civiles du peuple.

L’accusation selon laquelle ceux qui protestent contre l’affaiblissement par le gouvernement du système de freins et contrepoids démocratiques refusent d’accepter le résultat des élections était au cœur des discours lors du rassemblement progouvernemental dirigé par le ministre de la Justice Yariv Levin, qui est à l’origine de la réforme judiciaire.

Pour une raison insondable, il nourrit un profond ressentiment envers la Cour suprême. Avec son acolyte, Simcha Rothman – un membre de la Knesset qui traite avec mépris la Commission de la Constitution, du droit et de la justice, qu’il préside – Levin nous donne une indication claire de ce qui se passerait si la coalition réussissait sa campagne de législation antidémocratique.

«Le gouvernement de Netanyahou essaie de détruire le système même qui lui a permis de prendre le pouvoir.»

Yossi Mekelberg

En toute hypocrisie, il affirme pendant le rassemblement que le public avait soutenu la réforme judiciaire «lors d’un référendum il y a six mois», faisant allusion à la victoire électorale de la coalition. Mais il s’agit d’un récit nouvellement inventé qui n’a rien à voir avec les événements tels qu’ils se sont réellement déroulés.

De nombreuses propositions actuellement soumises à la Knesset n’ont pas été présentées aux électeurs pendant la campagne électorale. Au contraire, elles ont délibérément été gardées secrètes, en particulier pour la droite modérée au sein du parti Likoud.

Selon les derniers sondages d’opinion, la coalition perdrait 15 de ses 64 sièges si des élections législatives se tenaient aujourd’hui, ce qui lui laisserait 49 sièges, tandis que les partis qui formaient la coalition précédente, dirigée par Naftali Bennett et Yaïr Lapid, remporteraient 62 sièges, contre leurs 51 actuels. Tel est le verdict du public israélien vis-à-vis de l’attaque du gouvernement contre la démocratie du pays.

Au même moment où le président Isaac Herzog discutait, à deux pas du rassemblement, d’un possible compromis avec des représentants des deux camps, Yariv Rothman, le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir et le ministre des Finances Bezalel Smotrich envenimaient délibérément la situation pour faire échouer toute chance de trouver une formule acceptable en vue de mettre fin à l’impasse.

Ils ont simplement cherché à plaire aux partisans de la ligne dure religieuse et des colonies illégales en Cisjordanie occupée, qui sont enclins à soutenir les attaques vicieuses dépeignant les juges de la Cour suprême comme des élitistes qui se placent au-dessus de la loi, sans parler des gauchistes qui s’opposent aux colonies et aux colons.

Chaque fois que la Cour suprême a été mentionnée, la foule l’a huée. Mais cela ne s’est pas arrêté là. Les orateurs ont tracé des lignes de bataille simplifiées, comme l’ont fait d’autres membres de la Knesset et les médias de droite mobilisés, entre ceux qu’ils ont décrits comme des «citoyens de première classe», des privilégiés, principalement des juifs ashkénazes opposés au gouvernement, et «des citoyens de seconde classe», les juifs de Mirzhai que le gouvernement prétend essayer de soutenir et de protéger.

Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Il n’est par ailleurs d’élite ashkénaze plus privilégiée que Levin, Rothman et Netanyahou, qui n’ont rien fait pour aider les familles à faible revenu afin de leur permettre de s’améliorer au cours des nombreuses années où le Likoud était au pouvoir.

Dans une tentative de rester au pouvoir et de promouvoir son programme, le gouvernement cherche à diviser la société israélienne et à polariser le débat. Pour paraphraser les propos de Michelle Obama, lorsque les personnes impliquées dans les manifestations contre le gouvernement relèvent leurs normes, les partisans du gouvernement s’amenuisent.

Dans une tentative de pure incitation dirigée contre la Cour suprême, sans la moindre preuve soutenant sa vision déformée du monde, Levin a réprimandé les juges, affirmant qu’ils protègent les droits des familles des terroristes plutôt que leurs victimes, qu’ils protègent les violeurs au lieu de les punir et qu’ils ne défendent même pas la vie des soldats des Forces de défense israéliennes face aux terroristes.

Il aurait pu s’épargner la peine de répandre ces mensonges en accusant directement les juges de trahison. Ne soyez pas surpris si un juge, ou toute autre personne qui soutient le pouvoir judiciaire, se retrouve bientôt en danger à cause de cette incitation.

À une époque où le pays a désespérément besoin d’un gouvernement prudent capable d’apaiser le conflit, il a plutôt le malheur d’être dirigé par ceux qui se nourrissent de discorde et de polarisation, sans se soucier des ravages qu’ils laisseront derrière eux.

Je suis tout à fait convaincu qu’à la fin de cette bataille, ils seront chassés du pouvoir, et ce de manière démocratique. J’espère seulement que cela se produira avant qu’ils ne plongent une société très fragmentée dans la guerre civile.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com