La Turquie semble redresser ses relations internationales en changeant sa politique étrangère

Le chef de l'Organisation nationale turque du renseignement, Hakan Fidan, à droite, et le ministre de la Défense Hulusi Akar avant une réunion avec Vladimir Poutine, Moscou, 24 août 2018. (AFP)
Le chef de l'Organisation nationale turque du renseignement, Hakan Fidan, à droite, et le ministre de la Défense Hulusi Akar avant une réunion avec Vladimir Poutine, Moscou, 24 août 2018. (AFP)
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Publié le Lundi 07 décembre 2020

La Turquie semble redresser ses relations internationales en changeant sa politique étrangère

La Turquie semble redresser ses relations internationales en changeant sa politique étrangère
  • Les responsables turcs de la politique étrangère semblent œuvrer pour améliorer les relations avec de nombreux pays
  • Les jours et les semaines à venir nous permettront de mieux déterminer si les efforts qui sont déployés à huis clos porteront leurs fruits

Dans le cadre d'une tentative visant à redresser les relations internationales glaciales, les responsables turcs de la politique étrangère semblent œuvrer pour améliorer les relations avec de nombreux pays et entités tels qu'Israël, l'Union européenne, la Russie et les États-Unis.

En effet, le gouvernement turc donne quelques signes de progrès sur cette question, à la suite de critiques nationales et internationales à l’égard de sa politique étrangère - cependant, les intérêts nationaux demeurent une priorité pour lui.

Certains analystes surestiment parfois les relations entre les pays et la contribution que ces relations apportent aux intérêts nationaux respectifs des pays. Pourtant, la réalité semble être bien différente. Les jours et les semaines à venir nous permettront de mieux déterminer si les efforts qui sont déployés à huis clos porteront leurs fruits.

Au sujet d'un éventuel dégel des relations entre Tel-Aviv et Ankara, on a rapporté la semaine dernière que le chef de l'Organisation nationale du renseignement, Hakan Fidan, a tenu des entretiens secrets avec des responsables israéliens dans le cadre d'un effort initié par la Turquie et vise à normaliser les relations entre les deux pays. Selon les sources évoquées dans les rapports de presse, des rencontres ont eu lieu ces dernières semaines et M. Fidan a participé à au moins une d'entre elles, sans que les sources n’en précisent le lieu.

Leurs ambassadeurs réciproques sont absents des deux pays depuis 2018, date à laquelle Ankara a donné l'ordre à l'envoyé israélien de quitter le pays après que les États-Unis aient déplacé leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem. M. Fidan est une figure importante en Turquie qui mène la diplomatie à huis clos. On lui attribue divers contacts étroits avec ses homologues israéliens qui ont porté sur les défis communs à la sécurité des deux pays, y compris les répercussions de la guerre en Syrie. Toutefois, le dernier rapport souligne que les dernières discussions portent essentiellement sur le rétablissement des relations diplomatiques au niveau des ambassadeurs.

Au cours des dix dernières années, des rapports ont évoqué un éventuel rétablissement des liens entre la Turquie et Israël, des alliés proches par le passé. De tels rapports ne présentent plus de surprise, puisque les liens commerciaux et sécuritaires ont persisté en dépit des tensions diplomatiques et de la rhétorique acerbe des dirigeants de ces deux pays.

Outre les défis régionaux auxquels Ankara et Tel Aviv sont confrontées, elles partagent désormais une nouvelle préoccupation : la nouvelle administration de Joe Biden à Washington. Pendant la présidence de Donald Trump et en dépit des tensions entre la Turquie et les États-Unis sur certains sujets, la première a tout de même conduit trois opérations militaires en Syrie, déployé des troupes en Libye et en Azerbaïdjan, et affronté la Grèce et la France en Méditerranée orientale.

Entre-temps, Israël a signé des accords de normalisation des relations avec deux pays du Golfe, les EAU et le Bahreïn, et l'ambassade américaine a été déplacée à Jérusalem grâce au soutien de l'administration Trump.

Par ailleurs, la Turquie et Israël, deux alliés des États-Unis dans le Moyen-Orient déchiré par le chaos, ont tous deux un intérêt particulier dans la politique que M. Biden adoptera dans la région et qui n'est pas encore tout à fait évidente. En dépit de ses désaccords géopolitiques avec la Russie, l'Iran et les États-Unis, la Turquie est parvenue à suivre la tendance à travers les politiques pragmatiques qu'elle applique dans ses relations avec ces pays. L'occasion se présente donc d'envisager un éventuel dégel des relations turco-israéliennes.

Un autre front diplomatique pour la Turquie concerne ses relations avec l'Union européenne. Récemment, Ankara a retiré son navire de recherche sismique, l'Oruc Reis, de la Méditerranée orientale, qui constitue depuis des mois une zone de confrontation entre Ankara et les pays de l'UE en raison de la contestation des droits sur les ressources énergétiques de cette partie. Ce retrait est intervenu avant la tenue d'un sommet européen prévu les 10 et 11 décembre, au cours duquel des sanctions contre Ankara seront envisagées.

L'Allemagne, qui assure actuellement la présidence de l'UE, a salué le départ de l'Oruc Reis et a déclaré que les relations avec la Turquie et les tensions en Méditerranée orientale figureront parmi les principaux sujets de discussion lors du sommet.

« Nous consacrons des efforts considérables aux relations de l'Union européenne avec la Turquie, mais de nombreux obstacles et difficultés ne cessent de réapparaître », a déclaré la chancelière allemande Angela Merkel.

Un porte-parole de l'UE a clairement souligné que les 27 États membres évalueront les relations avec la Turquie, non pas sur la base d'une seule action, mais en fonction de ses actions au fil du temps. Par conséquent, il reste à voir si le retrait du navire de recherche par Ankara aura une incidence sur le sommet.

 

Outre les défis régionaux auxquels Ankara et Tel Aviv sont confrontées, elles partagent désormais une nouvelle préoccupation : la nouvelle administration de Joe Biden à Washington

Sinem Cengiz

Cette initiative n'impressionne pas certains membres de l'UE. Néanmoins, les pays pragmatiques, tels que l'Allemagne, considèrent la Turquie comme un partenaire incontournable dans la région. Par conséquent, il faudrait trouver un terrain d'entente au sujet de la Méditerranée orientale, qui a gravement nui aux relations de la Turquie avec son principal partenaire commercial qu'est l'Union européenne.

Le retrait du navire a également été salué par le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, qui est très préoccupé par l'escalade des tensions entre les pays membres, la Turquie et la Grèce. En outre, la Turquie a fait un pas de plus, quand elle a réitéré son appel à la Grèce pour reprendre les discussions exploratoires, et ce, lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Otan les 1er  et 2 décembre.

Par ailleurs, la Turquie poursuit également des discussions sur l'établissement et le partage des responsabilités d'un centre commun turco-russe dans le Haut-Karabakh, où des délégations militaires des deux pays contrôleront et surveilleront le cessez-le-feu récemment convenu entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie.

De toute évidence, les derniers développements intervenus dans la politique étrangère de la Turquie sont motivés par des facteurs externes. Cependant, il existe également des influences intérieures. L'économie revêt une importance cruciale pour le gouvernement turc, ainsi que pour l'opposition et le peuple. Si elle est maintenue, l'approche plus pragmatique de la politique étrangère entraînera probablement des avantages économiques et politiques au niveau national en Turquie.

Sinem Cengiz est analyste politique turque, spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient 
Twitter: @SinemCngz
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com
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