Le jeu de patience présidentielle du Hezbollah pourrait ne pas fonctionner cette fois

Des combattants du parti chiite libanais Hezbollah, portant des drapeaux lors d’un défilé à Beyrouth (Photo, AFP).
Des combattants du parti chiite libanais Hezbollah, portant des drapeaux lors d’un défilé à Beyrouth (Photo, AFP).
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Publié le Lundi 05 juin 2023

Le jeu de patience présidentielle du Hezbollah pourrait ne pas fonctionner cette fois

Le jeu de patience présidentielle du Hezbollah pourrait ne pas fonctionner cette fois
  • Le Hezbollah et le mouvement Amal misaient sur la division chrétienne pour pousser leur candidat, Sleiman Frangié
  • Les deux principales factions chrétiennes se sont mises d'accord sur Azour comme candidat

Cela fait depuis le départ de Michel Aoun en octobre de l’année dernière que le Liban n’a pas de président. La course se poursuit d’ailleurs pour combler cette position. Le Hezbollah et le mouvement Amal misaient sur la division chrétienne pour pousser leur candidat, Sleiman Frangié, mais les blocs chrétiens les ont surpris en soutenant la candidature de Jihad Azour, directeur régional du Fonds monétaire international et ministre des Finances du gouvernement de Fouad Siniora de 2005 à 2008. 

Le Hezbollah affirme que son homme de choix est le « candidat naturel » parce que les autres camps ne s'entendent pas sur un seul candidat. Le président du Parlement, Nabih Berri, allié du Hezbollah, refuse de convoquer une session du Parlement pour élire un président s'il n'est pas sûr que l'un des candidats puisse obtenir les 65 voix nécessaires. Le Hezbollah, comme les Iraniens, cherche à gagner du temps – un jeu de patience qui l'a récompensé dans le passé. Lorsque Aoun a été élu président en 2016, cela n'a été possible que lorsque Berri a fermé le Parlement pendant deux ans et demi, jusqu'à ce que l'opposition accepte enfin. Chaque fois que le Hezbollah reste ferme, il obtient ce qu'il veut, et son entêtement a porté ses fruits – mais cela ne semble pas être le cas cette fois. La question est de savoir si le Hezbollah comprendra cela.

En 2016, les Forces libanaises ont cédé aux exigences du Hezbollah après que le chef du parti, Samir Geagea, a déclaré à ses partisans que le pays ne pouvait plus se permettre d'avoir un vide présidentiel. Le défunt Courant du Futur a également soutenu la candidature d'Aoun. L'espoir était, qu'une fois élu, Aoun deviendrait un président pour tous les Libanais, moins attaché au Hezbollah, mais cet espoir était vain: beaucoup jugent les six dernières années comme les pires que le pays ait jamais connues.

« L'espoir était qu'une fois élu, Aoun deviendrait un président pour tous les Libanais, moins attaché au Hezbollah, mais cet espoir était vain.» Dr Dania Koleilat Khatib

Le Hezbollah se trouve dans une position difficile, tant sur le plan national qu'international. Il n'a pas suffisamment de voix au Parlement pour élire son candidat à la présidence sans aide. De plus, la présidence est réservée à un chrétien. Techniquement, un président est élu avec 65 voix, quelles que soient leurs origines, mais en pratique, un président qui ne bénéficie pas d'une majorité de voix chrétiennes ne sera pas considéré comme légitime.

Le candidat du Hezbollah, Frangié, est rejeté par les principales factions chrétiennes, notamment les Forces libanaises, le Courant patriotique libre et le Parti Kataëb. Il n'est pas non plus accepté sur le plan international : il est peu probable que les États du Golfe aient envie de collaborer avec lui et ses semblables. Donc, même si le Hezbollah parvient à le pousser à la présidence, la question est de savoir ce qui se passerait le lendemain. 

Pendant ce temps, l'idée du fédéralisme, voire de la partition, devient courante dans le discours public libanais, notamment parmi les chrétiens. Plusieurs factions ne veulent pas vivre sous la juridiction du Hezbollah, mais elles ne veulent pas non plus d'une autre guerre civile ; donc leur point de vue est que la meilleure solution est que chaque camp suive son propre chemin. La partition ou le fédéralisme serait une mauvaise nouvelle pour le Hezbollah. L'ancien Premier ministre israélien Ariel Sharon avait autrefois un plan pour diviser le Liban et réduire les chiites du sud à un petit État qu’Israël pourrait écraser. Donc, si le Hezbollah pousse pour un président non représentatif des chrétiens, que se passerait-il si le Mont-Liban se déclarait une entité distincte ? Le Hezbollah voudrait-il forcer les chrétiens à être sous sa juridiction ?

Le groupe ne devrait pas sous-estimer le sentiment anti-Hezbollah prévalent, un sentiment qui ne ferait que s'intensifier avec l'élection de Frangié. Ce qui aggrave encore les choses et donne de l'espoir au groupe, c'est la position de la France. Bien que la France ait déclaré publiquement qu'elle n'a pas de candidat, en coulisses, Paris a soutenu Frangié comme président, en échange de la nomination du juge et diplomate Nawaf Salam en tant que Premier ministre. Cette formule a été rejetée par l'opposition, car elle rappelle trop l'impasse Aoun-Saad Hariri.

« La candidature de Azour pourrait être une tactique pour obliger le Hezbollah et Amal à renoncer à Frangié et à sortir de l’impasse » Dr. Dania Koleilat Khatib 

Maintenant, les deux principales factions chrétiennes se sont mises d'accord sur Azour comme étant leur candidat. Les observateurs politiques au Liban estiment qu'il s'agit d'une manœuvre, parce que le leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, ne peut pas être sérieux en faisant confronter Azour avec le Hezbollah. De même, les Forces libanaises n'accepteront pas Azour car son frère Tony, entrepreneur, entretient une relation commerciale avec Bassil. Le fait que les rivaux chrétiens se soient mis d'accord sur un nom a deux objectifs. Le premier est d'envoyer un signal selon lequel la présidence est une fonction chrétienne et que les chrétiens ont leur mot à dire sur qui devient président. Le second est de mettre Berri dans une impasse en l'obligeant à convoquer une session parlementaire pour élire un président.

Samir Geagea a proposé un jour que tous les membres se rendent simplement au parlement et votent ; si aucun candidat n'obtient le nombre de voix nécessaire, ils devraient commencer à négocier sur un troisième nom. La candidature de Azour pourrait être une tactique pour acculer le Hezbollah et Amal à renoncer à Frangié et à sortir de l'impasse. La question est de savoir si cette tactique réussira à pousser les différentes parties à se mettre d'accord sur un président, ou si nous nous dirigeons vers un vide continu et une détérioration supplémentaire de l'État libanais. Les semaines à venir le révèleront.

Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com