Macron, sous pression dans une république divisée, révélée par les émeutes

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Publié le Jeudi 06 juillet 2023

Macron, sous pression dans une république divisée, révélée par les émeutes

Macron, sous pression dans une république divisée, révélée par les émeutes
  • Le président français Emmanuel Macron, a été contraint de quitter plus tôt le sommet de l’Union européenne, à Bruxelles
  • Les troubles civils réguliers ont incité les forces de l’ordre françaises à recourir fréquemment à l’utilisation de balles en caoutchouc et de grenades assourdissantes

Alors que les millions de musulmans français se préparaient la semaine dernière à célébrer l’Aïd al-Adha, un policier français a abattu un jeune homme d’origine algérienne de 17 ans à Nanterre, une banlieue de l’Ouest parisien. Des manifestations ont immédiatement éclaté et ont dégénéré en émeutes nocturnes.

Par ailleurs, des milliers de personnes ont été arrêtées. Le président français, Emmanuel Macron, a été contraint de quitter plus tôt le sommet de l’Union européenne (UE), à Bruxelles, pour tenter de rétablir l’ordre dans un pays qui est à nouveau confronté aux manifestations. Malgré la mobilisation de 40 000 officiers, les autorités françaises ne parviennent pas à dissimuler les clivages au sein de leur république.

Après des manifestations contre la réforme des retraites cette année et des protestations contre la réforme du travail, la France est de nouveau en feu. Quelques semaines seulement après les dernières manifestations nationales, des voitures, des banques et des postes de police ont été incendiés, à la suite d’une flambée de mécontentement et de colère face à ce que les marginalisés de France considèrent comme un acte de racisme institutionnel.

À la lumière des dégâts causés à cinq cents bâtiments au moins et au déclenchement de près de quatre mille incendies, cette explosion de colère sociale bouleverse les autorités. La Première ministre, Élisabeth Borne, déclare que «toutes les options» sont possibles, y compris décréter l’état d’urgence. Les transports publics nocturnes ont été suspendus et on assiste à une forte présence policière dans les rues au moment où le gouvernement cherche à empêcher de nouvelles nuits de rage.

Le jeune homme qui a été tué s’appelle Nahel Merzouk. Il a refusé de s’arrêter puis a brûlé un feu rouge, mais ces violations ne justifient en rien la balle dans la poitrine qui a conduit à sa mort prématurée. Son meurtre représente une tendance policière inquiétante en France, que le Conseil des droits de l’homme des nations unies a qualifiée d’«usage excessif de la force» au mois de mai dernier. Les troubles civils réguliers ont incité les forces de l’ordre françaises à recourir fréquemment à l’utilisation de balles en caoutchouc et de grenades assourdissantes – une pratique rare ou totalement interdite ailleurs en Europe.

L’incident de mardi rappelle la triste mort de deux jeunes hommes nord-africains qui avaient été électrocutés en 2005 alors qu’ils étaient poursuivis par la police. Bien que l’ampleur des émeutes qui ont suivi ne se soit pas reproduite, d’autres incidents, comme l’agression du producteur de musique Michel Zecler, en 2020, montrent que, près de quatre décennies après que l’étudiant franco-algérien Malik Oussekine a été battu à mort, la police française continue d’infliger des violences de manière disproportionnée selon l’origine.

À la suite de la modification de la loi sur l’usage des armes à feu, en 2017, les agents peuvent désormais ouvrir le feu dans plusieurs situations, souvent définies de manière vague. Pendant la seule année 2022, treize personnes sont décédées à la suite de contrôles routiers.

Selon les statistiques du gouvernement français, les hommes noirs et arabes sont vingt fois plus susceptibles d’être arrêtés par la police que les autres. Cette réalité met en lumière le sort de nombreux jeunes Français découragés, oubliés et privés de leurs droits. L’égalité est le troisième pilier de l’État français, mais le pays, en réalité, devient de plus en plus inégalitaire. De telles inégalités se perpétuent dans un système où 30% des dépenses des ménages proviennent du chômage et des allocations familiales.

En cherchant à recourir à la force pour réprimer la colère suscitée par la violence policière, Emmanuel Macron ne fera qu’aggraver le problème.

- Zaid M. Belbagi

Le problème de la pauvreté en France est renforcé par un système d’enseignement supérieur rigidement stratifié et par un taux de chômage obstinément élevé – résultat de faibles compétences, de rigidité du marché du travail, de la législation en matière de protection de l’emploi et de coûts élevés pour les employeurs. Dans un tel système, les affrontements entre les habitants des banlieues françaises et la police ne sont pas rares.

Malgré la détention de l’officier impliqué dans l’incident de la semaine dernière pour homicide volontaire, les manifestations ne montrent aucun signe d’apaisement. Emmanuel Macron a fermement condamné le meurtre, mais il continue de soutenir la police, dont il ne peut se permettre de perdre le soutien compte tenu des troubles civils de ces dernières années. En précisant qu’il est prêt à faire évoluer «sans tabou» le dispositif de sécurité, il laisse entendre la mise en œuvre d’une approche plus draconienne.

Cette approche, similaire à celle de son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ne répondra pas aux défis plus larges que posent le racisme et les inégalités sociales, mais les compliquera davantage, au contraire. L’utilisation disproportionnée des contrôles d’identité et le fait d’adresser des amendes à des groupes ethniques spécifiques ont été maintes fois identifiés comme une cause de tensions sociales. En cherchant à recourir à la force pour réprimer la colère contre la violence policière, Emmanuel Macron ne fera qu’aggraver le problème.

La France est un pays fracturé dans lequel les élites urbaines ne connaissent pas les difficultés des communautés à faible revenu, qui, elles, sont «ghettoïsées» et n’ont que peu de perspectives. En 2021, quelque 12 500 infractions «à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux» ont été officiellement recensées par le ministère français de l’Intérieur. Cela représente une augmentation de 13% des crimes et délits et 26% des amendes. Ce n’est que lorsque le problème du racisme de l’État sera abordé que des incidents isolés seront moins susceptibles de dégénérer en émeutes violentes.

Le président Macron s’est rendu à Bruxelles pour rassurer les alliés européens et assister à un concert d’Elton John, au moment où les grandes villes françaises étaient dans un état de chaos. Les manifestations de cette semaine sont la dernière chose dont il a besoin. Bien qu’il y ait des signes de reprise au niveau de l’économie, les hausses des taux d’intérêt et l’inflation se font ressentir. Après avoir été réélu de justesse l’année dernière, le président, privé de majorité au Parlement, dispose d’un champ d’action limité. Son second mandat se caractérise par des mois de manifestations et, comme ces dernières deviennent violentes, les quatre prochaines années pourraient être une période trouble pour un pays dont la dette publique s’alourdit.

À court terme, Emmanuel Macron ne peut que suivre la voie de la réconciliation et de l’engagement significatifs auprès des secteurs désenchantés de la société française. Malgré la mise en place d’un plan national de lutte contre le racisme, l’Hexagone est devenu plus intolérant et la montée spectaculaire de l’extrême droite lors des dernières élections en est la meilleure preuve.

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Twitter: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com