Le statu quo, une malédiction pour le conflit israélo-palestinien

Des volutes de fumée apparaissent après une frappe aérienne israélienne sur le nord de la bande de Gaza, le 24 octobre 2023 (Photo, AFP).
Des volutes de fumée apparaissent après une frappe aérienne israélienne sur le nord de la bande de Gaza, le 24 octobre 2023 (Photo, AFP).
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Publié le Vendredi 27 octobre 2023

Le statu quo, une malédiction pour le conflit israélo-palestinien

Le statu quo, une malédiction pour le conflit israélo-palestinien
  • Une fois de plus, le Moyen-Orient est en ébullition après une confrontation majeure entre Israël et le Hamas à Gaza
  • Dans le conflit israélo-palestinien, la tragédie de cette illusion de pérennité rend une solution pacifique de plus en plus difficile à atteindre

Une fois de plus, le Moyen-Orient est en ébullition après une confrontation majeure entre Israël et le Hamas à Gaza, et le conflit israélo-palestinien suscite soudain l'intérêt du monde entier. Tout le monde veut savoir comment cette calamité a pu se produire. Comment va-t-elle se développer? Et comment l’endiguer une fois pour toutes?

Cependant, ce que les dirigeants mondiaux, les organisations internationales et même les médias ignorent, c'est que, pendant des années, ce conflit a été négligé, relégué dans les priorités internationales en raison de la croyance infondée que, bien qu'il s'agisse d'une situation désagréable, elle est néanmoins gérée et que, d'un point de vue réaliste, contenir le conflit est le mieux que l'on puisse faire. Le résoudre a été considéré comme trop complexe pour toutes les parties concernées. Cette perception s'accompagne d'une référence à l'état actuel des relations israélo-palestiniennes comme étant le «statu quo».

Rien n'est plus faux et ce terme trompeur entrave notre capacité à détecter les prochains défis et les nouveaux dangers. Le statu quo (littéralement, «l'état actuel des choses») n'existe pas en politique et dans les relations internationales et il aurait dû être rayé du jargon diplomatique et politique depuis longtemps non seulement parce qu'il crée un faux sentiment de sécurité, mais parce qu’il donne l’illusion d'une situation stable.

Ce terme sert également à normaliser des situations où une partie est bénéficiaire au détriment des autres, ce qui crée les conditions pour davantage de guerres et de conflits. Telle était la situation d'Israël lorsqu'il a été pris par surprise par l'attaque du Hamas du 7 octobre. Le statu quo est une illusion inventée par ceux qui sont aux commandes, une histoire racontée par ceux qui occupent une position privilégiée pour se doter de certitudes alors que ces dernières n'existent pas, comme c'est le cas dans le conflit israélo-palestinien. De plus, en tombant dans le piège du statu quo, les gouvernements croient qu'ils contrôlent la situation et qu'il n'y a pas de défi suffisamment important, ambitieux ou courageux pour la perturber.

Non seulement le statu quo crée un faux sentiment de sécurité, mais il donne également l’illusion d'une situation stable qui n'est confrontée à aucun défi.

Yossi Mekelberg

Il est nécessaire de répéter que s'il est compréhensible que les Palestiniens de tous bords politiques soient déterminés à défier le prétendu statu quo dans leurs relations avec Israël, rien ne pourra jamais justifier le massacre brutal mené par le Hamas contre des civils innocents et la prise en otage de centaines d'innocents. Nous assistons aujourd'hui à des semaines de guerre et d'effusion de sang supplémentaires au cours desquelles tant de Palestiniens innocents sont tués – et qui sait ce qui nous attend?

Pourtant, même aujourd'hui, nous devons remonter dans le temps et tirer les leçons de ce qui nous a amenés à ce moment horrible. Seul un regard sans complaisance sur l'histoire permettra de construire un avenir meilleur pour les Israéliens et les Palestiniens, un avenir qui exclut la violence, l'oppression et la brutalité. Néanmoins, pour parvenir à la paix, il faut d'abord s'éloigner de la pensée du statu quo et, ainsi, éviter les politiques qui découlent de ses hypothèses de stabilité manifestement fausses.

Dans l'esprit du gouvernement israélien, au moins jusqu'au 7 octobre, la situation avec les Palestiniens était stable; elle était gérée avec succès et il n’existait pas de problèmes émergents que l'armée ne pouvait pas traiter. La sécurité du pays, selon ce raisonnement, était garantie tout d'abord par le fait que Gaza était sous blocus et entourée d'une clôture sophistiquée à l'intérieur de laquelle ses habitants n'étaient guère plus que des prisonniers dans cette petite bande de terre. En outre, cette attitude était renforcée par la conviction que le Hamas avait perdu l’appétit d’une confrontation militaire avec Israël en raison de l'argent qui arrivait du Qatar, la plupart du temps dans des valises débordant d'argent, pour aider à réduire la pauvreté et financer une série de projets de reconstruction à Gaza – et aussi parce que davantage de Gazaouis étaient autorisés à travailler en Israël.

Pendant ce temps, la Cisjordanie semblait être entrée dans une routine de confrontations violentes entre les forces de sécurité israéliennes et les groupes militants palestiniens. L'expansion des colonies s'est poursuivie sans relâche et la violence des colons est devenue partie intégrante de la réalité politique, sans grande protestation de la part de la communauté internationale, tandis que le système politique palestinien était en suspens, attendant que la question de la succession se résolve d'elle-même.

Les relations entre Israël et les Palestiniens se sont caractérisées par l'impasse ou le blocage des tentatives qui visaient à mettre fin au conflit.

Yossi Mekelberg

En outre, le langage de l'annexion et de la suprématie juive est entré au cœur du gouvernement israélien actuel, le plus à droite de l'histoire, et un nombre croissant de Palestiniens expriment leur soutien au recours à la lutte armée. Cela ressemble-t-il à un statu quo? Pas du tout. Il s'agit plutôt de la détérioration d'une situation déjà intolérable qui ne demande qu'à exploser.

Oui, nous avons tous été surpris et choqués par la brutalité du Hamas. Mais ce qui n'aurait pas dû nous surprendre, c'est que la population de Gaza veuille abattre les barrières qui l'entourent depuis tant d'années. Supposer que des personnes qui vivent sous blocus ou sous occupation ne chercheront pas à faire voler en éclats cette situation dénote une terrible erreur d'appréciation, voire un délire pathologique.

En outre, comment peut-on suggérer qu'un statu quo prévaut, en ce sens que les choses sont gelées, ou du moins stables, alors que, par exemple, depuis la signature des accords d'Oslo, au milieu des années 1990, le nombre de colons juifs en Cisjordanie occupée a presque quintuplé et atteint aujourd'hui un demi-million, y compris les deux cent mille personnes qui se sont installées à Jérusalem-Est? Cette situation a bouleversé la démographie de la Cisjordanie et a rendu extrêmement difficile, voire impossible, l'idée d'une paix fondée sur la solution des deux États. Et cela ne fait qu'accroître le désespoir des Palestiniens, qui devient à son tour un terrain fertile pour la radicalisation et la propagation de l'extrémisme.

À Gaza, nous devons tenir compte non seulement des seize années de blocus terrestre, maritime et aérien qui maintiennent ses habitants dans une prison à ciel ouvert et sous le gouvernement autoritaire et oppressif du Hamas, mais aussi du fait que, pendant ces années, la population a enduré une série de violences avec Israël. Au cours de ces dernières, des milliers de civils ont été tués, blessés ou mutilés et une grande partie de ses maigres infrastructures a été détruite. Il ne s'agit pas d'un statu quo, mais d'une situation où l'implosion n'était qu'une question de temps.

Dans le conflit israélo-palestinien, la tragédie de cette illusion de pérennité rend une solution pacifique de plus en plus difficile à atteindre. Ce qui continue à se développer d'année en année, de décennie en décennie, ne fait qu'aggraver les choses. L'impasse ou le blocage des tentatives qui visent à mettre fin au conflit est ce qui caractérise les relations entre Israël et les Palestiniens – et non un quelconque «statu quo». Les événements de ces dernières semaines ont démontré à quel point le chemin vers le précipice était court. C'est en comprenant la dynamique du conflit sous cet angle que nous pourrons sortir de ce gouffre qu'est la tragédie israélo-palestinienne.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale.

X: @YMekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com