Sommet européen: Malgré les pressions internes, les affaires étrangères sont à l'ordre du jour

Le président du Conseil européen, Charles Michel, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Bruxelles (Photo, AFP).
Le président du Conseil européen, Charles Michel, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Bruxelles (Photo, AFP).
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Publié le Mardi 31 octobre 2023

Sommet européen: Malgré les pressions internes, les affaires étrangères sont à l'ordre du jour

Sommet européen: Malgré les pressions internes, les affaires étrangères sont à l'ordre du jour
  • Des sujets cruciaux ont largement été éclipsés en raison de l’urgence de l’évolution sur la scène internationale
  • La relative impuissance de l’Europe est mise en lumière par la probabilité que Benjamin Netanyahou ignore les résultats du sommet

L’année 2024, année électorale importante pour l’Union européenne (UE), approche à grands pas. Le bloc devra tenir compte de considérations très importantes en matière de politique intérieure. Cependant, c’est la politique étrangère qui est finalement restée en tête de l’ordre du jour lors du Sommet européen des présidents et Premiers ministres des vingt-sept États membres à Bruxelles jeudi et vendredi, dans ce qui pourrait être le début d’une période agitée sur la scène internationale.

La multiplication des défis étrangers constitue un véritable casse-tête pour les dirigeants du bloc, car il ne leur reste qu’une fenêtre politique très limitée pour faire approuver des éléments majeurs de leur politique intérieure avant que la campagne électorale du Parlement européen ne passe à la vitesse supérieure. Il s’agit notamment de la finalisation du cadre financier pluriannuel du bloc couvrant la période allant jusqu’en 2027.

Des discussions ont eu lieu à ce sujet, ainsi que sur l’économie de l’UE et sa compétitivité en tant que moteur de la prospérité à long terme.

Le marché unique de l’UE a été fondé sur un modèle ouvert et libéral, mais les dirigeants des États membres sont de plus en plus conscients de l’évolution rapide du contexte international, dans lequel d’autres pays phares subventionnent massivement l’industrie au moyen de mesures comme la loi américaine sur la réduction de l’inflation.

Une brève discussion connexe a rassemblé les présidents de la Banque centrale européenne et de l’Eurogroupe (les ministres des Finances des pays de la zone euro) pour discuter du paysage économique et financier, ainsi que de la coordination et de la gouvernance étroites et continues des politiques macroéconomiques. Les participants ont notamment passé en revue les progrès de l’Union des marchés des capitaux et de l’Union bancaire de l’Europe, ainsi que les travaux visant à établir un euro numérique.

Pourtant, ces sujets cruciaux ont largement été éclipsés en raison de l’urgence de l’évolution sur la scène internationale. Cela s’est traduit par une récente mise en garde de Jamie Dimon, PDG de JPMorgan Chase, selon lequel le monde pourrait vivre «la période la plus dangereuse depuis des décennies… la guerre en Ukraine, aggravée par l’évolution de la situation au Moyen-Orient, pourrait avoir des répercussions considérables sur les marchés énergétique et alimentaire, le commerce mondial et les relations géopolitiques».

L’Ukraine occupe désormais une place importante à l’ordre du jour de chaque sommet de l’UE et cela est complété par des discussions sur les défis respectifs des relations entre le Kosovo et la Serbie, le Caucase du Sud et le Sahel. Toutefois, c’est la situation dramatique actuelle au Moyen-Orient qui a été largement débattue lors de ce sommet.

Plusieurs raisons expliquent pourquoi les discussions à ce sujet ont pris autant de temps, notamment les inquiétudes diplomatiques concernant le voyage imprévu de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, en Israël ce mois-ci.

Nathalie Loiseau, députée européenne et membre éminente du groupe Renaissance du président français, Emmanuel Macron, déclare: «Je ne comprends pas ce que la présidente de la Commission a à voir avec la politique étrangère, qui ne relève pas de son mandat.»

La plus grande critique concernant le voyage de Mme von der Leyen en Israël est sans doute la perception de certains selon laquelle elle n’a pas suffisamment insisté sur la nécessité pour Tel-Aviv de respecter le droit international lors de ses opérations militaires à Gaza.

«Le temps considérable consacré au Moyen-Orient lors du sommet est teinté d’ironie, compte tenu de la relative faiblesse de l’Europe dans la région en ce moment.» 

Andrew Hammond

Le plus haut diplomate de l’UE, Josep Borrell, a même émis une critique publique à son encontre, dans laquelle il déclare que la politique étrangère est décidée par les dirigeants des vingt-sept pays membres de l’UE lors des sommets internationaux et discutée par les ministres des Affaires étrangères lors de réunions «que je préside».

La deuxième raison pour laquelle de longues discussions ont porté sur le Moyen-Orient est que les autorités ukrainiennes et un nombre croissant de dirigeants de l’UE craignent que la crise à Gaza ne détourne ou ne sape l’attention politique mise par l’Occident sur l’Ukraine.

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a exprimé ce sentiment jeudi, affirmant que «nous devons tout faire pour empêcher qu’un conflit international encore plus important n’éclate au Moyen-Orient. Les ennemis de la liberté ont tout intérêt à amener le monde libre sur le deuxième front. Plus la sécurité prévaudra rapidement au Moyen-Orient, plus nous rétablirons la sécurité rapidement ici en Europe.»

Une troisième raison pour laquelle l’accent a été mis sur le Moyen-Orient est l’inquiétude croissante suscitée par les troubles sociaux en Europe en raison du conflit entre Israël et le Hamas. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a par exemple mis en garde contre «des conséquences majeures en matière de sécurité (intérieure)» susceptibles «d’exacerber les tensions entre les communautés (européennes) et d’alimenter l’extrémisme».

À ces inquiétudes s’ajoute la possibilité d’une nouvelle crise migratoire européenne si le conflit s’étend aux pays voisins. Ces préoccupations s’inscrivent dans le contexte où plusieurs gouvernements européens, dont l’Allemagne, sont toujours aux prises avec les effets de la crise migratoire de 2015, au cours de laquelle près d’un million de réfugiés syriens ont traversé la frontière depuis la Turquie vers la Grèce, selon les estimations de l’ONU.

Le temps considérable consacré au Moyen-Orient lors du sommet est teinté d’ironie, compte tenu de la relative faiblesse de l’Europe dans la région en ce moment. Pendant une grande partie du XXe siècle, les nations européennes y ont joué un rôle décisif. La déclaration de Venise de 1980, à titre d’exemple, a donné un élan à la reconnaissance internationale du droit des Palestiniens à disposer d’un État.

Toutefois, cela fait des décennies que l’Europe n’a pas exercé une influence politique aussi importante dans la région. Désormais, les États-Unis sont le seul pays, même en tenant compte de la Chine, à disposer de la puissance diplomatique et militaire nécessaire pour influencer la crise qui se prépare dans la région.

La relative impuissance de l’Europe est mise en lumière par la probabilité que – malgré les visites récentes de plusieurs dirigeants européens en Israël, dont le chancelier allemand, Olaf Scholz, et le président français, Emmanuel Macron – Benjamin Netanyahou ignore les résultats du sommet. Il s’agit notamment du compromis européen très controversé en faveur de «pauses humanitaires» pour permettre à davantage d’aide d’arriver à Gaza, et du «soutien à la tenue prochaine d’une conférence internationale de paix».

En tenant compte de tout cela, il semble évident que de nombreux éléments ont changé en Europe depuis que Mark Eyskens, l’ancien Premier ministre belge, a déclaré en 1991 que le bloc était «un géant économique, un nain politique et un ver de terre militaire».

Le relatif manque d’influence de l’UE au cours de la crise actuelle au Moyen-Orient souligne qu’elle a encore un long chemin à parcourir pour devenir un véritable acteur géopolitique mondial au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Andrew Hammond est chercheur associé au LSE IDEAS, à la London School of Economics.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com