Pourquoi Israël est-il en guerre contre les journalistes?

Journalistes palestiniens au lendemain des frappes aériennes israéliennes sur Gaza, le 15 octobre 2023. (Getty Images)
Journalistes palestiniens au lendemain des frappes aériennes israéliennes sur Gaza, le 15 octobre 2023. (Getty Images)
Short Url
Publié le Samedi 02 décembre 2023

Pourquoi Israël est-il en guerre contre les journalistes?

Pourquoi Israël est-il en guerre contre les journalistes?
  • Imaginez combien de Palestiniens, et notamment de nourrissons, seraient aujourd’hui en vie si les journalistes internationaux avaient été autorisés à entrer à Gaza
  • Le pays souverain qu'est l'Égypte devrait avoir le droit et la responsabilité de permettre l'entrée de tout journaliste arabe ou international souhaitant faire des reportages dans la bande de Gaza

L’idée selon laquelle la vérité est la première victime de la guerre n’a jamais semblé aussi vraie que depuis le 7 octobre. Les mensonges qui ont été fabriqués et régurgités tant de fois sans le minimum de vérification des faits ont même embarrassé plusieurs fois le président des États-Unis. Il a été dupé à plusieurs reprises en peu de temps, obligeant son équipe à revenir en arrière et à rectifier de grossières erreurs. Joe Biden a complètement cru au mensonge israélien selon lequel le Hamas décapitait des nourrissons israéliens et l’allégation fallacieuse selon laquelle les Palestiniens gonflaient le nombre de leurs morts et blessés, pour ne citer que ces deux exemples.

De grands médiaux internationaux comme la BBC, et d’autres encore, ont été contraints de s’excuser publiquement, tandis que de nombreux autres ont simplement effacé, ou cessé de répéter de nombreux mensonges.

Le mensonge le plus important et le plus coûteux, en termes de vies humaines palestiniennes, est peut-être l’acharnement israélien (avec photos et graphiques) à prétendre que le quartier général du Hamas se trouvait sous le principal hôpital de Gaza, Al-Shifa. Ce mensonge aurait pu être facilement réfuté si Israël avait autorisé les journalistes internationaux à entrer à Gaza. Imaginez si Ben Wedeman de CNN, ou si un journaliste de guerre de la BBC s’était s’était rendu à l’hôpital Al-Shifa et avait dit au monde que cette affirmation israélienne était totalement fausse. Imaginez combien de Palestiniens, et notamment de nourrissons, seraient aujourd’hui en vie si les journalistes internationaux avaient été tout simplement autorisés à entrer à Gaza.

Israël n’aurait même pas eu à autoriser directement une telle entrée. Il aurait suffi qu’Israël, la puissance écrasante à l’intérieur et autour de Gaza, autorise l’Égypte à laisser les journalistes entrer dans la bande de Gaza. Au lieu de cela, Israël, avec sa puissante machine médiatique et un grand nombre de journalistes basés dans son pays, a été capable de créer le discours de propagande qu’il souhaitait, truffé de mensonges, d’histoires fabriquées, de subterfuges produits par l’intelligence artificielle, et de graphiques.

Israël a non seulement rigoureusement interdit à l’Égypte de mener tout acte souverain à sa frontière avec Gaza, notamment en bombardant à deux reprises des camions tentant d’entrer au terminal de Rafah, mais il a également mené une campagne malveillante contre les journalistes et les équipes des médias palestiniens.

Le Comité pour la protection des journalistes, basé à New York, a rapporté qu’à compter de mercredi, ses «enquêtes préliminaires montraient qu'au moins 57 journalistes et membres des équipes de médias figuraient parmi les plus de 16 000 personnes tuées depuis le début de la guerre, le 7 octobre».

Rafiah al-Talei, rédactrice en chef de Sada dans le programme Moyen-Orient de Carnegie, a écrit cette semaine que «l’attaque israélienne contre Gaza est rapidement devenue la plus meurtrière pour les journalistes couvrant les zones de conflit depuis 1992. Aucune autre guerre au XXIe siècle n'a causé autant de morts parmi les journalistes, avec 34 tués au cours des deux premières semaines».

L’Institut international de la presse, basé à Vienne, s’est déclaré «horrifié par le nombre toujours croissant de morts parmi les journalistes et les civils dans la guerre entre Israël et Gaza». Il a vivement appelé Israël «à respecter le droit des journalistes à couvrir le conflit conformément au droit international humanitaire et aux droits humains, et à protéger la sécurité des journalistes, des professionnels des médias et de leurs familles». Plusieurs familles de journalistes ont été tuées, notamment celle de Waël Dahdouh, dont l'épouse, la fille, le fils et le petit-enfant ont été tués alors qu'il couvrait le conflit pour Al-Jazeera.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a déclaré que les lois de la guerre, en particulier la troisième Convention de Genève, protégeait les journalistes couvrant les conflits armés, et a rappelé qu'ils devaient être traités comme des civils. «L'article 79 précise expressément que les journalistes engagés dans des missions professionnelles dangereuses dans des zones de conflit armé sont des civils au sens de l'article 50 (1). À ce titre, ils bénéficient de toute la protection accordée aux civils par le droit international humanitaire.»

Imaginez combien de Palestiniens, et notamment de nourrissons, seraient aujourd’hui en vie si les journalistes internationaux avaient tout simplement été autorisés à entrer à Gaza

Daoud Kuttab

Plus de 60 locaux de médias palestiniens ont également été pris pour cible par Israël, un autre crime de guerre, selon le CICR, qui a déclaré que «les locaux de radios et de télévisions sont des biens civils et bénéficient à ce titre d'une protection complète. L’interdiction d’attaquer des biens de caractère civil est clairement définie dans le droit international humanitaire depuis le début du XXe siècle, et a été réaffirmée dans le Protocole de 1977 et dans le statut de la Cour pénale internationale (CPI).

On dit que des organisations médiatiques internationales documentent des cas d'assassinats de journalistes et d'attaques contre des installations médiatiques, dans le but de déposer une plainte auprès de la CPI.

Par ailleurs, alors que la trêve humanitaire actuelle se poursuit, il est important que les médias arabes et internationaux soient autorisés à se rendre à Gaza pour rendre compte de la situation précaire des Palestiniens, qui sont la cible d'une attaque incessante et vengeresse de la part d'une armée israélienne incontrôlée, et de politiciens radicaux qui veulent utiliser leurs morts comme une garantie de rester au pouvoir.

L’Égypte et la communauté internationale, en particulier les États-Unis et l’Europe, ainsi que les principaux médias, ne devraient pas accepter une fin de non recevoir de la part des Israéliens. Le point de passage de Rafah est une frontière arabo-arabe, et le pays souverain qu'est l'Égypte devrait avoir le droit et la responsabilité de permettre l'entrée de tout journaliste arabe ou international faisant des reportages dans la bande de Gaza.

 

• Daoud Kuttab est un ancien professeur à l'Université de Princeton, et le fondateur et ancien directeur de l'Institut des médias modernes de l'Université Al-Quds à Ramallah. X: @daoudkuttab

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com