L'armement français de la onzième heure force l'accord sur le Brexit

Short Url
Publié le Jeudi 31 décembre 2020

L'armement français de la onzième heure force l'accord sur le Brexit

L'armement français de la onzième heure force l'accord sur le Brexit
  • Ayant été élu sur une base pro-européenne, Emmanuel Macron a rapidement exprimé clairement son opposition à la sortie de la deuxième économie européenne de l’UE
  • Considérablement moins anglophile que certains de ses prédécesseurs, le président français a cherché à plusieurs reprises à reconstruire le rôle de leader de la France en Europe au détriment des liens du Royaume-Uni avec le continent

Quatre ans et demi après que le peuple britannique a voté en faveur de la sortie de l'Union européenne (UE), le processus du Brexit est entré dans sa phase la plus dramatique, la semaine dernière. Le gouvernement français a en effet décidé de fermer subitement ses frontières avec le Royaume-Uni. S'isolant ostensiblement d'une nouvelle souche du coronavirus située dans le sud-est de l'Angleterre, la décision a été considérée comme un exercice d'opportunisme politique.

Le président français, Emmanuel Macron, cherchait à inciter le Royaume-Uni à repenser son avenir post-UE et à accepter des conditions nettement moins ambitieuses que ce qui avait été initialement prévu. Dans tous les cas, la fermeture des frontières a été un rappel puissant aux deux côtés de leur dépendance à «l’interconnectivité» à laquelle l’Europe s’est habituée.

Ayant été élu sur une base pro-européenne, Macron a rapidement exprimé clairement son opposition à la sortie de la deuxième économie européenne de l’UE. Considérablement moins anglophile que certains de ses prédécesseurs, le président français a cherché à plusieurs reprises à reconstruire le rôle de leader de la France en Europe, au détriment des liens du Royaume-Uni avec le continent.

Pour l'Élysée, plus le Royaume-Uni est obligé de faire des concessions, plus grande est la possibilité pour une France déjà économiquement et socialement en difficulté de contrebalancer l'influence écrasante de l'Allemagne sur l'avenir de l'UE. Plus tôt la semaine dernière, alors que le Royaume-Uni était presque à la fin de la période de transition de douze mois, convenue avec l'UE, et sans accord en vue, la décision immédiate du gouvernement français de fermer les frontières a exercé une pression considérable sur les négociateurs afin de parvenir à un accord.

À la suite de la décision de fermer les frontières par voie aérienne, ferroviaire et routière, des milliers de camions attendant de quitter la Grande-Bretagne ont été contraints de se garer sur les principales autoroutes menant aux ports britanniques. Des scènes qui ont mis en évidence les réalités potentielles d'un Royaume-Uni vraiment déconnecté du commerce et des voyages.

En raison d'une nouvelle souche apparemment plus contagieuse du coronavirus en Angleterre, en quelques heures, des milliers de véhicules ont été alignés sur un ancien aérodrome près de l'autoroute M20 qui relie Londres au port de Douvres. Sans nourriture et sans mesures sanitaires adéquates, la scène de plus en plus apocalyptique a fait craindre une pénurie de certains produits alimentaires périssables en Grande-Bretagne, à la lumière des restrictions et dans le cas d'un Brexit sans accord. Le gouvernement britannique a tenu à faire savoir qu'il comprenait la raison des nouvelles mesures et qu'il travaillait dur pour une reprise d'une libre circulation du trafic entre les deux pays. Ce n'est un secret pour personne qu'il n'a pas apprécié les restrictions. 

Considérablement moins anglophile que certains de ses prédécesseurs, le président français a cherché à plusieurs reprises à reconstruire le rôle de leader de la France en Europe au détriment des liens du Royaume-Uni avec le continent.

                                                                              Zaid M. Belbagi

 Les responsables des deux pays ont mentionné qu'ils travaillaient à débloquer le flux commercial le plus rapidement possible. Les responsables à Londres n’ont cependant eu aucun doute sur le fait qu’Emmanuel Macron utilisait la souche mutante de la Covid comme levier pour conclure un accord sur le Brexit. On pensait que le président français, testé positif à la Covid-19 et s'isolant, subissait une pression croissante pour céder aux demandes intérieures plus strictes sur l'accès de la pêche aux eaux britanniques, et signer un accord. La fermeture arbitraire des frontières durant l'une des semaines les plus chargées pour les familles et les entreprises a été considérée comme moyen de pression exercé par le gouvernement français. Elle a abouti à bien des égards à la garantie de la pêche de l'UE dans les eaux britanniques jusqu'en 2026, faisant de l'«État côtier indépendant» que le Premier ministre britannique Boris Johnson a promis aux électeurs un objectif de plus en plus irréalisable.

Après une longue attente de soixante-douze heures et après avoir obtenu une résolution pour reprendre les voyages et le camionnage, le Premier ministre a également pu enfin conclure une sorte d'accord, qu'il a annoncé comme son «cadeau de Noël» au peuple britannique. L'accord de libre-échange, basé sur des droits de douane et des quotas nuls avec l'UE, a eu un coût. Les manœuvres du gouvernement français la semaine dernière ont en outre contribué sans aucun doute à pousser le Royaume-Uni à parvenir à une forme de résolution.

L'accord n'est pas encore ratifié et, en réalité, seul le temps nous dira comment les deux parties pourront coopérer. Au Royaume-Uni, la perspective très réelle d'une frontière physique Irlande/Irlande du Nord reste une préoccupation partagée par beaucoup et qui pourrait affecter gravement le commerce. La pandémie a par ailleurs provoqué une crise aiguë de l'emploi qui n'a pas été prise en compte lors du vote pour le Brexit. Tout transfert d'emplois vers l'UE aura désormais sur le chômage un impact plus important qu'on ne le pensait, un fait qui figurera en bonne place en fonction de l'ampleur des effets du Brexit sur les entreprises.

Alors que le Premier ministre britannique cherchait à apaiser les inquiétudes concernant un accord que beaucoup pensaient précipité, malgré le temps considérable qu'il a fallu pour négocier, il a déclaré: «Bien que nous ayons quitté l'UE, ce pays restera culturellement, émotionnellement, historiquement, stratégiquement, géologiquement attaché à l'Europe.» Les événements de la semaine dernière ont montré à quel point l’absence d’accord pour voyager et commercer librement peut être rapide et déstabilisante. Malgré les inquiétudes des électeurs face au fédéralisme rampant de l'Europe, la réalité d'un monde interconnecté est que la coopération internationale est essentielle à la prospérité. 

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le CCG.

Twitter: @Moulay_Zaid

Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com