Le front d’Israël en Syrie pourrait n’être qu’un parmi d’autres foyers de tension

Soldats israéliens dans une base militaire sur le plateau du Golan syrien annexé par Israël. (AFP)
Soldats israéliens dans une base militaire sur le plateau du Golan syrien annexé par Israël. (AFP)
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Publié le Dimanche 11 mai 2025

Le front d’Israël en Syrie pourrait n’être qu’un parmi d’autres foyers de tension

Le front d’Israël en Syrie pourrait n’être qu’un parmi d’autres foyers de tension
  • Pour des raisons à la fois économiques et sociales, Israël, en tant que nation de taille modeste, ne peut se permettre le luxe d’un conflit prolongé.
  • Toutefois, le front syrien se distingue des autres.

Depuis sa création, Israël a toujours redouté les guerres sur plusieurs fronts - un scénario encore plus préoccupant lorsqu’il s’agit de conflits prolongés. La doctrine militaire du pays privilégie des campagnes courtes et décisives, en grande partie parce que son armée repose largement sur les réservistes et les volontaires.  Pour des raisons à la fois économiques et sociales, Israël, en tant que nation de taille modeste, ne peut se permettre le luxe d’un conflit prolongé.

Les Forces de défense israéliennes - une  “armée du peuple” composée de conscrits et de réservistes - reposent sur un large consensus national quant aux objectifs de guerre et aux moyens employés. Or, le gouvernement israélien actuel peine à rassembler une telle adhésion au sein de la population. À cela s’ajoutent la petite taille du territoire et la faible profondeur stratégique du pays, où les centres de population et les infrastructures vitales se trouvent à proximité immédiate des frontières, accentuant sa vulnérabilité et renforçant une posture sécuritaire profondément ancrée.

Depuis plus de 18 mois, Israël est engagé dans une guerre sur plusieurs fronts, certains plus actifs que d'autres. Le conflit avec les Houthis - et par extension avec l’Iran - s’intensifie à nouveau, tandis qu’une offensive majeure contre Gaza semble imminente, avec des conséquences potentiellement désastreuses. 

Toutefois, le front syrien se distingue des autres. Contrairement à Gaza, au Liban ou même au Yémen, aucun acte d’agression initial n’a été commis par Damas avant qu’Israël ne procède unilatéralement à l’annexion de vastes portions du territoire syrien, au-delà de la zone du plateau du Golan occupée depuis 1967. Cette expansion s’est accompagnée d’un recours massif à la force militaire, notamment après la révolution de décembre dernier qui a entraîné la chute du régime du dictateur syrien Bachar al-Assad.

Depuis le soulèvement de 2011 en Syrie et le conflit sanglant qui a suivi, Israël a opéré avec une relative liberté sur le territoire syrien, ciblant principalement les convois d’armes et de munitions en provenance d’Iran à destination du Hezbollah au Liban, ainsi que leurs dépôts en Syrie. Ces opérations ont également visé les combattants du Hezbollah et le personnel militaire iranien qui soutenaient le régime d’Assad jusqu’à sa chute.

À première vue, la chute de l’ancien régime à Damas aurait pu marquer un tournant favorable pour Israël, d’autant qu’elle a suivi de près une série d’opérations israéliennes ayant lourdement affaibli les capacités militaires du Hezbollah au Liban, entraîné l’élimination de plusieurs de ses hauts responsables à l’automne dernier, et rompu l’axe stratégique entre Damas et Téhéran.

Pendant des années, Israël s’est inquiété de la présence continue de ll’Iran et de ses milices proches à ses frontières. Or, la situation a radicalement changé : les capacités militaires du Hamas et du Hezbollah ont été sévèrement réduites, le changement de dirigeants à Damas a interrompu l’approvisionnement en armes vers le Liban, et une forme de zone tampon s’est ainsi créée entre Israël et son principal rival régional.

Le changement de leadership en Syrie, avec l’arrivée au pouvoir d’Ahmad Al-Charaa, a suscité des inquiétudes du côté israélien. Craignant une éventuelle hostilité de la part du nouveau président - sans qu’aucun acte agressif n’ait encore été commis - Israël a choisi d’agir de manière préventive en recourant à la force militaire pour s’emparer de territoires relevant du nouveau gouvernement. Il ne s’agissait pas d’une contre-offensive, mais d’un "acompte" destiné à dissuader un dirigeant perçu comme potentiellement menaçant. Jusqu’à présent, rien n’indique que la Syrie ait rompu l’accord de désengagement de 1974, qui a permis de maintenir la stabilité à cette frontière. Pourtant, c’est Israël qui a rompu en premier cet accord, en prenant le contrôle de plus de 400 km² de terres syriennes faisant partie de la zone tampon démilitarisée établie à la suite de la guerre de 1973.

Le gouvernement israélien a initialement présenté cette action comme une mesure temporaire. Toutefois, tout observateur averti du comportement passé d’Israël dans des situations similaires sait que la notion de "temporaire" reste relative et peut s’étendre indéfiniment. Sur le terrain, l’armée israélienne a rapidement installé des tours de guet, des unités d’habitation préfabriquées, des routes et des infrastructures de communication, autrement dit, de véritables avant-postes militaires. De plus, le ministre israélien de la Défense a déclaré que les forces israéliennes étaient "prêtes à rester en Syrie pour une durée indéterminée" afin de garantir la sécurité d’Israël. 

Israël, à l’instar de nombreux pays de la région, éprouve des préoccupations légitimes concernant l’avenir de la Syrie post-Assad, notamment parce que le principal groupe armé ayant mené la révolution provient des rangs de Jabhat al-Nusra, l’ancienne branche syrienne d’Al-Qaïda. Toutefois, dans le contexte post-7 octobre, Israël semble adopter un seul mode opératoire : le recours systématique à une force militaire excessive - une approche qui suscite l’agacement même chez des pays qui ne lui sont pas nécessairement hostiles.

Certes, il est indéniable qu’il existe de sérieuses inquiétudes concernant la sécurité des minorités en Syrie et le risque de violences sectaires perpétrées par les rebelles ayant renversé Assad en particulier à l’encontre des Alaouites, mais aussi des chrétiens, des Druzes et des Kurdes, ce qui demeure inexcusable. Cependant, lorsque Israël mène des frappes en Syrie - comme ce fut le cas la semaine dernière, avec des frappes près du palais présidentiel, affirmant qu’il s’agissait d’un avertissement adressé au gouvernement pour qu’il protège la minorité druze, il est permis de s’interroger sur ses véritables intentions. Il est légitime de penser qu’Israël exploite la situation des Druzes pour légitimer le prolongement de la présence, présentée comme temporaire, de son armée en Syrie - voire pour établir le long de sa frontière une zone tampon druze, potentiellement dotée d’un statut autonome.

Compte tenu du mépris flagrant d’Israël pour la vie et les droits des Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie, l’argument avancé par le gouvernement Netanyahou selon lequel ses frappes en Syrie viseraient à protéger une minorité ne peut qu’être accueilli avec un certain scepticisme. Et ce, malgré les liens privilégiés et indéniables entre la communauté druze en Israël et l’État, celle-ci étant la seule minorité à avoir accepté le service militaire obligatoire dans le cadre de son intégration à la société israélienne.

Cela n’a pas empêché les Druzes d’être soumis à la loi controversée et discriminatoire sur l’État-nation de 2018, qui marginalise les minorités et fait l’impasse sur le principe d’égalité, malgré le sacrifice de plus de 500 membres de leur communauté tombés au service des forces de sécurité israéliennes depuis l’indépendance du pays. Dans un contexte où le gouvernement est dirigé par un Premier ministre cynique, entouré de ministres aux ambitions expansionnistes - dont certains semblent prêts à sacrifier les otages à Gaza après avoir échoué à les protéger le 7 octobre - il est difficile de croire que la sécurité soit la seule motivation derrière l’agressivité d’Israël à l’égard de la Syrie.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA à Chatham House. 

X : @YMekelberg

Clause de non-responsabilité : les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.