Reconnaître la Nakba, un passage obligé vers la paix pour Israël

Alors qu’une seconde Nakba semble se dérouler sous nos yeux, il devient douloureusement clair que peu de leçons ont été tirées de cette histoire longue et tragique. (AFP)
Alors qu’une seconde Nakba semble se dérouler sous nos yeux, il devient douloureusement clair que peu de leçons ont été tirées de cette histoire longue et tragique. (AFP)
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Publié le Mardi 20 mai 2025

Reconnaître la Nakba, un passage obligé vers la paix pour Israël

Reconnaître la Nakba, un passage obligé vers la paix pour Israël
  • Pour les Palestiniens, victimes de la Nakba, ce refus de reconnaissance ajoute à la blessure originelle l’humiliation du déni
  • Du point de vue israélien, reconnaître ces faits serait douloureux: il faut accepter que ses propres soldats aient pu causer de telles souffrances, parfois de manière planifiée

Les nations éprouvent souvent des réticences, voire une véritable crainte, à affronter les chapitres les plus sombres de leur histoire. Pour Israël, l’un de ces chapitres est la guerre de 1948. Célébrée comme une guerre d’indépendance du côté israélien, elle incarne pour les Palestiniens la Nakba – la «Catastrophe» – dont le 77e anniversaire a été commémoré la semaine dernière.

Il est indéniable que ce conflit a entraîné le déplacement massif et la dépossession de la population palestinienne: plus de 700 000 personnes ont été contraintes à l’exil, des milliers ont péri, des dizaines de villages ont été rayés de la carte, et Israël a étendu son territoire bien au-delà des limites fixées par la résolution 181 de l’ONU – le plan de partage de 1947.

Alors pourquoi, encore aujourd’hui, Israël refuse-t-il de reconnaître sa responsabilité dans la Nakba ?

Il n’existe pas de réponse unique à cette question, et les explications varient entre considérations psychologiques et calculs politiques. Mais aucune ne saurait réellement satisfaire, car toutes repoussent l’idée de justice et rendent la réconciliation profondément difficile.

Pour les Palestiniens, victimes de la Nakba, ce refus de reconnaissance ajoute à la blessure originelle l’humiliation du déni. Du point de vue israélien, reconnaître ces faits serait douloureux: il faut accepter que ses propres soldats aient pu causer de telles souffrances, parfois de manière planifiée. Cela heurte de front une société façonnée par la mémoire de siècles de persécutions subies, y compris la Shoah.

Sur le plan pratique, cette reconnaissance soulèverait aussi des questions redoutées: réparation, restitution, voire reconnaissance du droit au retour pour les réfugiés palestiniens. Autant d’enjeux qui nourrissent une peur profonde.

Pourtant, ce qui choque, surtout au regard de l’histoire du peuple juif, c’est le refus persistant, chez tant d’Israéliens, de reconnaître le pouvoir libérateur d’un simple mot: «pardon». L’empathie, la reconnaissance de la souffrance de l’autre, pourraient ouvrir la voie au dialogue – et peut-être, au fil du temps, à une forme de réconciliation.

Mais aujourd’hui encore, alors qu’une seconde Nakba semble se dérouler sous nos yeux, il devient douloureusement clair que peu de leçons ont été tirées de cette histoire longue et tragique.

                                                        Yossi Mekelberg

En outre, dans l'esprit de la plupart des Israéliens, admettre une quelconque responsabilité dans la Nakba équivaudrait à reconnaître que leur pays est né dans le péché et laisserait ouverte la question du droit d'Israël à exister. Certains adoptent certainement cet argument existentiel contre Israël, mais ils ne représentent guère la majorité.

Israël a été créé sur la base d'une résolution des Nations unies, ce qui lui confère une légitimité internationale, et ceux qui remettent en cause son droit à l'existence sapent l'autre aspect du plan de partage, à savoir un État palestinien indépendant, et ne font donc que prolonger le conflit et, partant, l'effusion de sang.

De même, lorsqu'Israël refuse d'envisager, ou du moins entrave, la voie d'une solution à deux États, il sape sa propre légitimité et ne fait que prolonger les conséquences des fautes commises lors de la Nakba.

Reconnaître les souffrances des Palestiniens, c'est prendre conscience qu'il y a eu des souffrances des deux côtés et qu'en assumant ses responsabilités et en exprimant une véritable douleur, le chemin de la réconciliation est plus facile.

Au lieu de cela, malgré la richesse de la documentation disponible sur les événements de la Nakba, écrite, orale et photographique, Israël s'en tient à un récit de sa guerre d'indépendance qui l'exonère de tout acte répréhensible.

Jusque dans les années 1980, on niait totalement, même dans les milieux universitaires israéliens, qu'Israël ait commis des atrocités pendant la guerre de 1948. Ces actes comprenaient l'expulsion de communautés entières, au cours de laquelle 15 000 personnes ont perdu la vie, et le déracinement des deux tiers de la population palestinienne, qui ont été relogés dans des pays voisins, en plus d'autres formes de violations des droits de l'homme utilisées pour susciter la peur chez les Palestiniens afin de les encourager à partir.

Il existe aujourd'hui suffisamment de preuves fiables provenant de sources officielles israéliennes, notamment des archives de l'armée et des récits de soldats ayant participé à la guerre, des plans officiels visant à chasser les Palestiniens de leurs maisons et de leur pays.

Le premier Premier ministre israélien, David Ben-Gourion, et l'establishment militaire avaient deux objectifs en tête: étendre le territoire du nouveau pays au-delà de ce qui lui avait été attribué dans le cadre du plan de partage et modifier l'équilibre démographique entre juifs et Palestiniens sur le territoire qu'Israël finirait par contrôler.

Pour le jeune État d’Israël, les objectifs de la guerre de 1948 furent atteints: il porta sa souveraineté de 55% du territoire prévu par le plan de partage à 78% de la Palestine mandataire, tout en expulsant plus de 700 000 Palestiniens. Mais cette victoire territoriale s’est accompagnée d’un coût humain dévastateur pour les Palestiniens ordinaires – celui de la Nakba.

Si les Israéliens acceptaient de reconnaître et d’assumer leur part de responsabilité dans cette souffrance historique, cela constituerait un pas essentiel vers une résolution équitable du conflit et ouvrirait la voie à une véritable réconciliation entre les deux peuples.

Cela impliquerait également la reconnaissance du fait que la souffrance de ceux qui ont été dépossédés n'a pas pris fin il y a 77 ans, mais a perduré sous la forme d'une condition permanente d'apatridie; beaucoup vivent encore dans des camps de réfugiés, souffrant de discrimination et, à plus d'une occasion, ont été pris dans les conflits internes des pays d'accueil.

Les réfugiés palestiniens de 1948 ont atteint une population de 5,9 millions d'habitants, comprenant les réfugiés originels survivants mais surtout leurs descendants, qui sont enregistrés auprès de l'Unrwa.  À cela s’ajoutent ceux restés sur leur terre, vivant sous occupation israélienne – et, pour les Gazaouis, plongés aujourd’hui dans un enfer absolu.

Les Israéliens pourraient craindre que l'acceptation d'une responsabilité, même partielle, dans la Nakba ne les mette au pied du mur. D'un autre côté, ils pourraient s'apercevoir que cela suscite la bonne volonté de la plupart des Palestiniens. Pendant trop longtemps, Israël a privé les Palestiniens non seulement de leurs droits, mais aussi de leur histoire. Il a interdit la reconstruction des communautés dévastées, il a changé les noms de lieux de l'arabe original à l'hébreu et il ne veut pas avoir une conversation honnête sur ce qui s'est passé en 1948.

Tout ne s’efface pas avec le temps. Et alors que se déroule la guerre la plus dévastatrice entre Israéliens et Palestiniens depuis 1948, la reconnaissance de la Nakba dans une démarche de réparation paraît plus lointaine que jamais – tant les plaies restent vives, à commencer par l’expulsion des Palestiniens de Gaza.

C’est pourtant ce qui rend le devoir de mémoire d’autant plus crucial: car une seconde Nakba est en cours, sous nos yeux, révélant à quel point les leçons du passé sont restées lettre morte.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA à Chatham House. 

X: @YMekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com