Une vision occidentale obsolète du rôle d'«équilibriste» que joue l'Iran

Le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, lors d'une réunion du Corps des gardiens de la révolution islamique à Téhéran, en Iran, le 18 septembre 2016 (Getty Images)
Le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, lors d'une réunion du Corps des gardiens de la révolution islamique à Téhéran, en Iran, le 18 septembre 2016 (Getty Images)
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Publié le Dimanche 24 janvier 2021

Une vision occidentale obsolète du rôle d'«équilibriste» que joue l'Iran

Une vision occidentale obsolète du rôle d'«équilibriste» que joue l'Iran
  • En matière de politique étrangère, les pays occidentaux semblent suivre une règle non déclarée selon laquelle tout affrontement ou guerre directe avec l'Iran est à éviter
  • Il est désormais évident que l'Iran a choisi de se faire un ennemi du reste de la région et qu'il pousse cet ennemi à agir de façon extrémiste

En matière de politique étrangère, les pays occidentaux semblent suivre une règle non déclarée selon laquelle tout affrontement ou guerre directe avec l'Iran est à éviter. Quelles que soient les actions déstabilisatrices menées par le régime iranien au Moyen-Orient, l’hypothèse de la guerre doit toujours être écartée. Ainsi, le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, ne connaîtra jamais le même sort que les despotes que sont Saddam Hussein ou Mouammar Kadhafi, même s'il commet les mêmes actes que ceux que ces derniers ont entrepris par le passé. Tous deux ont en effet connu une fin violente en raison de leurs actions. Le régime iranien, qui applique les mêmes règles, a réussi à éviter une telle fatalité. 

La principale raison semble résider dans la perception de l'Occident. Ce dernier estime en effet que le régime iranien, quel que soit son comportement, est indispensable pour maintenir l'équilibre au Moyen-Orient. Les décideurs politiques occidentaux considèrent que, sans l'Iran, il y aurait davantage d'extrémisme dans la région. Le régime iranien est d'ailleurs bien conscient de cette équation et en a tiré profit. 

De fait, le régime iranien a enfreint la volonté de l'Occident de maintenir l'équilibre, ce qui a débouché sur un résultat contraire. Ce régime n'apporte pas davantage de stabilité, il incite plutôt à un extrémisme et à une insécurité accrus. Les politiques expansionnistes du régime iranien, ainsi que son soutien à des mandataires dans toute la région, ont créé un climat qui a permis à d’autres acteurs non étatiques de s’épanouir. Il a donc exacerbé l'extrémisme dans tous les camps. De ce fait, le régime iranien a fragilisé la région et l'a rendue moins stable et moins prospère. Les actions du Hezbollah au Liban et en Syrie et celles de Hachd al-Chaabi en Irak ont renforcé l'extrémisme sunnite dans ces pays et exposé au danger toutes les autres minorités. 

Il est désormais évident que l'Iran a choisi de se faire un ennemi du reste de la région et qu'il pousse cet ennemi à l’extrémisme. En dépit de la prétendue haine qu'il éprouve à l'égard de l'Occident et en particulier des États-Unis, le régime iranien cherche à faire savoir qu'il incarne la stabilité et qu'il représente un partenaire mûr, tandis que le côté arabe sunnite, lui, serait incontrôlable et guidé par des extrémistes. Fait curieux, ce pays, qui prétend rejeter l'influence de l'Occident, dispose lui-même de nombre de lobbyistes qui promeuvent ce message, tant à Washington que dans les capitales européennes. 

Par ailleurs, il convient d'enquêter sur la capacité du régime iranien à infiltrer des organisations terroristes telles que Daesh et à les faire évoluer vers un extrémisme plus marqué. En effet, pourquoi des membres d'Al-Qaïda se trouvent-ils en Iran? Quelle relation existe-t-il entre le régime iranien et certains extrémistes sunnites de la ville de Tripoli au Liban? Pour répondre à cette question, il faut savoir que l'Iran choisit son ennemi pour adresser un message à l'Occident. 

Par conséquent, l'approche occidentale est défectueuse et mérite d'être révisée. Revenons à la situation géopolitique qui prévalait dans les années 1980. L'Iran était en effet entouré d'ennemis: Saddam Hussein en Irak et un régime hostile en Afghanistan. Voilà qui semble prouver que la théorie du maintien de l'équilibre consiste à autoriser l'Iran à mener une politique agressive dans le but de préserver ses intérêts dans la région. Cependant, au nom de cette théorie, la révolution iranienne a été exportée de la façon la plus agressive qui soit. En outre, la région a connu bien des changements, dans la mesure où les régimes irakien et afghan sont désormais favorables à l'Iran. Seul le régime iranien n'a pas changé ni ajusté sa politique. Bien au contraire, l'accord sur le nucléaire iranien dans le cadre du Plan d'action global commun n'a fait que l'enhardir et le rendre plus agressif. Et le voilà qui étend son soutien et qui déploie ses troupes au-delà de ses frontières, déstabilisant ainsi tous les pays arabes. 

Depuis bien longtemps, l’Iran a suivi le même fil conducteur: moins de coopération et plus d'instabilité dans la région, sous prétexte de protéger les minorités chiites. Cependant, les chiites d'Iran ou du monde arabe ont-ils vraiment besoin de la protection de Téhéran en ce moment? Bien sûr que non. Le régime a-t-il offert une meilleure vie aux chiites de l'Iran ou du monde arabe? Non plus. 

Depuis bien longtemps, l’Iran a suivi le même fil conducteur: moins de coopération et plus d'instabilité dans la région. 

Khaled Abou Zahr 

Le Liban et l'Irak en sont les exemples les plus évidents. Au Liban, un pays aux minorités égales, le Hezbollah défie sans cesse la souveraineté de l'État et tient en otage la communauté ainsi que tout le pays. L'Irak illustre encore plus nettement les véritables intentions du régime iranien. Ce pays est, lui aussi, composé de minorités, où les chiites constituent le plus grand groupe. Cependant, l'Iran n'a pas cherché à protéger la communauté chiite ni à apporter la stabilité à l'Irak. Il a uniquement soutenu ses proxies et supprimé tous les courants qui s'opposent à lui au sein de la communauté chiite. Son objectif est de remettre en cause la souveraineté de l'État et de garder le pays sous son contrôle. L'Iran ne cherche pas à établir des relations bilatérales positives avec un Irak stable; il souhaite tout simplement le dominer. 

Je ne vais pas exonérer les Arabes et les sunnites de toute responsabilité. Il est vrai que nous avons, nous aussi, commis des erreurs. Pourtant, si l'on observe la voie empruntée par les pays arabes, on constate qu'ils sont sortis de l'impasse géopolitique des années 1980 et qu'ils ont fait valoir leurs intérêts nationaux et ceux de l'ensemble de leur population, indépendamment des ethnies et des religions. Les dépenses consacrées au développement des infrastructures et des programmes sociaux en faveur de la totalité de la population en sont la preuve. 

En revanche, le régime iranien, à court d'argent, préfère apporter un soutien financier à ses partisans extrémistes de la région plutôt que de consacrer l'argent à ses citoyens. En outre, les États où les minorités subissent la menace des extrémistes sont uniquement des pays où le régime iranien est solidement implanté: l'Irak, la Syrie, le Liban et le Yémen. 

Il est donc évident que l'approche de l'Occident à l'égard de l'Iran est obsolète. Le régime iranien profite de cette volonté de maintenir l'équilibre, avec pour unique objectif de recevoir le feu vert de l'Occident pour dominer la région et se doter d'une puissance militaire nucléaire. Aujourd’hui, le Moyen-Orient a besoin de toute urgence d'une réinitialisation majeure, et les pays arabes sont favorables à cette idée. Mais le régime iranien changera-t-il de stratégie pour intégrer une nouvelle architecture en matière de coopération au Moyen-Orient? La réponse à cette question sera déterminante pour la stabilité de la région, d'autant plus que certaines puissances régionales pourraient, à présent, remettre en cause cette notion occidentale de l'équilibre. 

  

Khaled Abou Zahr est PDG d'Eurabia, une société de médias et de technologie. Il est également l'éditeur d'Al-Watan al-Arabi. 

Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com