Tourner le dos aux réfugiés nuit à tout le monde

Il appartient à la communauté internationale d'adopter une approche globale envers les réfugiés et les personnes déplacées, une approche qui ne craint pas de combiner une position morale ferme avec l'opportunisme. (Photo, AFP)
Il appartient à la communauté internationale d'adopter une approche globale envers les réfugiés et les personnes déplacées, une approche qui ne craint pas de combiner une position morale ferme avec l'opportunisme. (Photo, AFP)
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Publié le Mercredi 30 juin 2021

Tourner le dos aux réfugiés nuit à tout le monde

Tourner le dos aux réfugiés nuit à tout le monde
  • L'une des ironies tragiques de la pandémie est que le nombre de personnes traversant les frontières pour chercher refuge a diminué
  • L'année dernière, le nombre de personnes déplacées a atteint un record de 82,4 millions, soit une augmentation de 4 % par rapport à 2019

Naturellement, depuis le début de 2020, le monde s’est concentré sur le coronavirus, puis s’est occupé de relever le défi de ses effets dévastateurs.

Néanmoins, dans un monde aux ressources limitées et à la capacité ou à la volonté tout aussi limitée pour faire face à un éventail de problèmes, d'autres domaines de souffrance humaine extrême sont négligés. La Journée mondiale des réfugiés la semaine dernière a été un rappel opportun des difficultés persistantes de ceux dont la vie a été brisée par des guerres, des troubles civils ou des catastrophes naturelles, qui ont été chassés de leurs foyers et de leurs pays, et qui doivent maintenant faire face à la détresse supplémentaire causée par la pandémie.

Les chiffres mentent rarement, et le dernier rapport annuel Global Trends publié à l'occasion de la Journée mondiale des réfugiés par le HCR, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, devrait être une source de profonde préoccupation non seulement pour des raisons humanitaires, mais aussi pour  son impact politique sur des millions de personnes déracinées de leurs foyers, contraintes de vivre dans des conditions désastreuses et, dans de nombreux cas, avec très peu de chances de rentrer chez elles pour mener une vie épanouie.

L'une des ironies tragiques de la pandémie est que le nombre de personnes traversant les frontières pour chercher refuge a diminué ; cependant, cela n'est pas dû à l'amélioration des conditions, mais plutôt à la fermeture des frontières pour empêcher la propagation du coronavirus. Par conséquent, beaucoup sont pris au piège et sont déplacés à l'intérieur de leur propre pays, où leur vie est chaque jour en danger face à la violence, à la persécution et à d'autres violations des droits humains. L'année dernière, le nombre de personnes déplacées a atteint un record de 82,4 millions, soit une augmentation de 4 % par rapport à 2019. De plus, ce qui est censé être une mesure temporaire pour améliorer leur situation jusqu'à ce que les choses s’assainissent devient trop souvent un mode de vie permanent extrêmement difficile avec peu de perspective d'un avenir meilleur.

Le rapport du HCR souligne que si certains conflits de longue date non résolus continuent d'entraver toute résolution des cas persistants de personnes déplacées, il existe également des conflits et des problèmes émergents, comme le changement climatique, qui aggravent leurs conditions et accroissent le nombre de personnes qui ont besoin d’un refuge. Le tableau devient encore plus sombre lorsque l'on tient compte du fait que ce n'est pas le monde développé avec ses ressources abondantes qui assume la part du lion de l'accueil des réfugiés, mais ce sont en réalité les pays en développement, avec leurs ressources plus limitées et leurs propres défis sociaux et politiques, qui ont accueilli en 2020 86 % des réfugiés dans le monde.

À la lumière des débats envenimés en Europe et aux États-Unis sur l'autorisation des réfugiés à entrer dans leur pays, on pourrait être pardonné d’ignorer que 73 % des réfugiés résident dans des pays voisins de leur pays d'origine. Par exemple, 1 personne sur 8 au Liban et 1 sur 15 en Jordanie sont des réfugiés, sans compter qu'actuellement sur la petite île d'Aruba 1 sur 6 sont des Vénézuéliens déplacés. En outre, plus des deux tiers (68 %) de tous les réfugiés proviennent de cinq pays seulement, ce qui est un triste témoignage de l'échec de la communauté internationale soit à résoudre les conflits en Syrie, au Venezuela, en Afghanistan, au Soudan du Sud et au Myanmar pour que les réfugiés puissent rentrer chez eux en toute sécurité, soit à soutenir suffisamment les pays qui plient sous la pression supplémentaire qu’impose l'accueil des réfugiés.

L'une des ironies tragiques de la pandémie est que le nombre de personnes traversant les frontières pour chercher refuge a diminué ; cependant, cela n'est pas dû à l'amélioration des conditions, mais plutôt à la fermeture des frontières pour empêcher la propagation du coronavirus.

Yossi Mekelberg

L'une des approches fallacieuses, principalement dans le discours au sein des pays riches, vise à abandonner les obligations de ces pays envers les personnes déplacées, et confond délibérément ceux qui ont été chassés de chez eux avec ceux qui sont des migrants économiques. Même s’il y a matière à discuter à propos de ceux qui cherchent à améliorer leur vie et leur contribution à la société, ces derniers doivent être complètement distingués de ceux qui, conformément à la Convention de 1951 sur les réfugiés et à son Protocole de 1967, sont définis comme des réfugiés et doivent être à l'abri des menaces contre leur vie ou leur liberté. Les réfugiés et les personnes déplacées sont le résultat tragique des conflits et des catastrophes naturelles, et tant que ces phénomènes existeront, les gens – dont beaucoup de jeunes enfants ou de personnes âgées et généralement vulnérables – chercheront refuge. C’est pour les protéger que le droit international existe, reflet de ce que la communauté internationale croyait à l'époque être la responsabilité de l'humanité civilisée. N'est-ce plus le cas ?

« Personne ne quitte la maison à moins que la maison ne soit la gueule d'un requin. Vous ne courez que pour la frontière / quand vous voyez toute la ville / y courir aussi », écrit le poète et auteur britannique Warsan Shire, né de parents somaliens au Kenya. Devenir un réfugié ou une personne déplacée n'est pas un choix, mais le fait de circonstances. S'il y a une décision volontaire dans cet acte, c'est le déclenchement du plus élémentaire des instincts, celui de la survie, auquel cas comment ne pas admirer ou du moins respecter et soutenir la décision de fuir son foyer ou son pays ? Le vrai choix appartient à ceux qui, cruellement et illégalement, volontairement ou par négligence, poussent les gens au désespoir, et à ceux du reste de la communauté internationale qui leur tournent le dos. Le pire, c’est lorsque le sort de ceux qui ont le plus besoin d'un acte de compassion est cyniquement exploité par ceux qui promeuvent un programme xénophobe et populiste, tout en les présentant comme une menace pour leurs sociétés.

Il appartient à la communauté internationale d'adopter une approche globale envers les réfugiés et les personnes déplacées, une approche qui ne craint pas de combiner une position morale ferme avec l'opportunisme. Cette approche devrait donner la priorité à la réinstallation des réfugiés dans leur pays d'origine dès qu'il est absolument sûr, en soutenant avec des ressources adéquates les pays qui supportent le poids de l'accueil des réfugiés et en en installant d'autres ailleurs s'ils le souhaitent. Cette dernière alternative devrait être mise en œuvre conformément à un système agréé par la communauté internationale qui permet l'absorption et l'intégration des réfugiés dans les sociétés du monde développé au profit des deux.

Au-delà des ressources adéquates, il est également nécessaire de changer le discours, pour qu'il éduque les gens et les sociétés sur les devoirs que nous avons envers les moins fortunés, sur notre responsabilité de les accueillir et de les protéger, et sur l'énorme réserve de potentiel humain qui est perdu et l'instabilité qui en résulte lorsque nous n'adoptons pas cette approche.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale. Twitter : @YMekelberg

 

Avis de non-responsabilité : les opinions exprimées par les auteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News

 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com