Les résultats mitigés de Merkel au Moyen-Orient

La chancelière allemande, Angela Merkel. (Reuters)
La chancelière allemande, Angela Merkel. (Reuters)
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Publié le Vendredi 09 juillet 2021

Les résultats mitigés de Merkel au Moyen-Orient

Les résultats mitigés de Merkel au Moyen-Orient
  • L’Allemagne a refusé de jouer un rôle majeur au Moyen-Orient, optant plutôt pour une approche fondée sur la prudence, et l'aversion au risque
  • Sa décision la plus courageuse a été d'ouvrir les portes de l'Allemagne, et d’accueillir les réfugiés syriens à l'été 2015

Après plus d'une décennie et demie à la tête de l'État le plus grand et le plus puissant d'Europe, la chancelière Angela Merkel vit les derniers mois de son mandat. Elle est unique. C’est l'une des rares grands leaders mondiaux à s'attirer le respect, y compris de la part de ses adversaires.

Merkel a placé l'Allemagne au centre de la politique européenne, mais craint d'être considérée comme trop dominante. Elle a peut-être guidé l'Europe à travers de multiples crises – la pandémie étant la dernière d’entre elles – mais quel bilan tirer de son action au Moyen-Orient? Ses résultats apparaissent plus décevants qu’escompté.

Pour comprendre son comportement, il faut se pencher sur le caractère de la femme d’État. Sa vision du monde a été forgée par les trente-cinq premières années de sa vie sous la dictature de l'Allemagne de l'Est. Elle a continuellement souligné la valeur de la liberté et de l'alliance vitale de l'Allemagne avec les États-Unis. Elle a fait référence à son expérience est-allemande lorsque, en 2010, elle a remis un prix au dessinateur danois, Kurt Westergaard, dont les représentations du prophète Mahomet ont provoqué la colère de nombreux musulmans.

Cela explique également sa relation avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avec qui elle a eu des affrontements. Elle a critiqué l'invasion turque d'Afrin en Syrie en 2018, mais n'a pas fait grand-chose pour changer la donne. L’Allemagne a-t-elle mis la pression sur la Turquie pour qu'elle retire ses forces des zones qu'elle occupait dans le nord de la Syrie? Comme Barack Obama, en 2011, elle a appelé Bachar al-Assad à se retirer, mais sans avoir l'intention de prendre des mesures pour accélérer une telle décision.

La chancelière allemande est largement critiquée pour son approche trop prudente, de manière similaire au président Obama. Elle aime délibérer méthodiquement, étudier un problème, et en connaître toutes les dimensions. Elle est l'antithèse du président Donald Trump, qui se vantait de se fier à son instinct.

Merkel adopte une approche davantage scientifique, qui correspond à sa formation universitaire. Les décisions irréfléchies lui sont étrangères. Cela explique pourquoi l'Allemagne s'est abstenue au Conseil de sécurité de l'ONU sur le vote sur l’établissement d’une zone d'exclusion aérienne en Libye en 2011, et a décidé de ne pas participer aux opérations de l'Otan. Elle s’est méfiée de la position endossée par le président français Nicolas Sarkozy, qui voulait redorer son blason, mais craignait également que les États-Unis se lancent une autre saga semblable à l'Irak.

À l’inverse, Merkel a souhaité mobiliser pour accueillir les pourparlers de paix de Berlin sur la Libye – une décision qui n'est pas nécessairement populaire dans son entourage. Le processus a rencontré un premier succès, même s'il a stagné ces derniers temps.

 Sa prudence s'est à nouveau manifestée en Afghanistan, où les troupes allemandes ont été déployées dans le nord du pays, relativement plus sûr, et Merkel a clairement indiqué qu'elle n'avait pas l'intention d'étendre leurs opérations. Elle s’est ainsi montrée en phase avec les instincts pacifistes de l'Allemagne moderne.

Outre une haine des dictateurs, Merkel déteste également les dirigeants flamboyants et populistes, avec une aversion claire pour Trump, Silvio Berlusconi, Sarkozy, et Boris Johnson. Elle a toujours eu plus de mal à collaborer avec eux sur le Moyen-Orient. Son pragmatisme a généralement triomphé, elle qui préfère le compromis et la médiation à la confrontation. Au Moyen-Orient, cette stratégie s’est manifestée pour la première fois au Liban en 2006, lorsque l'Allemagne a joué un rôle clé dans la négociation d'un accord entre Israël et le Hezbollah pour mettre fin à la guerre, et plus tard dans la médiation pour libérer le soldat israélien Gilad Shalit, du Hamas.

Son pragmatisme a généralement triomphé, elle qui préfère le compromis et la médiation à la confrontation

Chris Doyle

 

Merkel a un attachement émotionnel à Israël, né d'un sens profond de la responsabilité historique allemande dans l'Holocauste. Elle est devenue le premier chef d'un gouvernement étranger à s'adresser à la Knesset en 2008. Merkel a également maintenu la réticence historique de l'Allemagne à demander des comptes à Israël pour son traitement des Palestiniens, et a officiellement accepté le «caractère juif de l'État». Pourtant, par moments, Merkel s'en est prise à Israël. Elle n'a jamais été partisane de l'expansion des colonies israéliennes, ou des démolitions de maisons. En 2011, elle s'est disputée avec Benjamin Netanyahou au sujet des activités de colonisation, et de son échec à faire un seul pas vers la paix. Leurs relations ne se sont jamais rétablies.

Sur l’Iran, Merkel ne s'est jamais rangée du côté des faucons comme Netanyahou, et elle a critiqué Trump lorsqu'il a retiré les États-Unis de l'accord nucléaire de 2015. C'était l'une des nombreuses questions sur lesquelles la chancelière  et Trump n'étaient pas d'accord – cela a également démontré qu'elle pouvait tenir tête si nécessaire. Cependant, des doutes ont persisté sur son attitude réputée trop clémente avec l'Iran.

Mais la prudence n'équivaut pas à un manque de courage. Auparavant, Merkel accordait de l'importance aux relations de l'Allemagne avec les États-Unis, autant elle a pris des risques quand elle a jugé que cela comptait. Avant de rencontrer George W. Bush en 2006, Merkel a donné une interview dans laquelle elle a appelé les États-Unis à fermer leur camp de détention de Guantanamo,  expliquant qu'il «ne devrait pas exister». Elle l'a fait quelques mois seulement après son arrivée au pouvoir, et avant d'avoir noué des relations avec Bush. C'était aussi une époque où les relations américano-allemandes étaient au plus bas après l'ère Gerhard Schröder, et le tollé massif suscité par la guerre en Irak de 2003.

Sa décision la plus courageuse a été d'ouvrir les portes de l'Allemagne, et d’accueillir les réfugiés syriens à l'été 2015. À l'époque, presque tous les autres États européens, à l’exception de la Suède, allaient dans une direction opposée, fortifiant les barricades.

Merkel a pris la décision seule, même face à l'opposition à l'intérieur de l'Allemagne, utilisant sa célèbre formule: «Wir schaffen das» («Nous pouvons le faire»). Au lieu d’opter pour une solution de facilité, elle a soutenu les personnes en danger, considérant que c’était un «devoir national». Ce fut un effort extraordinaire, avec près d'un million de personnes ayant demandé l'asile en Allemagne en 2015, et 750 000 l'année suivante. Elle a testé tous les aspects de la planification de l'Allemagne pour accueillir beaucoup de réfugiés en peu de temps. Les nouveaux arrivants devaient être logés, apprendre l'allemand, et trouver du travail. Près de six ans plus tard, le pari de la chancelière s’est avéré payant.

Beaucoup ont prédit la chute de Merkel à cause des réfugiés. Son choix lui a valu quelques défaites à domicile, où l'extrême droite s'est notamment renforcée aux élections de 2017. Une vague d'attaques islamistes en Allemagne, comme celle du marché de Noël à Berlin en 2016, n'a pas aidé, alors que de nombreux réfugiés ont subi des attaques racistes.

Merkel a dirigé le navire européen dans des eaux impétueuses. Avec autant de défis nationaux et européens, son Allemagne a refusé de jouer un rôle majeur au Moyen-Orient, optant plutôt pour une approche fondée sur la prudence, et l'aversion au risque.

La chancelière était destinée à diriger lorsque de nombreux dirigeants mondiaux, y compris aux États-Unis, se sont éloignés de l'approche multilatérale qu’elle privilégiait. Cela dit, alors que le Moyen-Orient reste en proie à des conflits, beaucoup pourraient soutenir qu’elle a opté pour la bonne approche. Malheureusement, Merkel n'a jamais vraiment été en mesure de tirer parti de sa position internationale pour pousser à des approches plus audacieuses. On se souviendra d'elle comme une personne fiable dans une époque de désordre international, mais qui aura également raté des opportunités.

Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, basé à Londres.

Twitter : @Doylech

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com