Nouveau gouvernement israélien: vers une relation plus nuancée avec l’Union européenne

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Publié le Vendredi 30 juillet 2021

Nouveau gouvernement israélien: vers une relation plus nuancée avec l’Union européenne

Nouveau gouvernement israélien: vers une relation plus nuancée avec l’Union européenne
  • C’est la première fois qu’un ministre israélien des Affaires étrangères est convié à participer à la réunion mensuelle du Conseil des affaires étrangères de l’UE et à prendre la parole devant les dirigeants
  • Si l’UE souhaite que l’intolérable situation actuelle change, il faudrait qu’elle prenne les choses en main, qu’elle utilise son pouvoir économique et diplomatique et qu’elle fasse preuve d’audace

Israël était sous l’emprise d’un même dirigeant pendant plus de douze ans. La transition du pays vers un nouveau gouvernement devrait donc apporter des changements tant sur le fond que sur la forme. Le Premier ministre par alternance et ministre des Affaires étrangères, Yaïr Lapid, s’est rendu à Bruxelles ce mois-ci pour entamer des discussions avec les dirigeants de l’Union européenne (UE). Cette démarche l’éloigne un peu plus du règne de Benjamin Netanyahou, au temps des frictions volontaires – ou mal calculées – avec l’un des principaux partenaires commerciaux du pays, avec qui le pays entretient également des liens culturels et scientifiques étroits.

C’est la première fois qu’un ministre israélien des Affaires étrangères est convié à participer à la réunion mensuelle du Conseil des affaires étrangères de l’UE et à prendre la parole devant les dirigeants, ce qui témoigne du mécontentement de Bruxelles à l'égard de la politique israélienne envers les Palestiniens au cours du mandat de M. Netanyahou. 

Comme d'autres instances dirigeantes dans le monde, l’UE adopte une approche hésitante à l’égard de la nouvelle coalition compte tenu de sa composition inhabituelle. Il y a peut-être une impression – voire de faux espoirs – qu’en dépit de l’impasse dans laquelle se trouve le processus de paix et l’inaptitude de ce gouvernement à s’écarter radicalement des politiques qui rendent impossible la réconciliation, la politique israélienne du Premier ministre, Naftali Bennett, et de M. Lapid gagnera en nuance puisqu’un certain équilibre naîtra forcément entre les différents courants idéologiques de la coalition. Avec le départ de Benjamin Netanyahou, les critiques acerbes formulées contre l’UE font désormais partie du passé, du moins pour le moment.

Le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell, a fait le premier pas en félicitant M. Lapid après sa prise de fonction et en l’invitant à Bruxelles pour discuter des moyens de «renforcer les relations bilatérales et de promouvoir la sécurité et la paix dans la région». Force est de constater, en lisant entre les lignes, que l’Europe exige des progrès concrets en faveur du processus de paix avec les Palestiniens, en échange d’une amélioration de sa relation avec Israël. À Bruxelles, les dirigeants politiques ne sont pas naïfs. Ils savent qu’aucune initiative de paix n’est actuellement en cours. De toute façon, l’UE est loin d’être prête à mettre tout son poids politique dans ce sens, tout comme les États-Unis ne sont toujours pas prêts à reprendre un rôle de premier plan en tant que négociateur de paix.

Néanmoins, en l’absence de conditions immédiates qui permettraient de mettre un terme au conflit sans fin entre les Israéliens et les Palestiniens, les dirigeants de l’UE se contenteraient de voir Israël – du moins sur le court terme – limiter ses activités de colonisation en Cisjordanie et de constater une amélioration du niveau de vie et du respect des droits des Palestiniens dans les territoires occupés et sous blocus.

Yaïr Lapid est peut-être nouveau sur la scène internationale mais il est loin d’être novice en politique. Il est conscient des limites de son pouvoir dans un gouvernement aussi hétérogène qui ne tient qu’à un fil depuis le début. Visiter le continent voisin lui a donné la chance de renouer les liens avec l’Europe après les dégâts laissés par M. Netanyahou. C’est l’occasion pour lui de convaincre ses interlocuteurs qu’il y a au moins un changement de ton, doublé d’un pragmatisme nouveau. M. Lapid, voire l’ensemble du gouvernement israélien, tente de tisser des liens amicaux avec l’UE sans rappeler, au moindre désaccord, que l’Europe a maltraité les juifs ou l’accuser ouvertement d’antisémitisme comme le faisait Benjamin Netanyahou.

 

«L’Europe exige des progrès concrets en faveur du processus de paix avec les Palestiniens, en échange d’une amélioration de sa relation avec Israël.»

Yossi Mekelberg

Le nouveau ministre israélien des Affaires étrangères adopte une approche plus élaborée que certains qualifieraient même de «rusée». Il déclare aux Européens qu’il soutient la solution à deux États mais que cette dernière n’est pour le moment pas applicable, la mettant ainsi indéfiniment en attente. De plus, il affirme qu’Israël doit «veiller à ce qu’aucune mesure ne soit prise pour empêcher la possibilité de paix à l’avenir et améliorer la vie des Palestiniens.»

«Je soutiens tout ce qui est d’ordre humanitaire. Je soutiens tout ce qui permet de renforcer l’économie palestinienne.» Cette déclaration ravit certes ses homologues européens et fait gagner du temps à Israël.

Yaïr Lapid n’est toutefois plus le chef de l’opposition. Il est actuellement à la tête du plus grand parti au sein du gouvernement de coalition et devrait devenir le prochain Premier ministre d’ici à deux ans. Les promesses abstraites ne sont pas suffisantes. Elles doivent se traduire par des changements immédiats sur le terrain. Le gouvernement ne s’est jusqu’à présent pas montré disposé à cesser la légalisation des colonies que les Israéliens eux-mêmes considèrent comme illégales, à empêcher les colons de réprimer violemment les Palestiniens avec le soutien des soldats, à mettre un terme à la démolition des maisons ou à s’abstenir de toute législation discriminatoire. Mettre fin à de telles politiques éviterait de compromettre tout éventuel processus de paix basé sur la solution à deux États et la réconciliation entre les deux peuples. L’UE devrait demander à Israël de rendre des comptes.

M. Lapid ne cherchait pas uniquement à redorer le blason d’Israël auprès de l’Europe et à donner à ses dirigeants des raisons d’être optimistes. Il a également l’intention de revitaliser les liens économiques, particulièrement pour intégrer le programme «Europe créative» destiné à soutenir les secteurs de la culture et de la création. Le problème est que ce programme interdit l’utilisation des fonds en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et sur le plateau du Golan pour une raison évidente: ces territoires sont occupés. Israël serait enclin à accepter cette condition, mais avec la réserve que sa participation ne revienne pas à l’obliger à opérer un changement de politique à l'égard des territoires occupés et des colonies. Cette formule avait été rejetée par le gouvernement précédent. Bien qu’il y ait un compromis – qui consiste à reconnaître la différence entre Israël et les territoires occupés –, il n’est pas suffisant pour décourager Tel-Aviv de consolider son occupation.

Si l’UE souhaite que l’intolérable situation actuelle change, il faudrait qu’elle prenne les choses en main, qu’elle utilise son pouvoir économique et diplomatique et qu’elle fasse preuve d’audace afin de mettre fin à l’impasse dans laquelle se trouvent les relations israélo-palestiniennes. Elle pourrait par exemple fixer une date à partir de laquelle Israël devrait reconnaître l’État palestinien ayant pour capitale Jérusalem-Est avec ou sans accord de paix. Elle pourrait également aider à la reconstruction de Gaza ainsi que relancer l’économie en Cisjordanie et enfin établir une distinction claire entre Israël à l’intérieur de la ligne verte d’une part et la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza d’autre part.

Bruxelles devrait également inciter les deux parties à modifier leurs comportements respectifs afin que les droits humains, politiques et civils soient garantis de manière égale pour tous entre le Jourdain et la mer Méditerranée. L’UE a les moyens de changer l’orientation d’un conflit qui a désespérément besoin de quelqu’un pour faire une telle différence. Une différence qui servirait les intérêts européens. Des discussions franches et ouvertes avec le Premier ministre israélien sont un bon début. 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale.

Twitter : @YMekelberg

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com