Israël devrait réfléchir aux accusations de crimes de guerre

Rue d’Al-Wahda, dans la bande de Gaza, après avoir été touchée par des frappes aériennes israéliennes, le 17 mai 2021. (Photo, Getty Images)
Rue d’Al-Wahda, dans la bande de Gaza, après avoir été touchée par des frappes aériennes israéliennes, le 17 mai 2021. (Photo, Getty Images)
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Publié le Mercredi 04 août 2021

Israël devrait réfléchir aux accusations de crimes de guerre

Israël devrait réfléchir aux accusations de crimes de guerre
  • Le droit international humanitaire est sans équivoque dans sa distinction entre civils et combattants
  • Gaza est une petite enclave qui est sous le blocus israélien depuis 2007, ce qui en soi constitue une punition collective illégale

Pour voir un responsable israélien se braquer et de devenir hors de lui, il suffit de prononcer l’un de ces mots :  apartheid, boycott, désinvestissement et sanctions, et crimes de guerre. 

En effet, évoquer ces sujets incitent invariablement les responsables israéliens à accuser la communauté internationale de nourrir des préjugés contre Israël et, généralement comme dernière ligne de défense, à rappeler qu'il existe dans le monde de pires coupables qu'Israël en termes de violation des droits humains. Certes, nul ne pourrait prétendre que les violations des droits humains ne sont pas monnaie courante partout dans le monde, à la fois trop fréquemment et avec une cruauté inacceptable. Mais ceci ne justifie en aucun cas le comportement d'Israël vis-à-vis des Palestiniens en temps «normal» d'occupation et de blocus, encore moins lorsque les hostilités éclatent entre les deux parties et que la situation se détériore davantage.

Un rapport de Human Rights Watch (HRW) la semaine dernière n’y va pas par quatre chemins pour accuser à la fois Israël et le mouvement militant palestinien Hamas de violer les lois de la guerre pendant le conflit de mai, des violations qui, estime le document, semblent réunir les critères de «crimes de guerre». L'enquête s'est penchée sur trois frappes aériennes israéliennes sur la bande de Gaza qui ont tué 62 civils palestiniens, dont 32 enfants, où il n'y avait aucune preuve de cibles militaires à proximité. HRW affirme sans équivoque que les plus de 4 000 roquettes guidées et mortiers lancés par le Hamas sur Israël, quoi qu’ils ne soient pas visés par cette enquête spécifique, a atteint des civils illégalement et sans discernement. HRW d’ailleurs s'engage à publier d'autres conclusions à ce sujet à une date ultérieure.

Ce rapport est publié quelques mois seulement après que Fatou Bensouda, alors procureure en chef de la Cour pénale internationale (CPI), ait confirmé sa décision d'ouvrir une enquête complète sur la situation dans les territoires occupés, dont notamment Gaza. Bensouda, qui a achevé son mandat en juin, souligne à juste titre que, quelles que soient les préoccupations de sécurité ou les considérations politiques des camps belligérants, le premier souci de la CPI doit être les victimes de crimes de guerre potentiels, tant palestiniens qu'israéliens.

À mesure que les semaines et les mois passaient après la fin de l'effusion de sang en mai entre Israël et le Hamas, l'intérêt international s'est rapidement affaibli. La violence et les morts ne font à présent que remplir le dernier chapitre dans l'histoire tragique de ce conflit. Mais pour ces nombreux civils qui ont perdu des êtres chers, ou ont subi des blessures qui ont changé leur vie à jamais, la douleur restera atroce aussi longtemps qu'ils vivront, et ils demandent et méritent à juste titre que justice soit rendue. 

Le rapport méticuleusement préparé de HRW, comme de nombreux autres rapports sur des cas dans le monde que j'ai croisés, décrit comment, en l'espace de onze jours en mai, 260 Palestiniens ont été tués, parmi au moins 129 civils, dont 66 enfants. Du côté israélien, treize personnes, dont deux enfants, ont perdu la vie. Il s'agit d'un rappel important des conséquences mortelles d'un conflit non résolu de plusieurs décennies sans aucun procès.

Le Hamas vise les civils sans même prendre la peine de cacher que c'est son objectif principal. Il ne manquerait plus qu’il vienne témoigner contrer ses propres actes à la cour de La Haye. Pendant ce temps-là, les arguments sécuritaires derrière lesquels Israël se cache, et le blâme qu'il rejette sur le Hamas pour avoir utilisé des civils comme boucliers humains, ne tiennent plus debout, à supposer qu’il ait jamais été crédible à cet égard. Dans l'un des cas étudiés par HRW, une attaque israélienne a rasé trois bâtiments dans la rue d’Al-Wahda à Gaza, tuant 44 civils. Comme dans d'autres cas, les responsables israéliens ont affirmé qu'ils visaient des tunnels et un centre de commandement souterrain utilisé par des groupes armés; mais le rapport nous apprend qu'aucune preuve n'a été fournie pour étayer cette affirmation.

La violence et les morts ne font à présent que remplir le dernier chapitre dans l'histoire tragique de ce conflit. Mais pour ces nombreux civils qui ont perdu des êtres chers, ou ont subi des blessures qui ont changé leur vie à jamais, la douleur restera atroce aussi longtemps qu'ils vivront, et ils demandent et méritent à juste titre que justice soit rendue. Yossi Mekelberg

Mais même des cibles militaires se trouvaient à proximité de ces bâtiments, aucun argument juridique, et encore moins moral, ne pourrait justifier une telle perte de vies civiles. L’armée qui se dit la plus morale du monde, et qui forme des générations de soldats sur la notion fausse et détournée de «pureté des armes», aurait dû user de son jugement, de son bon sens et, surtout, de son humanité pour cesser le feu, quelle que soit la valeur de la cible militaire présumée. 

Même si nous admettons que les civils n'ont pas été délibérément pris pour cibles, l’argument d’Israël pour justifier ses actions implique que les civils sont considérés comme être de simples éléments de dommage collatéral dans ce conflit. Répétons donc une fois de plus ce qui doit être constamment redit jusqu'à ce que ça commence à résonner : nul civil ne devrait jamais être le dommage collatéral dans n’importe quel camp. Ce sont avant tout des êtres humains; des non-combattants pris dans la souffrance d'un conflit qui n'est pas de leur faute, et qui est le résultat direct de l’horrible cocktail d'incompétence et de belligérance de leurs leaders, et de l'effroyable négligence de la communauté internationale.

Le droit international humanitaire est sans équivoque dans sa distinction entre civils et combattants et stipule que : «Les parties au conflit doivent à tout moment faire la distinction entre civils et combattants. Les attaques ne peuvent être menées que contre des combattants. Les attaques ne doivent pas être dirigées contre des civils». Il précise que de telles actions doivent être considérées comme des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. 

Gaza est une petite enclave qui est sous le blocus israélien depuis 2007, ce qui en soi constitue une punition collective illégale. Elle est contrôlée par un mouvement politique avec une longue série de violations des droits humains à son actif. Lorsqu'Israël accumule la misère contre le peuple de Gaza, il agit de manière immorale et illégale, et, à long terme, il est voué à l'échec. La plupart des Gazaouis n'ont pas décidé d'y vivre. Réfugiés, autochtones et résidents volontaires, ils sont tous retenus en otage dans la plus grande prison à ciel ouvert au monde. Ils n'ont pas le luxe de partir lorsque les hostilités éclatent, ce qui arrive avec une fréquence alarmante et laisse des séquelles dévastatrices. Comme le prouvé la «Grande marche du retour» de 2018-19, s'approcher de la frontière avec Israël peut avoir des conséquences fatales; quiconque s’y aventure risque d'être mutilé à vie par des tireurs d'élite israéliens qui visent leurs rotules. 

Personne ne veut voir des personnes comparaître devant des juges et inculpées de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. Mais il faut énoncer l’évidence. Tel un miroir, la CPI reflète nos défauts d'êtres humains, elle sert principalement à dissuader les gens de commettre des violations flagrantes des droits humains et à garantir qu'il n'y ait pas d'impunité pour les auteurs lorsque de tels abus ont lieu. Beaucoup en Israël, en particulier les politiciens et l'establishment de la sécurité, peuvent afficher publiquement leur dédain ou leur colère contre ce rapport accablant de HRW, et tenter de nier ou minimiser ses conclusions, mais ils se feraient une immense faveur, à eux-mêmes et à leur pays, s'ils embarquent plutôt dans un véritable examen de conscience. Ils devraient réfléchir sur la façon dont l'occupation et l'obstruction délibérée de toute action vers la paix ont amené les responsables israéliens au point d'être suspectés de criminels de guerre et de violateurs des droits humains. 

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale. Twitter : @YMekelberg 

 

Les opinions exprimées par les auteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com