Combien de temps encore l’Iran peut-il saboter les négociations sur le nucléaire?

Des diplomates de l’Union européenne, de la Chine, de la Russie et de l’Iran au début des pourparlers au Grand Hôtel de Vienne. (Photo, AFP).
Des diplomates de l’Union européenne, de la Chine, de la Russie et de l’Iran au début des pourparlers au Grand Hôtel de Vienne. (Photo, AFP).
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Publié le Dimanche 02 janvier 2022

Combien de temps encore l’Iran peut-il saboter les négociations sur le nucléaire?

Combien de temps encore l’Iran peut-il saboter les négociations sur le nucléaire?
  • Les Iraniens ont l’impression de pouvoir garder la tête haute, puisque ce sont les États-Unis qui se sont retirés de l’accord nucléaire en 2018
  • Les puissances occidentales montrent des signes d’impatience croissante face à l’intransigeance iranienne

Alors que les yeux de la communauté internationale – notamment au Moyen-Orient – étaient rivés sur les négociations nucléaires de Vienne, une mystérieuse explosion a frappé la centrale nucléaire de Bouchehr, en Iran.

Cette explosion est peut-être un acte prémédité perpétré par une force étrangère, ou le résultat d’un accident. Cependant, lorsqu’elle est prise en compte de concert avec des pourparlers qui ne tiennent plus qu'à un fil, elle met en lumière une situation qui restera fragile jusqu’à ce que la question de s’assurer que l’Iran ne développe pas l’arme nucléaire soit définitivement réglée.

Les deux parties ont désespérément besoin de relancer l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 pour éviter de nouvelles confrontations. Reste à savoir qui cédera en premier. La situation économique désastreuse de l’Iran contraint le pays à être suffisamment flexible pour que l’Occident lève les sanctions qui menacent d’affaiblir le régime et d’entraîner des troubles sociaux et politiques intérieurs. D’autre part, les puissances mondiales doivent faire preuve d’assurance en indiquant clairement qu’elles ne toléreront pas un Iran qui détiendrait l’arme nucléaire, mais sans l’humilier. Elles devraient, au contraire, inciter le pays à ne pas s’attirer d’ennuis.

Cependant, au terme de deux mandats présidentiels relativement pragmatiques en Iran, l’élection d’Ebrahim Raïssi signifie que tous les centres de pouvoir sont désormais dominés par des personnes plus radicales. Bien que les négociateurs comprennent la nécessité de l’accord, et que la survie du régime pourrait en dépendre, ils sont prêts à pousser les négociations jusqu’au bout, ce qui augmenterait le risque d’erreurs de calcul et donc d’un éventuel affrontement militaire.

Seul l’Iran sait à quel point il est proche du seuil nucléaire. Laisser la communauté internationale dans le flou constitue, pour le pays, un levier qui pousse les négociateurs du groupe P5+1 à faire des concessions à mesure que le temps devient de plus en plus précieux. Téhéran semble croire, à tort, que, dans ces négociations délicates, il tient la plupart – voire la totalité – des cartes en main et préférerait donc dicter ses conditions, y compris celle de ne pas négocier directement avec les États-Unis.

Les Iraniens ont également l’impression de pouvoir garder la tête haute puisque ce sont les États-Unis qui se sont retirés de l’accord nucléaire, en 2018; par conséquent, ils exigent que le pays lève d’abord toutes les sanctions imposées par l’administration précédente avant d’entamer des négociations directes. La folie de l’ancien président Trump, qui s’est unilatéralement retiré de l’accord, est bien documentée: elle permet à l’Iran de se dissimuler derrière ce prétexte afin de continuer d’enrichir l’uranium, de se rapprocher plus que jamais de l’acquisition de l’arme nucléaire et de nuire à la crédibilité dont dispose Washington lorsqu’il est question de continuité entre les administrations, notamment en ce qui concerne les accords internationaux.

Seul l’Iran sait à quel point il est proche du seuil nucléaire. Laisser la communauté internationale dans le flou constitue, pour le pays, un levier qui pousse les négociateurs du groupe P5+1 à faire des concessions à mesure que le temps devient de plus en plus précieux.

Yossi Mekelberg

Cependant, l’argument de la crédibilité arrive à expiration; cela peut impressionner certaines personnes et les mandataires de l’Iran dans la région, mais ce dernier finit par se nuire en adoptant un tel comportement. Il existe actuellement un autre président à la Maison Blanche. Biden compte bel et bien revenir à l’accord nucléaire, malgré les critiques et la vive opposition de son proche allié, Israël.

Le temps presse. Les manœuvres dilatoires de Téhéran et ses tentatives pour obtenir plus de concessions, principalement des États-Unis, en incitant également Moscou et Pékin à se retourner contre Washington, notamment à la lumière des tensions croissantes entre l’Occident et Pékin et Moscou, pourraient nuire à l’Iran. Si les services de renseignement concluent que l’Iran est capable de fabriquer des ogives, il y aura un sentiment d’urgence croissant et une nécessité d’agir, soit en durcissant les sanctions économiques, soit avec une intervention militaire comme dernier recours.

Bien que les deux semaines de pourparlers de ce mois laissent présager une évolution positive, les puissances occidentales montrent des signes d’impatience croissante face à l’intransigeance iranienne et aux obstacles imposés à la reprise de l’accord de 2015. On espère que l’expérience Trump dans la politique américaine n’est qu’une aberration ponctuelle dans l’histoire des États-Unis. Le capital politique que Téhéran peut en tirer sans nuire à ses propres intérêts est limité.

S’il est un pays qui ne mâche pas ses mots sur le programme nucléaire iranien, c’est bien Israël, qui continue de soutenir qu’il dispose de l’option militaire. Dans la transition de Benjamin Netanyahou à l’administration actuelle, dirigée par Naftali Bennett, l’approche officielle du pays n’a pas beaucoup changé, au-delà des propos tenus par les autorités. Israël est très critique non seulement quant à la possibilité que les États-Unis reviennent à l’accord nucléaire et lèvent les sanctions, mais également à l’égard de la possibilité que Washington soit prêt à accepter un accord où l’Iran réduirait ses activités nucléaires en échange d’une levée partielle des sanctions.

C’est là la pire option pour les décideurs israéliens, puisqu’elle n’empêche pas l’Iran de progresser dans son programme nucléaire et, en même temps, fournit au régime les ressources nécessaires pour y arriver, mais aussi pour se maintenir. Cela limite la marge de manœuvre d’Israël et freine l’Iran, qui se conforme à un accord internationalement approuvé. Par conséquent, les principaux ministres israéliens font monter les enchères pendant que les négociations sont en cours. Le ministre de la Défense, Benny Gantz, a fait savoir lors d’une récente visite aux États-Unis qu’il avait ordonné à l’armée israélienne de se préparer à l’éventualité d’une frappe militaire contre l'Iran.

La question est donc de savoir si une telle action est une option viable pour Israël et, dans ce cas, si elle pourrait être menée d’une manière qui justifie les risques associés à une manœuvre aussi compliquée. Israël manque de crédibilité lorsqu’il s’agit de mener une telle opération, après des années de désaccord entre les décideurs sur la faisabilité d’une telle attaque, quant au fait d’infliger les dommages nécessaires au programme nucléaire iranien et de risquer des représailles iraniennes qui affecteraient toute la région.

L’option d’un règlement négocié avec des inspections strictes demeure la plus viable, même si elle ne résout pas la politique étrangère déstabilisatrice de l’Iran ailleurs au Yémen, en Syrie, au Liban et en Palestine. Ces enjeux ne s’inscrivent pas dans le cadre des négociations de Vienne, mais un accord sur le programme nucléaire iranien pourrait et devrait créer un certain élan pour collaborer avec Téhéran sur ses politiques dans la région – de manière respectueuse, mais tout en traçant des lignes rouges, claires, que le pays ne devrait pas franchir. Si ces problèmes ne sont pas résolus, la région restera sujette aux conflits à tout moment.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com